les concerts

Ambrose Akinmusire


18/10/18

Ambrose Akinmusire Quartet

 

Alors que sort son nouvel album, « Origami Harvest », le très novateur trompettiste Ambrose Akinmusire a entamé une tournée européenne avec ses complices habituels, à savoir Sam Harris : piano, Harish Ragahavan : contrebasse, Justin Brown : batterie.

« Origami Harvest » ayant une orientation très multiforme, maelstrom calme où se croisent jazz(s), quatuor à cordes, rap et poésie, œuvre complexe et très audacieuse, un rien cérébrale peut-être, nous étions ce soir de concert bien plus dans la veine de son live au Village Vanguard. Avec les mêmes musiciens je crois.

Soirée formidable dans le doux confort de la petite salle Paul Fort.

Formidable parce que le niveau de musique était élevé, Ambrose Akinmusire particulièrement inspiré, et ses musiciens à fond à défaut d’être joyeux car il y avait un côté très sérieux dans tout ça…

AA ouvre le bal par une longue introduction solo saisissante faite de variations subtiles de timbres et hauteurs autour d’une série de notes contiguës répétées en salves dans un souffle quasi continu, impressionnante entrée en matière qui aurait pu n’être que démonstration de virtuosité et technique pure, mais pas du tout : la hardiesse de l’idée disparaît tout simplement derrière la beauté, la poésie et l’intelligence aussi…

Ce sera ainsi toute la soirée, alors que la musique malaxe complexité, sensualité et turbulence, d’inspirations les plus diverses mais toujours totalement idéalisées, stylisées, personnelles. La trompette d’Ambrose gardera imperturbablement le cap d’une rigueur narrative concentrée ; et si la dextérité est indéniable, point sur lequel je ne l’attendais pas - plus intéressé depuis ses débuts par l’inventivité permanente de son univers que par une éventuelle virtuosité technique -, jamais elle n’est gratuite ; à quelque moment que ce soit de son discours, direct ou alambiqué, à peine insufflé ou luisant de puissance dans des enchaînements stupéfiant d’adresse et d’idées, Ambrose raconte une histoire et s’y tient. Ce n’est pas si fréquent cette agréable sensation d’être en face d’un homme qui, dans une langue qui vous est totalement inconnue, vous raconte une histoire avec une passion telle qu’il vous subjugue par son intensité infusant un sens profond au propos mystérieux.

Même le lyrisme ne dévie pas de la narration, n’existe jamais par pur esthétisme. Festival de nuances et de couleurs, la trompette délivre éclat, murmure, sensibilité, tout et son contraire, et nous entraîne dans ses délires en clarifiant habilement le texte des idées qui les sous-tendent. Quel bonheur.

La puissance rythmique ou virtuose de ses partenaires suit l’entrain du patron qui leur laisse beaucoup de place et Justin Brown est possiblement plus présent, au moins aussi riche d’adresse, de timbres, de plans et de variété de jeu, que le boss, avec une liberté créative qu’une incroyable vitesse et précision de frappe lui octroient sans jamais négliger les nuances de toucher rarement aussi incisives et variées : un batteur d’anthologie sans aucun doute…

Pourtant…

… Parlons un peu de Justin Brown justement : s’il constitue un spectacle à lui seul, si une grande partie de la folie de la soirée a reposé sur lui, la luminosité de ce génial musicien vampirise parfois ses partenaires par une affirmation de soi, une sérénité de génie, un jaillissement permanent de brio qui escamote un peu les autres acteurs, et on se demande dans quelle mesure un duo n’aurait pas suffi. A preuve ce qui est probablement l’acmé du concert, cet arrêt du temps où Trompette, Contrebasse, Piano répètent une unique note scandant une progressive accélération rythmique jusqu’à l’incandescence sur laquelle Justin Brown s’envole comme sans effort pour atteindre une vélocité dépassant l’entendement, lui donnant la vedette incontestable. Nul reproche évidemment dans cette conquête de l’espace, un constat tout simplement dans lequel il n’est pas seul responsable.

Le contrebassiste au nom compliqué n’y est probablement pour rien, il semble particulièrement vif et adroit. Mais voilà : pourtant au 7ème rang et parfaitement centré, pile en face d’Ambrose, je n’entendais de la contrebasse qu’un bourdonnement lourd sans couleur, sauf dans les moments où il jouait seul qui prouvaient un talent émérite.

Le reste du temps, du fait de la sonorisation ratée de son instrument et de la présence foudroyante de Justin Brown, je le voyais tricoter des doigts avec une sensationnelle vivacité mais entendait le pire grave magmatique que la hifi aime souvent, totalement dénué de lisibilité.

 

Et puis Sam Harris le pianiste…

… bah, que dire ? S’il démontrait (et c’est le mot), dans ses moments solistes, une capacité à enchaîner des accords tordus, furieusement discordants et passionnants, lui aussi à une vitesse de Kalashnikov et avec une puissance de marteau-piqueur, de ces deux outils de destruction il partageait également le sens de la nuance.

Pas de phrasé, même dans les moments soft. Pourquoi pas d’ailleurs, si c’est un choix ; mais la pauvreté du swing et la simplification des modulations à deux niveaux de jeu - doux mais sans modulation ou tonitruants -, me font douter.

Ce qui retirait beaucoup d’intérêt à ces instants qui auraient pu être magiques d’un croisement ou surimpression de timbres sur les mêmes notes que la trompette d’Ambrose.

 

Bien sûr, on peut imaginer une volonté derrière cette opposition de style, mais je n’y crois guère. Je pense que si c’était entièrement maîtrisé, l’idée ne serait pas systématiquement utilisée et, qui plus est, Harris aurait pu moduler son jeu dans les longues plages où il jouait seul. Mais non. Une succession d’accords certes impressionnants plaqués à grande vitesse sur un clavier qui n’en pouvait mais, accords en outre un peu répétitifs à la longue, mélodiquement et rythmiquement.

 

En résumé, Ambrose nous embarque avec malice dans ses histoires, saynètes ou épopées singulières, débridées ou intérieures, Justin Brown nous submerge  dans sa nova, le bassiste s’agite vainement et le pianiste massacre son clavier sans un instant de lyrisme.

Début de la tournée peut-être ? Des petites choses à caler ? J’en doute car en réécoutant le live au Village Vanguard, je vérifie que si Harish Ragahavan y avait la légitimité dont nous avons été un peu privés ce soir, Sam Harris est bien le même.

En conclusion : le génie musical d’Ambrose, interprète ou compositeur, accompagné de musiciens au talent herculéen, a offert des moments sublimes, mais la musique n’a pas été transcendée par la complicité où la grâce comme il y a quelques mois lors d’un concert réunissant Emler, Ducret, Tchamitchian et Echampard par exemple.

