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Journal intime : extension des feux


JOURNAL INTIME

Extension des feux


Par Pierre-Yves DB


Label NEU KLANG

Compositions de Frédéric GASTARD

Journal Intime Trio

Sylvain BARDIAU - trompette
Frédéric GASTARD - saxophone basse
Matthias MAHLER - trombone

&

Marc DUCRET - guitare
Vincent PEIRANI – accordéon  


Au seul aperçu du titre de l’album « Extension des feux », dernière création de JOURNAL INTIME, j’imaginais Fred GASTARD en bleu de chauffe, arc-bouté sur son saxe basse tel un Vulcain moderne, rugissant des volutes de braises et de cendres mêlées, allumant partout des incendies plus ou moins volontaires avec une jubilation non dissimulée.

Souvenir assez prégnant des concerts de TOWER 1 et de TOWER-BRIDGE, formations organisées par Marc DUCRET, où il instillait jusqu’à l’overdose un groove incandescent, expression de son sens phénoménal du tempo et de l’accentuation.
Dans la confrérie des lanceurs de pétards, Matthias MAHLER, acteur très actif de ces deux aventures, n’était pas en reste, capable lui aussi, j’en atteste, d’enflammer n’importe quel pupitre de soufflants et son voisinage immédiat.

A 1ère vue donc, il devait s’agir ici d’un authentique brûlot, pour peu que Sylvain BARDIAU, Marc DUCRET et Vincent PEIRANI aient de leur côté décidé de mettre le feu aux poudres. Ce que tout laissait présager…    

Voilà, je m’installe, une bouteille d’eau à proximité, faute d’extincteur, pour parer au risque d’être consumé sur place et je lance l’écoute en espérant arriver intact au bout des trois suites proposées (encore 3, c’est une manie).


Orage à Tonnerre (ça promet)
      
Introduction en forme d’ouverture cuivrée, d’une étrange beauté, déclinant sur un ostinato de métal (anches de PEIRANI) et finissant par un léger grondement évocateur d’inquiétude.
Lente mélopée mariant guitare et trompette sur une trame d’orgue tenu à six mains (accordéon -trombone - saxe). Sentiment d’attente quasi intimiste.
Emancipation des teintes dominées par la flamboyance du cri. Jeux de répons comme des éruptions/éructations chavirant dans un vertige de boucles furieuses.
Bégaiements d’odeurs sur fond de marche clopinante qui accélère et accélère jusqu’à trouver le tempo.
Groove ponctué des rires de la cohorte avant qu’elle reprenne haleine dans un rêve de silence. 



Chroïd

Entrée du derviche au cœur du cercle processionnel fiévreux et entêté, au bord du collapsus. Final somptueux du 1er mouvement.
Successions anarchiques d’espaces et de haies dans un ciel de lave. Fanfare égarée à la recherche de l’accord parfait qui, une fois découvert, se désagrège.
Chœur vaguement soul plein d’échardes. Alternances rage/douceur en jeux d’aller-retour. Funk incantatoire balbutiant un passé futur dans la langue des étincelles.

Les 38 Lunes

Balade impressionniste dans l’Eden multicolore, obsédée par le réveil de la bête. Course éperdue s’achevant en farce racontée en même temps par plusieurs voix et laissant des traces rituelles en forme de tâches orange.
Instants où la musique se fait matière qu’on étire, qu’on triture. Quand le rythme-vie naît du souffle, phrases modulées comme des éclats de chant, en écarts découpés à la lame de l’indifférence barbare.
Effleurements et fuites, retrouvailles sur fond d’obscur. Paix très fragile, très…  


50 minutes plus tard, ou à peu près.


Je n’ai pas vu le temps passer, pas un moment de fléchissement, passionné de bout en bout…et physiquement intègre, enfin il me semble.

J’hésite à utiliser ce terme, tellement galvaudé ces jours-ci : polymorphe.
Il m’apparaît pourtant parfaitement définir un « son d’ensemble » qui serait comme l’empreinte de ce JOURNAL INTIME augmenté (DUCRET + PEIRANI).
La fusion (dans tous les sens) est évidente. Si l’ouvrage porte bien la signature de Frédéric GASTARD, l’implication de ses partenaires dans la réalisation globale du projet est telle qu’on jurerait qu’ils ont tous le même ADN.

Comme quoi, parfois, le talent se mesure au taux d’humilité.

Pas d’explosion brutale, outrageusement annoncée ou mise en scène par un quelconque monsieur Loyal se trompant d’endroit et d’époque.
La liberté engagée et revendiquée hors des chapelles brille de ses propres feux sans jamais avoir à se réclamer d’une mouvance ou d’un genre.
La granulation des timbres, le chatoiement des reflets et des couleurs, les subtiles textures harmoniques et rythmiques, la richesse des variations, la puissance des intentions, l’urgence des propos s’articulant en mots-notes comme autant de flashes, l’évidence des climats superposés, les nuances habitées s’expriment sans fard et viennent percuter un monde chloroformé par les vaines redites.  

« Extension des feux » à comprendre aussi, peut-être, comme devenue possible par l’abolition des barrières, des frontières inventées de toutes pièces.
Les lueurs intérieures cheminent alors et se propagent au gré des contrepoints pensés en autant de passerelles reliant les images aux songes.  
Certes, les sentiers empruntés ne sont pas faciles et s’arrêtent souvent net au bord du précipice. Pourtant on ne ressent aucune frustration tant la rupture est elle-même partie du verbe et participe au charme, comme le soupir, comme le non-dit, comme la pause après le geste.    


Chapeau bas, messieurs et un immense merci.    
 

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