ppfff ava II

le pas de côté


Dans le cadre du développement en cours d’un mégaprojet sur plusieurs années, ppfff a profité des études pour créer une nouvelle version de AVA, AVA II donc, qui vient se placer en parallèle de la I, ne la remplace pas, mais, alors qu’elle n’utilise pas d’électro-aimant, va plus loin dans la transparence, la définition et la sensibilité, au prix, peut-être d’un peu moins de « confort ».

 

Totalement anti-spectaculaire ou racoleuse, AVA II est à la fois somptueuse, d'une sensibilité à fleur de peau et d'une densité permanentes, ce qui signifie qu’elle préserve l’évidence organique sur les notes les plus faibles, mais est capable de pousser les murs quand il le faut.

 

Modulation à tous les étages, des decrescendo jamais entendus, une véritable expérience troublante de vivre cette atténuation progressive des incursions dynamiques, une capacité à structurer la mise en scène architecturée par les musiciens (quand c’est le cas évidemment).

Ainsi, la théâtralité inouïe du génial « Anarchytektur »  d'Einstürzende Neubauten (16/44) où soudain la puissance tellurique explose mais tout en maintien, donnant presque l'impression d'une moindre dynamique que d'habitude (même si nous n'avons pas éprouvé le besoin de comparer) tant c'est contrôlé, accompagne des effets de scène millimétrés, une prise de possession de l’espace multidimensionnel transformant l’œuvre en une scénographie palpable visible car c’est à ça que nous invite l’ensemble qui nous transporte : on est au spectacle, on voit cette chorégraphe jouée dans un théâtre pourtant synthétique, le show est total par son intensité physique, sa folie perturbante soulignant l’expressionisme parfois glaçant et toujours envoûtant d’Einstürzende Neubauten.

 

Les jeux de boisé d'un naturel suprême sur le Quatuor n°8 opus 110 de Shosta par Borodine (1960) en HR ne forment plus un disque d’accrétion mais une matière noble qui soutient les modulations curvilignes des cordes où le grain des archets fleure bon la colophane, totalement débarrassé de l'acidité habituelle révélant une hyper expressivité dans le haut du spectre, une douceur fruitée, des vibratos sensibles délimitant l'espace de chacun, des nuances sur les vagues entremêlées mais ici si parfaitement délimitées dans la vérité de timbre et de matière de chaque instrument.

 

Il faut redire que la façon de l’ensemble (Lumin U1 + Majestuoso II + Kondo Ouverture II + ppfff AVA II) de délinéer les espaces sonores sur ce quatuor de Shosta, ou sur les harmoniques sublimes et la vocalité frémissante de Janine Jansen jouant Debussy où Yves (les habitués comprendront) pensait écouter un fichier HR (pas du tout) ne connaît aucun équivalent, sauf à la rigueur en vinyle.

 

Même sensation des matières créant leur propre structuration spatiale dans l'orchestre de Mason Bates (HR) où, évitant la plus extrême confusion, la lisibilité impose une vérité de chaque instant plus structurée qu'au concert.


Inflexions prodigieuses dans l'extrême grave sur « Why » de Dani Siciliano (16/44) où j'ai vu mes collaborateurs bondir sur des notes d'infra grave jamais entendues et là poussées avec force. Sur le même titre, le piano devient un vrai piano, prenant place très en devant des enceintes, alors que les voix sont plusieurs mètres derrière, les « re-re voicodés » parfaitement étagés et quasiment exempts des distorsions qu'on a l'habitude d'entendre, en dépit d'une hygrométrie à 25%, un record bas au magasin qui durcit la restitution.

Là encore, la réalité de la scénographie composée avec maestria par l’ingénieur du son prend tout son sens…

Mêmes constats sur « keep me in your shake » extrait d’Adrian Thaws (HR), où nous sommes surpris d’entendre au bout de quelques mesures une voix parlant distinctement et jusqu’alors entremêlée au débit si particulier de Tricky qui s’enrichit d’une densité nouvelle, d’un sens de l’articulation au service du mot, un phrasé véritable et unique. Le génie du son du Kid est ici parfaitement inscrit, comme le dit un auditeur indépendant venu nous rendre visite, dans une quatrième dimension, au-delà de la prise de possession de l’espace et du temps où les gémissements entre sensuels et douloureux de Nneka placée nettement en arrière et comme en surplomb du Kid, prennent un sens profond dans les courbes narratives de l’opus. Mais la plus grande surprise vient précisément des battements dans l’extrême grave déphasé (Shake) qui dans le meilleur des cas passent de droite à gauche en semblant creuser le sol et avec le Majestuoso II partent loin derrière la ligne de front principal pour revenir à gauche avec une totale séparation des lignes harmoniques des battements et de l’effet d’infra abdominal qui suivent un chemin différent pour se rejoindre au final. Stupéfiant. Là encore, grâce aux AVA II, bien sûr, l’effet ne s’entend pas partout.