Qu’importe car indéniablement, j’ai passé une formidable soirée !

Sans blague.


Folle Journée 2017


6 février 2017

 

Les Folles Journées 2017 dont le thème était LE RYTHME DES PEUPLES

 

Vaste programme.

J’ai personnellement trouvé qu’un aussi beau thème avait été un peu sous-exploité et que la programmation s’était égarée dans quelques complaisances, mais j’admets aussi la difficulté paradoxale de devoir ratisser large en audience et musiques et artistes.

Et puis je suppose que la jauge finale donne raison aux organisateurs.

J’ai toutefois l’impression d’une légère baisse de régime et d’humeur, y compris dans les équipes et les couloirs, les coursives. Problèmes politiques entre mécènes et organisateurs ?

Petite année pour moi, en quantité de concerts au moins, j’ai eu un peu de mal à pointer des instants qui auraient pu m’intéresser, exercice d’autant plus compliqué que je dois respecter les horaires du magasin.

 

Premier concert le samedi soir, dans la salle 800 places que j’aime beaucoup :

Percussions japonaises, par Eitetsu Hayashi et l’ensemble Fu-Un no Kai.

L’art du Wadaiko à son sommet !

Dès l’entrée dans la salle, on est immédiatement fascinés par ces grands tambours, trois taïko(s), deux Nagado Daiko disposés sur la scène encadrant un énorme Odaiko (euh...).

Les cinq percussionnistes, en tenue traditionnelle revisitée, entrent dans la pénombre portant leur Okedo Daiko et commence un spectacle total: sonore ou visuel, musical et scénographique ; il sera envoutant de bout en bout. La complexité musicale, par les types d’instruments, les timbres, les rythmiques, les enchaînements abruptes, initiés ou ponctués par des exhortations vocales diverses, de murmures à cris, qui rapprochent cette science des arts martiaux, tout autant que la chorégraphie très souple et gracieuse des percussionnistes, ne laisse pas un instant de répit.

La précision et la minutie des quatre condisciples de Maître Hayashi sont fascinantes, résultat d’une discipline extrême, permettant à ces percussions très riches des variations dynamiques incroyables, du bruissement du vent à la déflagration du tonnerre, offrande à un panthéisme poétique et expressif d’une grande intensité physique et spirituelle.

La prise de possession de l’espace, les ancrages au sol des artistes sont époustouflants, particulièrement lorsque Hayashi assaille son Grand Tambour dans des gammes de puissance et couleurs infiniment déclinées, révélant la nécessité d’une santé athlétique (et une impressionnante musculature, partagée par les disciples) pour frapper comme à coups de haches parfois la peau tendue sur la barrique géante, les bras levés pendant plus de dix minutes et en faisant sur certains impacts reculer l’instrument qui doit peser au bas mot deux cents kilos et je crois que je vise bas.

Au-delà de la beauté musicale, de la plasticité de l’ensemble, comment ne pas être admiratif de la performance physique des interprètes, avec une mention pour Mikita Hase, dont l’ampleur des gestes, les positionnements de tête, les aphélies chorégraphiques sont des plus élégantes.

Ici le rituel offert à un autel de nature et tradition est parfaitement respecté, évitant l’écueil de certaines représentations pour touristes et je retrouve le plaisir et la fascination que j’avais éprouvés la première fois que j’avais assisté à telle démonstration dans la cour d’un temple au Japon il y a, ouh là… plus de trente ans, avec ici un contraste accru entre la grâce et la violence du fait de vivre cette musique « indoor » et une particularité dont je n’avais pas le souvenir dans ce genre de musique : la sensualité d’un swing captivant.

Est-ce l’évolution d’un art remontant à si loin qu’il a précédé tous les autres dans sa matière formelle et figée ?

 

Un très grand moment ! Un souvenir fort pour longtemps.

 

Quatuor Psophos ensuite, nous proposant deux œuvres radicalement différentes, à savoir le Quatuor n°2 opus 56 de Szymanowski et des extraits du John’s Book of Alleged Dance de John Adams que je ne connais pas.

 

Superbe opus de Szymanowski, l’œuvre est ici magnifiquement servie par des musiciens sachant parfaitement opposer l’alacrité sombre d’instants forts et modernes osant la dissonance et l’arythmie à d’autres d’une mélancolie accablante en ouvrant toujours sur un paysage de timbres d’une grande beauté. Formidable ! L’entente entre les musiciens est souveraine et l’équilibre des expressions absolument idéal, l’œuvre bien sûr, mais aussi la mécanique huilée d’un groupe complice et soudé.

Le John Adams me passionne moins ; amusant, sautillant, très typé, soit, mais je me prends moins au jeu, sans que le Quatuor Psophos y soit pour quoi que ce soit. Rien à reprocher à leur belle performance.

 

Enfin, samedi soir tard, après une belle cavalcade dans les couloirs pour atteindre le grand auditorium où nous attend une succession de scies populaires qu’on connaît parfois par cœur sans se souvenir où et quand on les a entendues, proposées par l’Orchestre (et le Chœur) National de Lettonie (dont quelques musiciens sont venus me rendre visite au magasin jeudi matin, très sympathiques !) sous la direction de leur chef, Andris Boga, un jovial bonhomme qui transmettra sa prévenance débonnaire à ses interprétations détendues et enjouées.

Mais le long spectacle commence par une œuvre pour percussions proposée par un ensemble de musiciens à géométrie variable baptisé AdONF (très drôle), écrite par l’un d’entre eux, Didier Benetti.

Oui, bon… Le problème, c’est qu’on sort de l’hallucinant et poignant spectacle des japonais dont la méticuleuse discipline renvoie ce sympathique quartet au rang d’amusement, d’autant que l’œuvre, plutôt intéressante, est jouée sans le début du commencement de swing… On écoute sans déplaisir évidemment, les cheveux blonds et défaits de la dame illuminent la scène, soit, mais mon épiderme vibre encore de la perfection du début de soirée…

Puis commence la succession des « tubes » du classique qui sans doute ont pour but de bien expliquer le thème de l’année, « Le Rythme des Peuples », excellente initiative donc que de rassembler des pièces d’horizons divers, mais dommage dans ce cas de ne pas avoir inséré une page de Bernstein par exemple.

Allons-y :

- Saint Saëns, Bacchanale de Samson et Dalila, interprétation diserte et voluptueuse, soulignant avec saveur le mélange allègre d’influences exotiques bariolées, de l’Espagne au Maghreb, et révélant un orchestre joyeux, parfaitement synchrone et luisant de belles couleurs.

