microsillon vs fichiers haute-résolution

microsillon vs fichiers haute résolution


 

Avril 2016

 

J’ai relu récemment mon billet d’humeur sur la place du microsillon de nos jours (« et le microsillon alors ?»), article datant d’un an précisément.


Oh, je n’ai pas grand-chose à retoucher dans cette chronique, ni de raison de modifier ma position, à savoir qu’à chaque époque correspond une logique technologique qu’il n’est pas désagréable de respecter quand on peut s’en offrir le plaisir. Autrement dit, pour la musique enregistrée et masterisée en analogique (en gros jusqu’à la fin des années 70), la restitution analogique (vinyle essentiellement) offrira une saveur délectable et probablement insurpassable, à condition de soigner divers points techniques certes.


Toutefois, quelques expériences musicales vécues depuis la rédaction de cette chronique me mènent à deux ou trois brèves réflexions sur l’évolution de la position des curseurs de l’émotion musicale.


Ainsi, parmi les exemples choisis pour illustrer mon propos sur le microsillon, j’avais signalé le Ring de Solti (59-65) suite à la redécouverte dans ma discothèque d’une première édition numérotée qui creusait vraiment l’écart par rapport au superbe coffret CD remasterisé 97, une présentation et une mise en scène sonore très distinctes changeant même la perception de l’interprétation, un exemple parmi tant d’autres où le débat ne porte pas sur la nature du son plus ou moins beau, plus ou moins confortable mais bel et bien sur la conception artistique de l’œuvre.


Or, par curiosité, j’ai acheté le même ouvrage en Haute Résolution sur Qobuz, Haute Résolution d’ailleurs pas vraiment éblouissante sur le papier puisqu’il s’agit de fichiers 24/44,1 (par opposition à du 24/96 ou 24/192).


Oui mais à l’écoute, quel choc !


On retrouve l’exact équilibre tonal et dynamique du vinyle (une succulence de densité du médium inégalable) ainsi que toutes les vertus de la captation d’anthologie de l’œuvre révélant l’épanouissement luxuriant de l’orchestre et la cohésion insurpassable des solistes tous parfaits, alors que ce fichier est possiblement issu du labeur effectué pour la remasterisation CD de 97 !!!!


Ce fichier est une révélation : le microsillon est émotionnellement talonné de très très près. Bon d’accord, avec une belle combinaison de lecture numérique, drive Lumïn et DAC Accuphase, câbles Absolue Créations.


Belle soit, mais pas superlative non plus.


Surprise plus grande encore en écoutant les fichiers HR des symphonies de Beethoven par Karajan 61-62 qui, opposés aux vinyles pourtant là aussi en premiers tirages numérotés, font disparaître des duretés (dues au pressage donc ?) et apparaître une ductilité onctueuse, des délicatesses inattendues, exposent un espace et une respiration magistraux et supérieurs au vinyle, même en mettant les moyens, révélant en même temps l’exacte atmosphère réverbérante du lieu d’enregistrement, à savoir la Jesus-Christus-Kirche, mais en apportant aussi une hardiesse et une plasticité sans précédent à cette version par ailleurs idéale.

Idem pour le War Requiem de Britten par Britten (et un Peter Grimes ahurissant), les Puccini par Karajan chez Decca, ou les célèbres Tchaïkovski de Mravinski chez DG…


Et je pourrais encore citer Glenn Gould (remasterisation remarquable), ou les Beach Boys (jamais entendus comme ça en microsillon), Elvis Presley, Miles Davis, Gainsbourg (pas tous), Keith Jarrett, les Doors, Lou Reed etc, comparables en émotion pure, à défaut de savoir confronter deux formes de bonheur…


Car bien sûr, il reste un indicible et insurpassable bien-être voluptueux à écouter des belles solutions analogiques et je reste sous l’ensorcellement de la superlative démo que nous avons pu faire avec une platine Acoustic Solid, un bras VIVlab, une cellule Stein et un préampli phono Aurorasound Vida monoblocks.

Mais il y a dorénavant une relativisation impérative à la manie monomaniaque d’opposer une technologie à une autre, là où les indécrottables partisans du microsillon avaient beau jeu de dénoncer la vacuité du CD, sentence honteusement exagérée mais plaidable à l’écoute raffinée des galettes noires ; avec pour détestable corollaire l’idée de devoir renoncer à plus de trente ans de culture, à savoir ce qui s’est passé après le dérapage commercial du microsillon vers le CD.


