Peirani, Van der Aa, Ligeti, Youn Sun Nah et Woodkid
Mai 2013
Peirani, Van der Aa, Ligeti, Youn Sun Nah, Woodkid
Par Alain
Ça fait un petit moment que je n’ai pas eu l’occasion de m’exprimer côté musique ou billets d’humeur (j’étais coincé par un problème technique sur mon ancien site !), aussi, par crainte d’avoir un peu perdu la main, vais-je recommencer en douceur.
Et donc par un instant de douceur :
Thrill Box de Vincent Peirani (accordéon), digne héritier de Galliano ou Mille, surpassant parfois ses pairs sur les jeux de couleurs et sa façon très poétique d’étendre la note avant de l’éteindre.
Pour son premier disque sous son nom (je crois) il est accompagné du pianiste Michael Wollny et du contrebassiste Michel Benita, ainsi que deux guests : Michel Portal et celui dont nous adorons les fantaisies audacieuses avec sa formation, Emile Parisien !
Le premier morceau, lente variation sur un thème des Chants d’Auvergne de Canteloube, donne le ton : un travail chromatique et rythmique exquis, très émouvant, s’exprimant dans un programme varié s’inspirant de sources divergentes, même si Baïlero reste isolé pour passer ensuite à des structures d’arrangement un peu plus habituelles mais toujours singulières.
Le piano très libre, très inventif, souvent très puissant de Michael Wollny garde tout au long des morceaux une place prépondérante, s’appuyant sur des éclats de doigts vigoureux, des contrastes habiles, et surtout sur une façon très déliée de se décaler du tempo, les notes souvent attaquées un peu en avance, rendant d’autant plus sensible la douceur posée, étirée des climats atmosphériques de Peirani. Le mélange des deux instruments crée un jeu de couleurs délectable, tout simplement beau, même dans les moments de lâcher-prise où les musiciens s’emballent soudain avec une urgence créant des climax magnifiques. La contrebasse de Benita, singulièrement solide, tendue, profonde, sait chanter chaude et libre et s’accorder aux moments puissamment tendres comme aux rondes exubérantes, aux danses chargées d’ivresse voluptueuse ou aux instants de distance humoristique telle que la pratique couramment le saxophoniste Emile Parisien, dont l’intervention dans cet album superbe et riche de bout en bout, prouve une capacité au lyrisme qu’il met rarement en avant.
Portal inspiré mais sobre grave dans les flux multicolores de Peirani le grain profond de sa clarinette basse comme un inoubliable témoignage du respect accordé à un jeunot !
Magnifique.
Prise de son plutôt réussie même si la mise en espace semble incertaine et la contrebasse de Benita un rien trop musclée, les timbres sont riches, délicats ; du bonheur !
Thrill Box, publié par ACT
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Ensuite, un album moins facile sans doute, une succession d'expériences éparses qui pourraient sembler dans le désordre tant les couleurs et idées ne se ressemblent pas d’un segment à l’autre, formant des univers dérivant :
Troops de Liesa Van der Aa.
Violoniste de formation (et clairement la maîtrise musicale est solide !), ayant participé de près ou de loin à quelques expérimentations du laboratoire Einstürzende Neubauten, la jeune chanteuse belge Liesa, voix basse et expressive, nous propose 10 morceaux explorateurs, des instants métissés qui se bousculent entre progressif, pop-rock et espaces sonores étranges et somptueux, atmosphériques, parfois électro, racontant la vie, amour et mort liés par l’absurde, des extravagances festives débouchant sur une parade de zombies indus.
Le tout ne semble pas vraiment construit pour faire un ensemble cohérent, mais chaque pièce de l’opus est puissante et ensorcelante, une curiosité biscornue, bourrée d'idées et de couleurs mystérieuses, oscillant de plages mélodieuses et poétiques vers d’autres jouant sur les nerfs, irritantes ou hypnotiques, artyhmiques et inattendues, élans gouailleurs dans lesquels grincent les sourires de Kurt Weil, la demoiselle torture quelquefois son violon jusqu’à en sortir des couinements plus crispants encore qu’un violon baroque mal joué, ou empile des combinaisons de merveilleuses sonorités chromatiques (ou pas !), complexes pas toujours faciles, parfois dissonantes, pas forcément neuves mais qui à l’arrivée créent un monde lui appartenant bel et bien et une sorte d’unité finale qui laisse perplexe. Pas un instant de répétition, pas une mesure sans idées nouvelles, rupture de rythme, de couleur, des couches supplémentaires sans jamais frôler la surcharge, bien au contraire, c'est tout en subtilité, en foisonnement pétillant !