- Du même Saint Saëns, un Rondo capriccioso pour violon et orchestre un peu moyen, sans doute parce que Alexandra Conunova plante quand même dans nos nerfs fatigués des banderilles de fausseté à divers instants très exposés alors que, paradoxalement, elle franchit en toute aisance les passages virtuoses. Il semblerait que cette soirée dite de « répétition » ait été suivie le dimanche d’une représentation idéale.

- Khatchatourian (ne boudons pas le plaisir, ce sont des hits qu’on ne nous propose pas tous les jours) ensuite : la Valse célébrissime de Mascarade et la Danse du Sabre (Gayaneh ? J’ai un doute…). Ici aussi, une cadence endiablée, une exaltation communicative, des teintes éclatantes, un bonheur partagé, et ce moment très bref de calme dans la danse, porté par un saxophone anachronique, eh oui, j’avais oublié précisément ce « paradoxe » culturel !

- Liszt, une Totentanz majestueusement servie par Nelson Goerner au piano, une frénésie musicale rugissante, redoutable de virtuosité, de nerf, de cœur, j’aime décidément beaucoup ce chef débonnaire et « son » orchestre dont on sent à chaque instant le plaisir de faire plaisir.

- Brahms, des Danses Hongroises prise avec distance, un brin de plaisanterie, plus Tex Avery que Brahms et c’est une excellente idée de garder le sourire, trouver des glissements rythmiques, accentuer une phrase, en rajouter un peu pour dans les mesures suivantes contenir le ton, lui donner par contraste une grâce délicate, procurant de forts moments de bonheur épicurien encore.

- Et, pour finir, Borodine, les danses polovtsiennes, prises, comme tout le reste d’ailleurs, à un rythme d’enfer, éclatant de couleurs, de teintes mordorées, d’éclats de bijoux, tout brille ici, cordes, bois, cuivres, percussions et le chœur n’est pas en reste. La puissance déchainée n’empêche pas l’orchestre d’imposer des nuances tonales superbes, des gammes de couleurs de pastels à intenses…

Quitte à donner dans la musique de variété, il fallait aller jusqu’au bout : l’Orchestre de Lettonie ne s’en est pas privé, allant même jusqu’à nous offrir l’introduction de Carmina Burana en premier bis et une reprise d’une Danse Hongroise en second.

Générosité, détente, humour et talent au rendez-vous ce soir, ramenant à l’esprit premier de La Folle Journée, faut-il les Lettons pour le rappeler ?

 

Dimanche, deux concerts seulement.

Nouveau rendez-vous avec AdONF.

Passé un Tombeau de Couperin arrangé pour xylophones joué par 3 percussionnistes deux hommes et une (jolie) femme (la dame blonde d’hier soir mais dont cette fois les cheveux sont relevés), pas vraiment passionnant, qui semble surtout un moyen pour les musiciens de sortir l’instrument de ses carcans mais n’apporte pas grand-chose à l’œuvre, nous aurons droit à des moments de musique voguant de :

- élégant : Toccata d’Anders Koppel, à

- drôle et original : Musiques de Table de Thierry de Mey où 3 compères (pas tous les mêmes qu’au début) deux hommes entourant la (jolie) dame dont nous ne connaissons pas le nom, assis devant une table en bois, vont nous « jouer » avec beaucoup de concentration mais sourire aux lèvres une performance ardue composée de frottements, coups d’ongles pointés et diverses frappes de la paume ou du dos de la main dans des combinaisons complexes, cocasses, impressionnantes, en suivant scrupuleusement une partition que j’aimerais bien voir pour admirer les signes utilisés.

- entraînant, agile et pour le compte empreint de swing : Trio per Uno de Nebojsa Zivkovi, performance à trois encore (dont la dame) autour d’une grosse caisse bordée de diverses petites percussions, caisse claire et idiophones. Chouette

- amusant, exigeant et décontracté avec une dernière œuvre pour claquements de mains à rythmes croisés enlevée dans la bonne humeur et la complicité car la dame semble varier ses frappes sans doute pour éviter la douleur, au grand amusement de ses camarades.

Ça aussi, c’est le ton de la Folle Journée : on ne se prend pas nécessairement au sérieux, on partage tout, on participe. Bravo et merci pour ce moment de gentillesse et générosité.

Et pour finir, Olivier Charlier au violon, Nicolas Baldeyrou et Emmanuel Strosser nous ont interprété :

- Stravinsky, L’histoire du Soldat, qui s’appuie idéalement sur un violon grinçant ne nous épargnant pas quelques erreurs de justesse toutefois, une clarinette virevoltante et un piano harmonisé un peu rond pour cette œuvre où on l’aurait voulu plus percussif mais c’est aussi le jeu à jouer sur ce genre de manifestation où l’interprète ne choisit pas forcément son instrument. Le jeu de Strosser cependant est à la fois guilleret et justement mutin.

- Bartok, Danses populaires, le violon reste un peu trop sur le crin, ce qui est moins justifié ici que dans le Stravinsky et accentue le contraste entre violon et piano enterrant un peu ce dernier. Dommage

- Leo Weiner, deux pièces pour clarinette et piano où je vais regretter que l’aspect « tzigane » ou en tout cas folklorique ne soit pas totalement assumé, certes au profit d’une virtuosité incritiquable, mais à laquelle manque l’étincelle rustique qui transformerait la performance en plaisir fort.

- Bartok, Contrastes pour violon, piano et clarinette, où là au contraire tout est parfaitement à sa place, une œuvre majeure de Bartok, difficile, ardue même, brillante, d’une inventivité de tous les instants, flamboyante, colorée, et exigeante, un instant de génie musical sans concession à la facilité que les trois musiciens vont enlever dans une ardeur irréprochable.

Une excellente façon de clore une année en demi-teintes.

 


ONPL le 10 juin 2015


 

ONPL le 10 juin 2015

-    Haydn, symphonie n°1
-    Ravel, Concerto en Sol
-    Chostakovitch symphonie n°10

Bertrand Chamayou au piano
Thierry Fischer, direction

 


Certains se sont étonnés que j’écrive de moins en moins ce genre de chronique.

Est-ce que je vais moins souvent au concert ? Pas sûr, ai vu et entendu quelques jolies choses en jazz et pop/rock, mais pas eu envie d’écrire ; est-ce dû à la sensation de me répéter ? Possible ou alors pas envie d’être tiède à propos d’artistes que j’aime beaucoup par ailleurs.
Moins de concerts, globalement non mais ceux de l’ONPL sans aucun doute oui, ça devient insupportable cette banalité moyenne rasante, Dusapin est probablement un compositeur talentueux mais pas toujours bouleversant quand même et son pote Rophé décidément ne fait pas décoller notre Orchestre chic mais pas choc. Pour l’instant l’ère Rophé est une mi-temps plan-plan. J’aimerais savoir si cet orchestre connaît toujours le plus fort taux d’abonnement du pays alors que souvent considéré dans la profession comme, disons… perfectible ; mais j’en doute ; pour l’année prochaine il ne faudra pas compter sur moi, sur nous, car nous sommes quelques-uns à nous décourager.