Or, je m’aperçois que depuis un petit moment déjà, sans avoir vraiment prêté attention à la transition, l’essentiel de mes écoutes et souvent de mes démos s’appuie sur le « démat » d’un côté et le microsillon de l’autre, le CD ayant quasiment disparu de mes habitudes, n’ayant plus grand-chose à défendre sauf évidemment pour ceux qui ont d’énormes collections ou ne peuvent envisager de renoncer au contact avec le boitier en plastique.

Ce qui était mon cas naguère encore avec une collection de quelques 6000 CD quasi intégralement transférée sur un NAS depuis. J’ai franchi le cap naturellement et n’éprouve pas le moindre regret ou manque si ce n’est parfois d’avoir immédiatement sous les yeux une information futile dans le livret, très facile à trouver sur la tablette, télécommande quasi-indispensable.


Au sujet de la dématérialisation, soyons clairs : mon utilisation est fondée sur le stockage de fichiers de qualité, soit rippés soigneusement sans perte, soit téléchargés et dès que possible en Haute Résolution, lus via des lecteurs réseau ou players performants, sachant que contrairement à une idée reçue ils ne se valent pas tous.


Le « streaming » direct, Deezer, Spotify ou autres, assez quelconque, ne me sert que pour découvrir avant d’acquérir ou pas tel ou tel opus. Et encore, je prends souvent le risque d’acheter directement les fichiers, ne croyant pas toujours pouvoir déterminer les idées raffinées d’un artiste par le streaming, même en qualité « Qobuz ». Essayez d’écouter le concerto de Tchaïkovski par Patricia Kopatchinskaja et Currentzis en streaming et l’audace affinée d’humour se transformera en insupportable pédanterie.

En revanche, via le téléchargement, je clame haut et fort que nous vivons une révolution qualitative, un bouleversement qui dresse un pont direct et sans limite artistique entre le foisonnement de l’analogique de la grande époque et le chambardement numérique enfin dégagé du carcan de la petite galette argentée contre lequel des fabricants talentueux se sont évertués à lutter pour en extraire la quintessence durant des décennies. Messieurs les créateurs, mettez tout ce savoir-faire à disposition des fichiers haute-déf, les mélomanes de tout poil vous en seront éternellement reconnaissants.


Je regrette évidemment que la transition du CD vers les fichiers téléchargeables se soient faite brutalement, imposant de commander sur le net alors qu’on aurait pu envisager une phase transitoire où nos disquaires favoris nous auraient conseillés habilement puis fourni une clef USB des disques sélectionnés ensemble, accompagnée d’un livret imprimé.


Oui, mais quels disquaires ? A quelques exceptions près, ils ont tous disparu et pas même au profit d’une grande distribution vorace qui se contente d’aligner les faibles assortiments dictés par les majors.


La seule communication humaine qui nous reste renvoie précisément au vinyle où des vendeurs de galettes noires d’occasion ravissent encore notre bonheur de la discussion, du partage, comme si un plaisir d’antan devait correspondre à une conception désuète de la relation entre un vendeur-conseiller et son client privilégié.


Alors, quitte à devoir consommer sa musique numérique sur Internet, autant que ce soit des fichiers plutôt que des CD. Au moins, 20 mn plus tard au pire, on peut en profiter, même si l’envie d’acquérir un « disque » vous prend en pleine fébrilité nocturne.
D’autant que pour les disques récents, la haute-définition n’apporte que du bonheur, London Grammar ou Lorde, Yves Rousseau ou Lorin Mc Salvant, le Tchaikovsky de Kopatchinskaja dont je parlais ci-dessus ou les sonates violon/piano de Beethoven d’Isabel Faust et Alexander Melnikov et tant d’autres procurent des frissons exceptionnels impossibles en CD.


Nous vivons une époque formidable où enfin nous pouvons espérer une qualité de support musical comme nous n’en avons jamais connue, possiblement en progression constante, à condition que les éditeurs ne sombrent pas dans la facilité d’une production de masse en MP3.


A suivre avec attention et délectation donc.

 

 


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