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Dominique Pifarely : Time Geography par Pierre-Yves DB


Dominique PIFARELY

Time Geography


POROS Editions

Par Pierre-Yves DB




Compositions de Dominique PIFARELY

Ensemble Dédales

Dominique PIFARELY : violon
Guillaume ROY : alto
Hélène LABARRIERE : contrebasse
Vincent BOISSEAU : clarinette, clarinette basse
François CORNELOUP : saxophone baryton
Pascal GACHET : trompette, bugle
Christiane BOPP : trombone
Julien PADOVANI : piano
Eric GROLEAU : batterie  



D’après le dico, un ensemble formé de 9 musiciens, femmes ou hommes, est un « nonette ». Que l’ensemble en question ait pour nom Dédales ne change rien à l’affaire, c’est un « nonette ».


J’ai beau objecter que « nonette » ça sonne pas terrible à mon goût, on me rétorque que ça vient de très loin, du latin pour tout dire, et qu’il serait bien impertinent, voire outrecuidant, celui qui s’aviserait de contester nos origines langagières. Y’a pas à ergoter, c’est comme ça et pas autrement, c’est un « nonette » qu’on vous dit !

Je n’en pense pas moins (tout de même, le nonette Dédales…), mais allez discuter avec un dictionnaire.

Encore heureux que ce ne soit pas une nonnette, le petit gâteau rond super sucré fabriqué au départ par des nonnes, d’où son appellation, qui parfume encore un recoin de mon enfance, comme la madeleine à Proust quoi.

D’autant plus que, étymologiquement, une nonnette est une jeune nonne, donc une seule personne, soit le contraire d’un ensemble. Faudrait alors dire un ensemble de nonnettes, donc un couvent…
Franchement, le couvent Dédales, ce serait pas mieux du tout et, enfin, pas vraiment approprié au mélange de musiciens mâles et femelles, même ayant de la religion.


On pourrait peut-être tout bonnement s’en tenir au nombre neuf, mais là le doute m’assaille. Imaginez un peu un orchestre baptisé « Marcel JAUNET et ses neuf têtes », hydre d’un genre particulièrement ridicule ou alors…une autodérision bien salutaire par les temps qui courent, loin de l’hubris affichée par certains. Il reste que l’esthétique en prend un sale coup derrière les oreilles.

Ensemble Dédales : c’est simple, c’est élégant, ça interroge.

Pour l’anecdote, cet ensemble, fondé en 2005 par Dominique PIFARELY, n’a publié que 2 enregistrements : Nommer chaque chose à part en 2009 et Time Geography en 2013.


A priori, c’est davantage le signe de l’authenticité et d’un aboutissement artistique, même éphémère, que celui d’une pure logique mercantile…



Dominique PIFARELY : « La musique comme lieu d’exploration de notre rapport au monde n’a de labyrinthique, éventuellement, que le chemin personnel qu’on y trace. Mais le labyrinthe, de prison est aussi devenu un jeu, et chercher son chemin, un impératif… Entendre l’effort, c’est entendre le mouvement de la pensée, c’est percevoir le déplacement physique, sensible, du discours musical et donc la possibilité de faire le chemin soi-même…».    

Time Geography : 5 pièces.

Ordinary chaos

Tension grise dans le sombre. Piano gardien des portes et maître des clés.
D’instants chavirés en errances ouvertes, on cherche l’air.
Batterie comme pierre qui roule, fuite à se cogner la tête contre les murs, plaintes dures…
Tout à coup, fortuite, presque décalée, naît une badinerie amoureuse entre la basse et le sax baryton, comme un morceau de ciel permis par la libération du vent.
Exploration de l’espace conquis, illusoire, comme retenue par un fil.
L’harmonie s’installe, brève mais sublimée par l’effort.
Métamorphoses du temps présent.   