Toutefois, ce que j’ai entendu hier m’a donné envie de reprendre le clavier pour remercier au moins Bertrand Chamayou et Thierry Fischer et les musiciens de l’orchestre qui ont donné sincèrement. Pas tous.

Passée une fadasse 1ere symphonie de Haydn (on aurait tendance à oublier qu’il a bien fallu qu’il y en ait eu une première !), fadasse parce que cette musique de cour était jouée gentiment mais sans enthousiasme, sans élan ou allant, sans finesse ou liberté (le programme stipule rythme endiablé pour le dernier mouvement ? Les diables avaient sans doute trop copieusement dîné !) arrive ce qui probablement m’intéresse le plus ce soir : Le Ravel avec Chamayou.

Qui ne m’a pas déçu ! Elégance permanente sans la moindre posture (ouf !) son jeu est en phrasé continu, liquide, si insensiblement fluent, les doigts caressent le clavier susurrant une musique limpide et délicieuse, des pastels d’une pureté harmonique au-delà du poétique, et l’homme, regardant souvent ses collègues musiciens,  a la gentillesse de suivre ses camarades, préférant pardonner les faiblesses de l’orchestre, se recalant si nécessaire pour corriger la dérive temporelle d’un hautbois, une flûte ou une clarinette au lieu de jouer les divas, distillant des nuances imaginatives comme pour mieux cacher le manque totale d’icelles dans l’orchestre.

L’interprétation générale, si elle ne renouvelle pas le genre, est enthousiaste et enlevée avec un sens du rythme préféré par Thierry Fischer à celui des nuances dynamiques, ayant probablement choisi de ne pas chercher l’impossible, à savoir les deux, car la finesse, Chamayou s’en charge tout seul en se fondant dans la masse le plus souvent, s’en extrayant avec grâce quand il le faut, transformant ce bel exercice, cet écrin dévertébré en un concerto pour orchestre avec piano ce qui personnellement me convient parfaitement, principalement dans le deuxième mouvement jamais dégoulinant mais simplement très beau, très pur, infusant une vénusté attendrissante d’une saveur rêvée. Une caresse sur la peau d’une femme pendant une danse sensuelle, du jazz au slow, la chaleur des corps, un piano affectueux dans un orchestre se démenant sur une scène doucereuse.

Fischer favorise donc de suivre les jeux de teintes du pianiste, les errances jazzy du texte plutôt que de chercher à imposer une impossible réserve à ses mauvais élèves et le résultat, sympa mais pas transcendant quand même, est de nous avoir proposé un généreux moment en compagnie d’un artiste majeur, humble et discret, procurant une douceur fluide à son clavier impressionniste à souhait ! Un bon moment, d’autant qu’à défaut de légèreté, l’orchestre a fait preuve d’une manifeste bonne volonté et d’un ensemble qui fait hélas souvent défaut, ne trahissant jamais l’esprit du texte si inventif que, en dépit d’une instrumentation étonnamment légère, Ravel assène de puissants effets sonores.

Ce Fischer me plaît ! Magnifier la musique française avec l’ONPL, c’est une performance !

Splendeur pianistique transcendante dans Jeux d’eau offert en bis par Chamayou, qui imprime dans une œuvre plus techniquement difficile qu’il n’y paraît des accents lisztiens parfois, bartokiens encore, avec une évidence et un humour tendre absolument émouvants. Et toujours, ce courant doré, fontaine liquide, éclats d’orage et gouttelettes en suspension, un tableau, une peinture de maître, Chamayou recrée du Monet sous nos yeux et oreilles émerveillées par les faunes en goguette…

Un grand monsieur je crois, pourvu qu’il continue à travailler avec patience, intelligence et distance. Si le métier lui en donne l’opportunité et ne le ruine pas, s’il sait garder la distance de l’humilité.

10ème de Chostakovitch frappée dans une sorte d’urgence violente et sidérante, qui fonctionne plutôt bien même si le second degré ironique, les zones sensibles ou mystérieuses que sait dégager Sanderling par exemple, sont zappées au passage.

Les quatre mouvements se ressemblent un peu trop, le monumental et complexe premier est plus impressionnant et miroitant que sombre et intérieur donnant un ton général un peu bourrin qui, n’en déplaise aux amateurs de spectacles zim boum boum, n’est pas la seule option pour jouer Shosta.

Dans le deuxième, la progression est plutôt bien agencée et le troisième enfin assez varié, orné de ruptures habiles.

Le quatrième, tout en paradoxes, voit sa structure, flottante, comme en attente d’un paroxysme qui ne viendra jamais vraiment, un désenchantement entre peur et provocation, correctement respectée en dépit de l’absence quasi-totale de mystère et clairs obscurs indispensables …

Curieusement, dans ce déferlement tonitruant, Fischer s’autorise et réussit quelques belles parenthèses figées, de rares instants où le temps est suspendu, et l’orchestre devient délicat, beau travail des cordes soit dit en passant, offrant une ductilité à laquelle nous ne sommes pas habitués ici, et des couleurs « somptueuses » (j’exagère un peu mais la perception du boisé est si rare à Nantes), les bois pourtant très applaudis ayant avant tout réussi l’exploit d’être un peu trop bruyants à mon goût, ce qui n’est pas gênant dans Shosta mais était un poil plus énervant dans le Ravel.

Une bonne soirée donc, niveau minimum de ce qu’on devrait attendre d’un tel orchestre de province, soit, et une vraie découverte :
Pas Chamayou évidemment qui dans son triptyque génial des Années de Pèlerinage prouvait sa maturité inouïe, sa technique irréprochable, son sens des pastels et son intelligence conceptuelle…

… Mais Thierry Fischer, très efficacement expressif dans sa gestuelle jamais guindée, qui a parfaitement su composer avec les qualités et failles de l’orchestre d’un soir tout en affirmant une envie de couleurs et une qualité de swing de haut niveau !

Je le proposerais volontiers comme chef permanent.

 


Bill Frisell et John Scofield


29 octobre 2014


Hier soir au Grand Auditorium de la Cité des Congrès, concert de « Jazz » :

 

Bill Frisell Quartet

&

John Scofield Trio


2 parties d’1 h 15 sur une scène joliment éclairée, avec goût et des variations élégantes.


