silence
Silence
«Le silence est un miroir. Si imprévisible soit-elle, l’image qu’il renvoie aux hommes est tellement fidèle qu’ils ne reculent devant rien pour l’ignorer. Et si jamais la surface ampliative de la glace doit se trouver temporairement nette et dégagée de l’omniprésent tohu-bohu de la vie moderne, alors ils se hâteront de l’embrumer à nouveau d’un éventail désespéré de bruits personnels : de conversations polies, de fredonnements, de sifflements, de dialogues imaginaires, de bavardages schizophréniques, voire, dût-on en venir là, des canonnades clandestines de leurs propres flatulences. C’est seulement dans le sommeil qu’on tolère le silence, et pourtant, même alors, la plupart des rêves ont leur bande sonore. Du fait que la médication consiste en une descente délibérée dans le profond calme intérieur, en un regard muet fixé sur l’ultime miroir, les masses jacassantes l’observent d’un œil suspect, les intérêts commerciaux avec hostilité ( assis dans un silence serein, on achète rarement des biens de consommation ) et le clergé, dont elle paraît menacer le gagne-pain boursouflé en sapant son insubstantielle autorité, avec mépris. »
Tom Robbins. Féroces infirmes.
Un chef d’œuvre d’humour, de causticité et de lucidité. Le héros, agent ringard et démissionnaire de la CIA pour accomplir une mission privée, se targue d’être un des rares individus de sa génération à avoir lu intégralement Finnegans Wake de James Joyce.
Les silences entre les notes, ces silences habités dont nous parlons si souvent, émus, dans ces nombreuses pages… Oui, les silences portent l’esprit de la musique et des musiciens, les silences ont une densité propre à chaque pièce, chaque présence, souvent plus remplis qu’on ne le croit, d’une ultime fin de note ou réverbération, d’un relâchement des doigts, d’une inspiration avant l’impulsion suivante, des palpitations, de la chair des femmes ou hommes qui se livrent corps et âmes… Les silences ne sont pas des trous dans la bande, des puits sans fonds, des abîmes de rien…
Petite anecdote au passage : Stanley Kubrick avait demandé à un musicien et un ingénieur du son de lui composer un silence réel, le silence des noires profondeurs du vide intersidéral pour son film "2001, odyssée de l’espace". En effet, il voulait que cette solitude infinie ne soit pas polluée par les souffles de bandes, et le médiocre rapport signal / bruit des techniques sonores cinématographiques de l’époque. En théorie, il n’aurait plus besoin d’un tel artifice de nos jours… Mais est-ce bien sûr ? Voulait-il un trou au milieu de la bande ou plus probablement un silence dense et inquiétant de présence.