ambrose-akinmusire

Ambrose Akinmusire


18/10/18

Ambrose Akinmusire Quartet

 

Alors que sort son nouvel album, « Origami Harvest », le très novateur trompettiste Ambrose Akinmusire a entamé une tournée européenne avec ses complices habituels, à savoir Sam Harris : piano, Harish Ragahavan : contrebasse, Justin Brown : batterie.

« Origami Harvest » ayant une orientation très multiforme, maelstrom calme où se croisent jazz(s), quatuor à cordes, rap et poésie, œuvre complexe et très audacieuse, un rien cérébrale peut-être, nous étions ce soir de concert bien plus dans la veine de son live au Village Vanguard. Avec les mêmes musiciens je crois.

Soirée formidable dans le doux confort de la petite salle Paul Fort.

Formidable parce que le niveau de musique était élevé, Ambrose Akinmusire particulièrement inspiré, et ses musiciens à fond à défaut d’être joyeux car il y avait un côté très sérieux dans tout ça…

AA ouvre le bal par une longue introduction solo saisissante faite de variations subtiles de timbres et hauteurs autour d’une série de notes contiguës répétées en salves dans un souffle quasi continu, impressionnante entrée en matière qui aurait pu n’être que démonstration de virtuosité et technique pure, mais pas du tout : la hardiesse de l’idée disparaît tout simplement derrière la beauté, la poésie et l’intelligence aussi…

Ce sera ainsi toute la soirée, alors que la musique malaxe complexité, sensualité et turbulence, d’inspirations les plus diverses mais toujours totalement idéalisées, stylisées, personnelles. La trompette d’Ambrose gardera imperturbablement le cap d’une rigueur narrative concentrée ; et si la dextérité est indéniable, point sur lequel je ne l’attendais pas - plus intéressé depuis ses débuts par l’inventivité permanente de son univers que par une éventuelle virtuosité technique -, jamais elle n’est gratuite ; à quelque moment que ce soit de son discours, direct ou alambiqué, à peine insufflé ou luisant de puissance dans des enchaînements stupéfiant d’adresse et d’idées, Ambrose raconte une histoire et s’y tient. Ce n’est pas si fréquent cette agréable sensation d’être en face d’un homme qui, dans une langue qui vous est totalement inconnue, vous raconte une histoire avec une passion telle qu’il vous subjugue par son intensité infusant un sens profond au propos mystérieux.

Même le lyrisme ne dévie pas de la narration, n’existe jamais par pur esthétisme. Festival de nuances et de couleurs, la trompette délivre éclat, murmure, sensibilité, tout et son contraire, et nous entraîne dans ses délires en clarifiant habilement le texte des idées qui les sous-tendent. Quel bonheur.

La puissance rythmique ou virtuose de ses partenaires suit l’entrain du patron qui leur laisse beaucoup de place et Justin Brown est possiblement plus présent, au moins aussi riche d’adresse, de timbres, de plans et de variété de jeu, que le boss, avec une liberté créative qu’une incroyable vitesse et précision de frappe lui octroient sans jamais négliger les nuances de toucher rarement aussi incisives et variées : un batteur d’anthologie sans aucun doute…

Pourtant…

… Parlons un peu de Justin Brown justement : s’il constitue un spectacle à lui seul, si une grande partie de la folie de la soirée a reposé sur lui, la luminosité de ce génial musicien vampirise parfois ses partenaires par une affirmation de soi, une sérénité de génie, un jaillissement permanent de brio qui escamote un peu les autres acteurs, et on se demande dans quelle mesure un duo n’aurait pas suffi. A preuve ce qui est probablement l’acmé du concert, cet arrêt du temps où Trompette, Contrebasse, Piano répètent une unique note scandant une progressive accélération rythmique jusqu’à l’incandescence sur laquelle Justin Brown s’envole comme sans effort pour atteindre une vélocité dépassant l’entendement, lui donnant la vedette incontestable. Nul reproche évidemment dans cette conquête de l’espace, un constat tout simplement dans lequel il n’est pas seul responsable.

Le contrebassiste au nom compliqué n’y est probablement pour rien, il semble particulièrement vif et adroit. Mais voilà : pourtant au 7ème rang et parfaitement centré, pile en face d’Ambrose, je n’entendais de la contrebasse qu’un bourdonnement lourd sans couleur, sauf dans les moments où il jouait seul qui prouvaient un talent émérite.

Le reste du temps, du fait de la sonorisation ratée de son instrument et de la présence foudroyante de Justin Brown, je le voyais tricoter des doigts avec une sensationnelle vivacité mais entendait le pire grave magmatique que la hifi aime souvent, totalement dénué de lisibilité.

 

Et puis Sam Harris le pianiste…

… bah, que dire ? S’il démontrait (et c’est le mot), dans ses moments solistes, une capacité à enchaîner des accords tordus, furieusement discordants et passionnants, lui aussi à une vitesse de Kalashnikov et avec une puissance de marteau-piqueur, de ces deux outils de destruction il partageait également le sens de la nuance.

Pas de phrasé, même dans les moments soft. Pourquoi pas d’ailleurs, si c’est un choix ; mais la pauvreté du swing et la simplification des modulations à deux niveaux de jeu - doux mais sans modulation ou tonitruants -, me font douter.

Ce qui retirait beaucoup d’intérêt à ces instants qui auraient pu être magiques d’un croisement ou surimpression de timbres sur les mêmes notes que la trompette d’Ambrose.

 

Bien sûr, on peut imaginer une volonté derrière cette opposition de style, mais je n’y crois guère. Je pense que si c’était entièrement maîtrisé, l’idée ne serait pas systématiquement utilisée et, qui plus est, Harris aurait pu moduler son jeu dans les longues plages où il jouait seul. Mais non. Une succession d’accords certes impressionnants plaqués à grande vitesse sur un clavier qui n’en pouvait mais, accords en outre un peu répétitifs à la longue, mélodiquement et rythmiquement.

 

En résumé, Ambrose nous embarque avec malice dans ses histoires, saynètes ou épopées singulières, débridées ou intérieures, Justin Brown nous submerge  dans sa nova, le bassiste s’agite vainement et le pianiste massacre son clavier sans un instant de lyrisme.

Début de la tournée peut-être ? Des petites choses à caler ? J’en doute car en réécoutant le live au Village Vanguard, je vérifie que si Harish Ragahavan y avait la légitimité dont nous avons été un peu privés ce soir, Sam Harris est bien le même.

En conclusion : le génie musical d’Ambrose, interprète ou compositeur, accompagné de musiciens au talent herculéen, a offert des moments sublimes, mais la musique n’a pas été transcendée par la complicité où la grâce comme il y a quelques mois lors d’un concert réunissant Emler, Ducret, Tchamitchian et Echampard par exemple.

Qu’importe car indéniablement, j’ai passé une formidable soirée !

Sans blague.


En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez le dépôt de cookies tiers destinés à vous proposer des contenus de plateformes sociales et réaliser des statistiques de visites.

En savoir plus