Je ne vais pas m’attarder sur la triste performance du Bill Frisell Quartet qui passait en revue la musique de guitaristes divers, du rockabily à la country, Chuck Berry, Beach Boys ou les Shadows.

Passé un beau début atmosphérique par l’échange de longues plaintes des deux guitaristes, on rentre dans l’ennui le plus total plombé par la calamiteuse rythmique d’une moissonneuse batteuse.

Je crois que j’aurais pu étrangler le batteur qui cumulait quand même toutes les vertus du méchant d'un film gore ; totalement dépourvu d’idée, il était capable d’une seule nuance : barrater comme un bourrin, écrasant tout le monde en swinguant comme une porte et ne se sentant absolument pas concerné par les variations de ses comparses. Il ne les écoutait pas de toute façon.

Le bassiste tournait pas mal mais ne sortait pas d’un unique thème de jeu qui donnait l’impression qu’il liait ses cordes d’une main ferme de peur qu’elles tombent et avec un sourire satisfait en plus.

Côté guitares, c’était mieux évidemment, un bon second qui a tiré quelques surprenants accords mais semblait un peu travailler à la pointeuse, et un Bill Frisell qui a quand même mis un peu de temps à se chauffer les doigts (le nombre de pains…) pour offrir quelques jolis jeux de couleurs et d’enchainements d’accords, mais franchement, c’est histoire de ne pas enfoncer cet immense artiste dont on se demande ce qu'il lui a pris d’une part de choisir un tel programme mais surtout sans une once d’idée, de créativité, de variations, voire même simplement de recul ou d’humour !

 


John Scofield ensuite, accompagné de Steve Swallow et Bill Stewart.

Bon, allez, ces trois-là allaient tout rattraper : un grand grand moment, de talent, d’inspiration, de beauté, de musique pure.


D’accord, Scofield nous a fait du Scofield mais avec quel panache, quel brio, quelle élégance, quel plaisir et quelle sympathie, sans jamais frôler la démonstration ! Les suites d’accord étaient souvent affreusement compliquées mais d’une légèreté absolue, d’une vocalité exquise, Scofield jouait beau, se baladant d’une énergie rock à une claudication blues, il faisait babiller sa guitare dans l’expressivité humaine d’un musicien qui n’a rien à prouver et qui n’a qu’un but : la Musique.

Bon certes, on était un peu dans ce jazz « chacun son tour », mais quand il s’agissait de céder la place à ses collègues, c’était toujours pour le bonheur des oreilles et du cœur.
Bill Stewart, accompagnant ou soliste, à défaut d’imagination (un peu toujours les cinq mêmes plans) révélait un sens des nuances ou du punch très habile, un swing d’une évidence idéale, une énergie constante et si parfaitement dosée, si intensément à l’écoute, quand bien même ce code du batteur jazz quand il joue en soutient de tout baser sur le « dziguiding dziguiding » permanent cymbale / Hi-hat personnellement m’insupporte, au moins le faisait-il avec une faconde aérienne.


Et puis il y avait Steve Swallow et sa 5 cordes multifonction.

Je vais éviter tout commentaire : ses doigts gazouillent, inventent sans cesse en état de grâce, une promenade bucolique enchantée, une déambulation de ballerine, l’incarnation du groove. Un génie.

 


Folle Journée 2014


2 février 2014


Une nouvelle édition de la Folle Journée vient de s’achever.

Le thème ?

Des Canyons aux Etoiles ou l’Amérique au sens large.

Je n’ai certes pas pris beaucoup de concerts cette année, emploi du temps oblige, mais je suis très satisfait de ma sélection après coup.


Je vous la détaille dans l’ordre chronologique, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.


Premier concert pour moi, le Quatuor Tana, (connais pas…), nous a présenté deux œuvres radicalement différentes :

Elliot Carter : Quatuor n°5.


Le premier violon nous explique qu’on peut assimiler les différentes variations de l’œuvre à ces instants, lors des répétitions, où chaque musicien s’immerge dans sa pensée, sa concentration, ses doutes, n’écoutant pas forcément ce que font ses collègues.

Mouais, bof.  Je ne crois pas que ce soit essentiel. Or, ce genre de mode d’emploi détourne probablement de l’essentiel, la force propre de l’opus qui, ici, est absolue, s’auto suffit sans verbiage.

Pièce âpre, radicale, violente parfois, rarement douce, bigarrée de fulgurances, éclats, clusters, cris ou miaulements parfaitement cadencés, inattendus, sans la moindre redite, on chevauche à cru sur les timbres des instruments, qui parfois saturent tant ils sont éprouvés par l’exercice…

C’est passionnant même si, ayant un peu oublié l’œuvre, je me demande si les membres du Tana sont capables d’autre chose que de scier leur manche !

Eh bien oui ! Ils le prouvent dans le Quatuor n°3 de Philip Glass, dit « Mishima », où, en total contraste avec leur précédente offre, les musiciens ne sont que ductilité, souplesse, élégance, raffinement du boisé et des couleurs, douceurs élégiaques, ils nous emportent dans cette fascination répétitive et pourtant si variée, ne s’attardant jamais sur aucune des manies glassiennes, assumant la pure beauté, sans exagération sans afféterie, au premier degré de la plastique comme ils l’étaient précédemment du grincement.


Superbe, avec en prime le spectacle d’un alto un peu tendu, à la recherche permanente du soutien des autres…
Ah oui, petite particularité : les musiciens suivent leur partition sur des I-Pads dont le défilement est commandé au pied ! Amusant.


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Le Trio « Les Esprits » nous propose du Bloch et du Stravinsky.


Trois Nocturnes pour le premier et Divertimento pour Violon et piano et la Suite italienne (d'après Pulcinella) pour le second.


Adorable, très racé, subtil, particulièrement le piano d’Adam Laloum, un artiste à suivre décidément, ce soliste magnifique prouve ici qu’il est aussi un chambriste exemplaire, ne s’autorisant jamais à prendre le dessus préférant couler des ondes sinueuses, voluptueuses, sous les élans de ses collègues, que ce soit en trio ou en duo, un chouette programme, des musiciens qui racontent l’essentiel avec une plénitude totale, une douceur constante, même dans les fusées stravinskienne, de la musique simple et directe, formidable !

Une violoniste audacieuse parfois légèrement dépassée par l’œuvre mais s’en sortant magnifiquement et avec le sourire : Mi-Sa Yang.
Un violoncelliste un peu plus académique, au son pas toujours superbe (l’estrade ?) mais équilibrant adroitement verve et effets : Victor Julien-Laferrière.