Une atmosphère souvent obscure, une cathédrale hybride, brechtienne, pas franchement humble mais parfaitement aboutie, frappadingue sans être barrée ou inaccessible non plus forment un opus d'une intensité totale et indéniable, même si on n'est pas forcé d'aimer.
Mais on se demande qui pourrait ne pas aimer : autant d'idées lyriques ou chromatiques ou rythmiques si originales et réussies, n'est-ce pas la définition du chef-d’œuvre ?
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Un autre disque ?
Soit :
Pour rester dans le travail sur les couleurs et les dissonances, je propose du György Ligeti, une « compil » Deutsche Grammophon associant des œuvres pour orchestre, Atmosphères (1961) et Lontano (1967) par le Wiener Philharmoniker et Claudio Abbado (si si ! Et en live : rien que pour ça, ça vaut le coup !) ou encore Melodien par le London Sinfonietta et David Atherton, œuvres pour orgue, Volumina et Harmonies par le complice de Ligeti : Gerd Zacher, pour chœur, Lux Aeterna par Norddeutschen Rundfunks, et Ramifications pour orchestre à cordes par l’Intercontemporain et Boulez.
La version d’Atmosphères par Abbado justifie à elle seule l’achat du disque, ce jeu de pures teintes sonores amoncelées sur des motifs très brefs organisés en une accumulation sur une même hauteur de différents instruments est ici magnifié par les parfaites sonorités de Vienne et la lente diction orchestrale impeccable menée par Abbado qui sculpte les superposition de timbres comme issues d’un seul instrument polyphonique et balance les clusters comme autant de dramatiques éclats telluriens.
Lontano, lente avancée mahlérienne d’une aube musicale sortant des ténèbres dans un accord détiré et fluctuant entonné par les vents puis les cordes, qui resplendit bientôt, sous une brume d’étrangeté, et progresse patiemment, enchainant d’oblongs crescendos et décrescendos, une dérive onirique basculant vers une supplique quasi douloureuse de plus en plus forte et aiguë avant le retour aux mouvements étirés offrant une richesse chromatique totalement surprenante, un enchaînement de couleurs difficile à décrypter mais si ensorcelant, toujours sublimé évidemment par Vienne et Abbado.
Je ne vais pas détailler tout le disque mais il n’y a pas un instant d’ennui et la qualité de captation est irréprochable sur des univers musicaux pourtant difficiles autant à enregistrer qu’à reproduire, tournant surement au comique sur bon nombre d’orgueilleux systèmes hifi.
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Les déceptions maintenant ?
Lento de Youn Sun Nah.
Ouh là, va y avoir des plaintes ! Pas touche à la petite protégée des médias...
Ce n'est évidemment pas nul : la voix est superbe, les moyens vocaux inouïs, un style très marqué par le maintien en réserve permanente d'une puissance qu'on devine impressionnante dans un ambitus étroit, le chant frémissant, sensible, certains instants sont émouvants, mais... ça manque d'idées je suppose, et parfois ça passe un peu à côté de l'essentiel, ce qui fait que le résultat est ennuyeux à la longue.
Par exemple la reprise de Hurt de Nine Inch Nails me fait quand même un peu sourire : le texte parle de suicide, de douleur comme preuve de vie, d'enfoncement dans les limbes de la désespérance ; Johnny Cash la chantait à sa manière, le pathos au zénith de sa vérité, un testament : un rebelle épuisé par la vie, mourant, vaincu, clamant une sincérité de chaque instant, incrustait son épitaphe dans la cire du vinyle...
Là on dirait que la jolie demoiselle s'est cassé un ongle !!!!
La chanson n'est pas mal racontée par la dame majuscule, évidemment, mais le choix d'une incongrue retenue à peine ornementée du vibrato d'un léger sanglot suggérant une peine toute romantique tourne à vide je crois.
Mais bon, pas un mauvais disque, n'exagérons rien. C'est même joli, évidemment, mais c'est comme si on nous maintenait délibérément à distance, un refus d'empathie quand même regrettable.
J'espère que cette grande artiste prendra un peu plus de risque la prochaine fois.
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La daube du mois ?
Woodkid, the Golden Age
Un faux évènement, euh non, pardon, un vrai évènement sur-médiatisé, surproduit, bourré de mignardises codées et si parfaitement prévisibles, sur-racoleur, prétentieux et au final lisse et ennuyeux comme le serait une pub glamour de 20 mn ! Et ça dure 50 mn...
Quand je pense que certains osent présenter ça comme l'Album de l'Année !
Sont déjà en vacances jusqu'en décembre ?