C’est d’autant plus intéressant que le Majestuoso II ne sublime rien ; à preuve « Strange Fruit » extrait de New Moon Daughter (HR) de la grande Cassandra Wilson où précisément un mixage très audiophile (au sens où tous les effets sont appuyés et donnent une sorte de gros son en apparence très buriné et précis) révèle des placements dispersés au bonheur dans l’espace qui n’en constituent jamais un ni plausible, ni réinventé, mais simplement grotesque, une trompette qui fait des allers-retours d’avant en arrière dans un tuyau évasé, une guitare de dimension surnaturelle et une voix placée à peu près n’importe comment, surlignée à l’excès par une présence surchargeant une interprétation déjà pas très sobre au moins compensée par une richesse de timbre, une profondeur vocale qui pardonne beaucoup à un surjeu façon Sarah Bernhardt d’autant plus regrettable que Cassandra Wilson est indubitablement une immense artiste.

 

Et dans le même exercice, le « tango till they’re score » de Madeleine Peyroux (HR) révèle au contraire une complicité pleine d’humour entre les musiciens, tous à leur place, sans emphase en dépit d’une mise en onde légèrement outrée, le DG68 Accuphase enrichit copieusement le timbre de Madeleine, sépare nettement la chanteuse de « l’environnement de la contrebasse » mettant en valeurs des nuances de chants, des sourires dans la voix, des clins d’œil, une distance lyrique évitant de se prendre au sérieux, c’est absolument jubilatoire !

On continue ?

Allez :

Le piano de Dariil Trifonov dans les études transcendantes de Liszt (HR) acquiert une dimension physique donnant un poids et un aplomb plausible à l’instrument qui prend place dans la pièce sous le déferlement rythmique des phalanges d’acier du jeune prodige et révèle qu’avoir la tête dans un piano n’est pas promesse que de beauté, lorsque les entrailles s’entendent comme c’est le cas ici. Mais quel beau disque, indispensable !

 

Le 5ème mouvement du concerto pour violon de Ligeti sous les doigts agiles et espiègles de Patricia Kopatchinskaja et la direction de Peter Eötvös prend un sens différent et en devient facile, tout en nous contraignant à une concentration de chaque seconde tant les idées se bousculent, les élans foutraques, les fougues inspirées, l’ironie jubilatoire, le tout dans un festival de couleurs, le violon de la demoiselle si à son aise dans l’exercice alambiqué, ardu, est concrètement implanté dans la pièce, tout comme les éclats de gemme d’un orchestre au moins aussi inspiré par son chef qui, lancés dans un dialogue anti-neurasthénique, diffusent un bonheur tout à tour frémissant, puissant, errant, amusant, perturbant, enthousiasmant, décryptant avec une facilité déconcertante cette apparente farce grimaçante ou maligne.

 

Le Chant de la Terre, version Ludwig / Klemperer, « der Abschied » est si bouleversant, placé par un DG68 Accuphase (et le système complet intégrant l’Overture II) dans Kingsway Hall, un saut dans le temps presque dérangeant nous invitant à suivre les mouvements de Christa Ludwig dialoguant avec les musiciens très exposés par le choix de direction d’Otto Klemperer où soudain apparaît qu’ils ne sont pas infaillibles, même dans le prestigieux Philharmonia, des petits instants d’hésitation, des notes un peu écourtées ou tremblées donnent une humanité plus vive encore à ce bouleversant moment de musique, on regarde les musiciens disséminés en profondeur dans la grande salle chacun dans son espace, répondant à la plainte frémissante de Madame Ludwig, car Klemperer n’a pas voulu un écrin tel Bruno Walter pour l’immense Kathleen Ferrier, mais un échange où chacun prend la parole, participe, enrichit le texte.

 

Anne-Sofie von Otter chantant « Pierre » accompagnée par Brad Meldhau (streaming HR depuis Qobuz) suggère un instant d’intimité si soutenu que la rue bruyante qui jouxte le magasin semble s’imposer le silence, car la densité des silences habités sculpte jusqu'à l'espace extérieur. Le DG68 retire toute préciosité à l’exercice de la noble Anne-Sofie, met en exergue sa minutie délicate, le respect du texte, le chant irréprochable et débarrassé de tout accent, encore un moment d’exception. Et bien sûr, le devoir de se lever pour un baisemain lorsque la dernière note s’éteint lentement, remercier Madame Von Otter pour sa trop brève visite.

 

Le mystérieux « Transit » de David Sylvian (16/44) voit la dimension ténébreuse accrue encore par la très grande définition du Majestuoso II, le clair / obscur révèle une trame plus fine, un grain plus délicat et une gamme de gris plus veloutée, un verdict impressionnant.

 

Et enfin, à la demande d’Yves, nous allons aussi écouter Bridge n°1 de Marc Ducret et ses complices où les astuces, complexités, croisements rythmiques ou harmoniques, les échos de chaque musicien dans les angles détors de l’autre, renforcent la sensation d’une complicité faite de sourires mais aussi de niches et clins d’œil, d’idées très écrites et de petites fantaisies créatives dans les espaces de liberté qu’on découvre soudain plus nombreux.

 

Je pourrais continuer longtemps comme ça car chaque disque révèle des pépites créatives, des trésors enfouis parfois, sans jamais transformer à la mode « hifi » l’ombre en lumière, mais faisant apparaître un délicat modelé dans les parties sombres, des jeux glissants de lumière dans les éclats solaires, des liens coloristes dans une palette infinie et infiniment changeante, mettant en évidence des inepties parfois aussi, aberrations de prise de son ou mixage ou masterisation ou pire encore, révélant qu’un artiste bien aimé est en fait assez pâlot, mais tant pis, tant que le lien est artistique, telles précisions musicales sont les bienvenues !


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