Puis, un concert que nous (euh, j’ai ?) choisi pour l’artiste plus que pour le pro-gramme : Nicola Benedetti (écoutez ses Szymanowski !) joue le concerto pour violon de Korngold accompagnée par Kantorow et le Sinfonia Varsovia.

Mouais…

La belle ne manque pas d’allure (c’est le moins qu’on puisse dire), ni d’aplomb, elle impose une sureté du trait splendide de justesse et plasticité, hélas un peu au service de pas grand-chose, et pas aidée par un orchestre aux sonorités incritiquables mais dépourvu de passion et un chef pas vraiment impliqué non plus.

Bon le concerto n’est pas une œuvre inoubliable mais quand même, certains en ont tiré mieux, Heifetz, Korcia par exemple.

La scie inutile « La liste de Schindler » sera pire, où vraiment seule l’autorité naturelle de la magnifique Nicola (qui, comme son nom l’indique, est écossaise) évite l’ennui total.

Aucun autre intérêt, une artiste probablement de haut vol s’éreintant sur de la variété.


Suivra un « Americain à Paris » sans ferveur, le seul américain des années 20 qui n’a pas le sens du rythme apparemment, c’est gentil mais totalement dépourvu de la moindre idée de ce qu’est le swing, comme un choc insurmontable de culture !


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Quatuor Pražák,

Juliette Hurel, flûte,
et une pianiste que je nommerai pas,

nous ont proposé du Martinu :

Une sonate Flûte / Piano que je ne connaissais pas et que je ne connais toujours pas car, en dépit des tentatives insistantes d’une flûtiste probablement nuancée, nous avons eu droit à un tournoi de chevaliers en armure, le piano oscillant entre forte et super trop forte tout le temps, et à une allure de TGV, contraignant la délicate Juliette à transformer la flûte en biniou.

J’ai failli hurler à la dame au piano qu’elle n’était pas toute seule, « regarde, sur ta droite, il y a une flûtiste souriante qui essaye la poésie dans ce fatras mécanique »…

Bon, on aurait pu lui accorder le bénéfice du doute, supposer que ces deux dames n’avaient pas réussi à se caler lors des trop brèves répétitions

Le problème est que la charge de cavalerie allait recommencer en agressant un Quatuor Pražák bien trop élégant pour cesser de sourire, même si on sentait une certaine crispation du côté de l’alto et des grimaces de souffrance du second violon qui prenait quelques méga décibels dans les oreilles.

La matrone s’est un peu calmée dans le second mouvement, l’adagio de fait plutôt beau. Pour autant pas un instant de phrasé dans les tambourinages de la pianiste et on ne peut accuser l’instrument qui la veille sous les doigts d’Adam Laloum n’était que malléabilité et pluie de timbres.

C’est d'autant plus regrettable que, dans les rares instants où le piano n’a pas de place, tout se détendait soudain et on retrouvait le plaisir à frémir sous les caresses de cette superbe machine à musique parfaitement huilée qu’est le Pražák, perfection du jeu, du ton, des variations exquises, proposant une option suave à une œuvre que l’on peut connaître moins lumineuse, pour ce que j’ai pu en deviner sous le bombardement du piano.

Suis sorti en colère, pestant bruyamment au grand dam de mes compagnons d’infortune qui étaient moins agacés que moi et m’exhortaient au calme, non, certainement pas !…
… Et nous avons rejoint la salle 800 places pour un concert qui, fort heureusement, était irréprochable autour d’un programme pourtant pas évident :


Orchestre de Pau Béarn (c’est drôle, ça ne sonne pas comme Philharmonique de Berlin, ou Chicago Symphony Orchestra…) dirigé par Fayçal Karaoui.

Dutilleux, Métaboles


L’évolution des phrases, lente, en fondu-enchaînés, restructurant patiemment et labyrinthiquement des paragraphes musicaux sinueux est à la fois foisonnante, colorée, privilégiant tour à tour les différents pupitres pour exploser dans un regroupement final triomphant, exprimant un art des variations consommé en une sorte de vaste concerto pour orchestre magnifiquement servi par une phalange dont on sent qu’elle prend un plaisir fou à jouer devant nous.


Bon, on se coltine à nouveau La Liste de Schindler, aussi inutile que la première fois, si ce n’est qu’il est intéressant de constater une différence d’approche radicale : ici la partition de violon est confiée au premier violon qui, n’ayant évidemment pas l’autorité naturelle, la profondeur de son et la richesse vibrante de Nicola Benedetti, préfère se fondre dans un orchestre nettement plus inspiré, plus mouvant, émouvant que la veille, rendant la page plus supportable.


John Adams ensuite : the chairman dances.


En un mot, c’est jouissif !

Karaoui entre dans le vif du sujet dans un balancement rythmique idéal, swinguant à souhait pour ce parcours touffu, incisif, original, parfois difficile mais si entraînant, si immédiatement parlant, n’ayant pas peur de tourner autour de la note, sourire, déambuler dans cette partition ingénieuse qui, comme souvent chez les américains, est plus compliquée qu’elle en a l’air (pas la liste de Schindler toutefois).

L’orchestre exulte, ose, joue les contorsions successives nécessaires avec une aisance concertante, bravo, vraiment, d’autant que la barre restera haute dans la pièce suivante du même Adams, Short Ride in a Fast Machine

Un vrai moment de bonheur, une musique luxuriante et positive dans une salle dont l’acoustique très mate (j’adore) met l’orchestre à rude épreuve, nous reliant directement au timbre, au grain, à la matière, sans réverbération arrangeante, mais permettant aussi des forte hallucinants sans aucune fatigue ou crispation et en conservant une lisibilité rêvée de chaque instrument.



Puis, après un rapide sandwich servi par une version blonde et un peu schématisée de Salma Hayek (je scénarise un peu le déroulement de la soirée) vient le gros morceau (à 22 h 15 ! ) de l’année dans la même salle :


Messiaen : Des Canyons aux Etoiles


J-F Neuburger, piano
T Némoto, cor
D Ciampolini et F Jodelet, percussions

Orchestre Poitou-Charentes (pas un nom super glamour non plus mais ils ne nous ont jamais déçus !) dirigé par Jean-François Heisser (et son accablement permanent) qui ne nous a jamais déçus non plus, c’est le moins qu’on puisse dire !


Comme le titre l’indique, l’œuvre brosse une lente (1 h 45 !!!) élévation des Canyons vers les Etoiles en passant par des chants d’oiseaux si chers à Olivier Messiaen.