Per angusta

Intervalles étroits… Où se glisser ?
Trame tissée sur un arc de brumes éthérées, zébrées de clair et d’obscur.
Nasse des cordes emprisonnant l’oiseau. Étirements paradoxaux entre le triste et le rire.
Jeux polyrythmiques, patchworks de l’alto striant les ostinatos graves s’organisant peu à peu en ritournelle concertante, façon groove néo-orléanais.
Lutte de pupitres enfin dominés par le trombone a capella. Alliance magique voix/métal, comme dédoublée.
Complainte amère se transposant à l’envers et mourant en unisson.   


Slow science

Questions/réponses en motifs interrompus où bribes et fragments se mêlent.
Tempo juste souligné, cheminements qui se nourrissent des parcours accomplis.
Trompette Parkerienne, modulation en escalier.
Violon complètement déjanté sur des incantations sourdes…
Bruit et fureur, structuration/déstructuration d’un monde de nuances. 


Beirut work song

Jalons jetés, serpents issus du tréfonds repoussés en surface…
Emmêlements et étouffements sur une pulsation de vie, rageuse, annonçant la marche.
Embrasements et renaissances, cacophonie des haleines.
Reprise de la marche en enfermement, comme une toile ironique de BRUEGEL, où persiste malgré tout la dominance de l’humain et la concordance des temps…


Chaos, ancient noises

Eloge de l’inachevé et de la rupture.
A bout de souffle.
Jeux de rimes et espoir de danse à la manière ancienne.
Echappée belle, unique et inquiète.
Retour s’intégrant à la mémoire.



L’écoute de Time Geography ne peut être superficielle ou simplement distancée, tant l’œuvre est exigeante et demande d’implication, si l’on veut accompagner la progression de la pensée mais aussi ressentir, de façon la plus organique possible, l’occupation du temps et de l’espace réalisée par l’ensemble Dédales.

Même si la musique, intemporelle par essence, est toujours finalement occupation de temps et d’espace, sont ici continuellement perceptibles les mutations/migrations nées de l’intention et de la liberté (le mouvement de la pensée) qui lui confèrent puissance et originalité.  
Violoniste de grand talent et compositeur inspiré, Dominique PIFARELY se révèle aussi en véritable dramaturge.

Son art d’agréger les motifs, de les rendre protéiformes, de les dissocier et de les réunir, de leur insuffler cette tension et cette mobilité constantes, lui permet de tisser une sorte de canevas où s’exposent et se rassemblent, de façon quasi autonome, les séquences réunissant en miroirs pluriel et singulier, tout en exprimant leurs couleurs comme leurs apparences propres.

L’histoire ou plutôt les histoires naissent du mouvement, de l’effort, et prennent sens au fur et à mesure qu’elles se racontent. En l’absence de continuum préparé, la pérégrination peut ainsi emprunter des voies diverses, sans craindre de se retrouver au point de départ. Un peu comme si la composition n’était qu’un prétexte (l’apport du vocabulaire) et non l’alpha et l’oméga du cheminement musical.

Situé à la croisée des tessitures et des timbres, le saxophone baryton de François CORNELOUP (mais pas que lui…) illustre à merveille cette perpétuelle recherche de l’aller-retour entre formes ouvertes et écrites qui concourt à rendre tangible l’ancrage autour duquel s’articule le discours collectif ; à la manière d’un feu follet explorant sans cesse l’espace laissé libre par l’agencement des thématiques.
La dynamique issue de la conjonction des intentions et de l’expression engendre alors d’elle-même l’arc en ciel sonore qu’est la signature identitaire de l’ensemble Dédales.

Mais un arc en ciel mutant, couleurs dont le prisme varie sans cesse et sans cesse au gré des climats vagabonds, au gré du cri et du chuchotement, au gré de nos propres résonances.   

Du chaos ordinaire qui s’inscrit dans ma mémoire, je retiens le cheminement intérieur, le regard tourné en soi… Ils permettent la rencontre comme le partage, si nécessaires à la liberté de l’être.


Dominique PIFARELY : « …Sans doute un enjeu de la musique aujourd’hui : reconquérir cette capacité à vivre la musique activement, et le partage de l’effort qui la fait naître… »  

Une démarche profondément humaniste, non ?

 


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