Il faut réussir à pénétrer cette œuvre difficile d’un coloriste qui semble refuser la composition et la mélodie par un jeu obscur et en trompe-l’œil de teintes, de redites, de retours, de fluctuations, de reflets dans des miroirs, mais assez vite je crois, on entre en transe dans ce flux et reflux bâtis de répétitions qui n’en sont jamais vraiment, des cellules dont l’ordre, la structure et les tons s’entrecroisent, se choquent, se dissimulent sous quelques leurres qu’on aimerait parfois entendre plus longuement, ponctués d’interventions époustouflante de violence et de subtilité d’un piano puissant et d’une intervention émotionnellement chargée d’un cor qui varie les couleurs, les effets, descendant parfois vers la frontière floue de l’inaudible avec une sensualité primale.

Cette déstructuration et répétition apparentes de blocs touffus hypnotise, lamine le cerveau, anéantie toute résistante et s’imprime dans les neurones pour le reste de la nuit.

Œuvre éprouvante, elle ne craint pas les effets de science-fiction, certes un peu datés, pour nous guider dans un labyrinthe mystique d’une force dérangeante.

Un chef d’œuvre sculpté avec minutie par des musiciens concentrés, généreux, inspirés, manipulés par un Heisser décidément toujours aussi méticuleux, précis, sombre aussi, un corniste humble et un Neuburger d’une totale dévotion à la musique.


Un moment très très rare, probablement unique dans une vie.

On sort de l’épreuve éreinté, bousculé, épuisé comme après un vol dans les étoiles je suppose.
Merci à la Folle Journée pour cet instant-là au moins.



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Dimanche, je vais devoir raccourcir un peu ma journée, un agréable rendez-vous me privant d’un concert et la paresse d’un autre.

Bon début, et même jubilatoire, au Lieu Unique en compagnie des gamins de l’ensemble régional de percussions des Conservatoires de Nantes, La Roche et St-Nazaire qui vont oser des arrangements survoltés de Frank Zappa.


Une formation à géométrie variable de 11 à 13 percussionnistes changeant fréquemment de postes parmi les 27 sur scène, marimbas ou xylorimbas, xylophones, bref des idiophones divers, glockenspiels, timbales, cloches et cloches tubulaires, une batterie et j’en oublie pour nous asséner un discours solide, varié, jonglant avec parfois quelques ratés dans les variations rythmiques délirantes et farceuses de Zappa, ça dérape un peu certes, mais c’est si sincère, si authentique, si riche et si vigoureux qu’on s’en fout complètement, c’est un moment de partage et de bonheur entre les gamins un peu rougissants et un public venu ici pour s’amuser !

Je regrette qu’ils n’aient pas tenté the Black Page, mais je comprends aussi pour-quoi : c’est une page probablement trop exigeante pour des jeunes batteurs, même vaillants.

Voilà : du divertissement brut, uppercuts balancés par des gamins s’amusant d’une musique pourtant ardue, magnifiquement adaptée car ne trahissant pas le grand Zappa, certes iconoclaste et ravageur mais musicien d’exception, perpétuant au contraire sa mémoire avec panache.


J’ai laissé passer Anne Gastinel et Claire Désert, j’ai sans doute eu tort mais la cause était joyeuse.


Puis rendez-vous de nouveau au Lieu Unique, dans une petite salle, pour la suite et fin en ce qui me concerne.


Un curieux dispositif nous attend sur la scène, 6 chaises pour un quatuor, des tam-tams (ou des gongs, je ne vois pas bien dans la foule), des verres d’eau, des micros.

Entrée du Quatuor Diotima, ils sont bien sympathiques, simples.

Je les avais vus à Paris, dans le si beau théâtre des Bouffes du Nord, où ils avaient joué le quatuor inachevé en cours d’achèvement de Boulez (d’une force inouïe soit dit en passant…) et le dernier de Beethoven.

Sur le programme est inscrit Steve Reich mais le jet d'acide qui nous assaille comme une lame de tronçonneuse à travers le crane, c’est du Crumb pur jus !

Black Angels.

L’œuvre ne débande pas une seconde.

Je ne sais pas quel est le mot pour désigner ce qui plus cru que cru, mais la première partie de ce morceau de bravoure l’est sans doute ! Les instruments sont torturés, triturés, les sons saturés par des effets de micros et de chorus électroniques, retournés aussi parfois pour jouer (la jeune fille et la mort ?)  manche en bas (des résidus de surréalisme ?), les arches frottent les tam-tams, les harmonicas d’eau, des tubes de verre ou des dés à coudre heurtent les cordes, des maracas, des chiffres ou borborygmes murmurés ou criés dans les micros des violons…

C’est d’une audace exploratrice et expérimentale sans limite, c’est absolument ahurissant, en invention permanente, c’est formidable, prenant, poignant, provocateur, incisif, au point que les épisodes murmurés (instruments retournés) sont apaisants et sensibles, trop brefs, un répit d’une poignée de secondes dans cette guerre inhumaine.

Diotima joue la partition très très difficile avec sérieux mais sans aucune posture, aucune de ces mimiques parfois ridicules d’une concentration plus jouée que réelle, rien ne nous sépare de la crudité d’une œuvre qui parle d’hélicoptères au Vietnam...


Suit l’adagio de Barber dans sa version réduite…

C’est vraiment pour sacrifier au genre. Diotima nous propose une version bien faite, dans un vibrato sensible, un tempo lent, une réserve bienvenue, mais après Crumb c’est, euh, comment dire… Plat ?


Puis après une longue et intéressante explication de la suite du programme par l’alto, vraiment très aimable, sobre et enjoué, commence le Reich : Different Trains.


Mélange des musiciens en live avec une bande son construite autour d’interjections de voix dont celle de la nounou de Reich et d’un enregistrement de parties entières pour quatuor à cordes, cette œuvre majeure qui passe de l’enfance de Reich traversant les Etats-Unis à la Shoah et l’exil des survivants vers les Etats-Unis, est racontée par Diotima avec une sensibilité constante, une intelligence et une probité idéales, présentant habilement les évolutions rythmiques et coloristes d’une page en mouvement perpétuel… Aussi, nonobstant la mauvaise qualité de la sono, est-ce beau à pleurer, un instant de perfection et de cœur.



Je choisis de m’abstenir du dernier concert dont j’ai le billet en poche, préférant rester sur cet instant supérieur.

D’un programme que j’avais craint un peu palot à l’annonce du thème de l’année, j’ai eu le bonheur de traverser quelques beaux paysages de la créativité contemporaine, où nous ont été épargnées les inutiles redites d’une musique faite de clusters et d’idées éculées (Kernis ?) pour au contraire nous présenter des univers aussi forts les uns que les autres mais très différents, très personnels, très novateurs de musiciens à l’identité unique tels Messiaen, Carter, Reich, Glass, Crumb, Zappa, Adams, Dutilleux !


Des instants de musique rares et inoubliables !


Bravo et merci.


Au lieu de nous refaire une année baroque, peut-être une année sans thème, une année libre, ou une année dédiée aux contemporains de toutes nations, mmmhhhh ?


rendez-vous de l'Erdre 2011


septembre 2011



Parmi les agréables initiatives de la ville de Nantes, on peut compter les très sympathiques journées du festival « Belle plaisance et jazz » connues sous le nom des  «Rendez-vous de l’Erdre» généralement le premier week-end de septembre.

 
Pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont 3 jours de jazz(s) répartis sur diverses scènes disséminées autour de et même sur l’Erdre, incluant quelques péniches pour des concerts off, manifestations de plein air, gratuites, associées à des présentations de jolis voiliers des rivières…

Comme d’habitude, je m’y suis rendu dès le vendredi soir, après la fermeture du magasin, le nez au vent, en fonction de contingences diverses, sans avoir jeté le moindre coup d’œil au programme, même s’il est difficile d’ignorer que la star de l’année sera Archie Shepp.

 
Quand je dis nez au vent, le point sans doute le moins glamour du festival, c’est la quantité de baraques à frites ou équivalent qui viennent jeter dans la foule, elle-même naturellement sillonnée d’odeurs bigarrées, les senteurs pas subtiles des moules frites, churros suintant l’huile, fouées, crêpes ou moult autres spécialités exotiques odoriférantes.

Mais bon, il fait  beau, la foule est dense, variée, unanimement joyeuse en dépit d’une quantité sans cesse croissante de bières en mains. C’est la fête !

Sur la péniche France Bleu, un groupe de gamins se démène avec enthousiasme sur une musique qui tient au moins autant de la pop/rock que du jazz. Je ne saurai pas qui ils sont, mais ils sont bons et je regrette d’être arrivé pour les dernières mesures ou presque.

Sur l’île de Versailles ( Scène Jazz Classique ), un chanteur à la voix blanche dégouline des romances ultra-convenues, je zappe rapidement, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est du jazz de bar bien fichu sans plus…

Ma promenade me conduit ensuite vers la scène du Pont Saint Mihiel ( la Scène Sully ), où se produisent trois musiciens dans une formation atypique : Vibraphone(s), Contrebasse, Batterie… Contrebasse et vibraphone souvent copieuse-ment ré-harmonizés ( ne cherchez pas c’est un néologisme ) par l’électronique.

 
Eh ben : c’est d’une richesse fascinante.

A la fois envoûtants, inventifs, complexes, l’écriture et le jeu des musiciens s’appuient sur un batteur dont la mise en place idéale se concentre sur des fluctuations entre jazz et rock, au son clair et vif (en dépit d’une sono outrageusement pansue dans le bas) et qui varie astucieusement son jeu en fonction des méandres tortueux des évolutions rythmiques lentes de ses deux compères ; la transmutation enivrante, voire émouvante des structures mélodiques et rythmiques peut aussi bien être lancinante que brutale, mais toujours d’un bonheur irréprochable, enchevêtrement cadencé, implacable, des évolutions subtiles de mélodies répétitives, scandant des mélopées grisantes où vibraphone et contrebasse se relayent, se contournent, évitant ce côté « chacun son tour » souvent exaspérant, ici s’immergent dans un dialogue complet et inspiré : j’adore ! D’autant que le travail de son enrichit le concept avec si ce n’est une franche invention au moins un étirement harmonique ajoutant à l’atmosphère mystérieuse. Super ! Peut-être le dernier morceau, qui se veut un hommage à Steve Reich comme le présente le contrebassiste en français qui ne peut-être que d’un français, retombe-t-il un peu. Mais c’est une bonne surprise. Enfin pour moi qui ne suis pas un spécialiste, parce que, vu le niveau, je doute que ce soient des débutants !

Renseignement pris, cette formation originale et captivante s’appelle Metal-O-Phone ! A suivre !
 

Quand j’arrive à la Scène Blues, je prends en cours ( eh oui, encore ) une démonstration de Blues dans les règles par Eddie C. Campbell, rien à dire, c’est nickel, en place, grand, swinguant à souhait, du vrai blues de Chicago à l’ancienne !

Mais je reste sous le charme de Metal-O-Phone

 
En reprenant la promenade, j’aperçois un attroupement qui contemple les élucubrations d’un acteur immobile couleur bronze perché sur un socle, et qui bouge ( c’est nouveau ) façon robot en bruitant ses mouvements dont la chorégraphie mime des petites histoires très cocasses, notamment au moment où, je ne sais comment, il a réussi à soutirer la carte bleu d’un quidam et refuse de la rendre. Très drôle !

 
Attiré par la foule agglutinée, je me rends à nouveau vers la scène Sully, me faufile avec difficulté (pardon, scusez, oups !) pour essayer d’apercevoir qui joue ce que j’entends, un ensemble d’une rigueur stupéfiante, enchaînant des mélodies bourrées d’idées autour d’une formation là encore enthousiasmante, apparemment (à l’oreille dans la bouillie sonore, compliquée de gens qui brament pour s’entendre et ne semblent venir ici que pour bavarder avec des amis qu’ils voient tous les jours), accordéon, saxo ( et pas un manchot ) contrebasse, batterie, et quelle batterie ! Cette frappe, ces roulés subtils, ces coups de poignets précis, je les connais ! Bon sang : c’est Daniel Humair ! Zut, si j’avais su je serais venu plus tôt.

 
Et le saxo, très barré, d’une disponibilité totale, au son vif plus incisif qu’une pique d’Alphonse Allais, il me semble reconnaître Emile Parisien ( ce qui se vérifiera ) dont je recommande fortement le passionnant ( mais difficile ) album « Original Pimpant » qui propose une succession de morceaux abscons, déstructurés, très très rusés, en attendant le nouveau qui est peut-être paru, il faudra que je vérifie.

Je ne connais ni l’accordéoniste ( Vincent Peirani, idiot ! )( mais je ne suis pas un spécialiste, je le répète ! ), un impressionnant géant, très habile, virtuose au-dessus de la virtuosité, fin et puissant à la fois, donnant l’impression qu’il peut tout jouer, ni le contrebassiste ; pourtant lui, je l’ai déjà vu, mais qui est-ce ? ( Jérôme Regard ).

Grand moment ! Je ne suis pas toujours fan de ce que fait Humair, mais il y a imperturbablement  une volonté de recherche dans un certain « classicisme » ( modernité d’un jour… ), alternant bien sûr, dans la bonne vieille tradition des concerts de jazz établi, l’explosif et le sensible ( jamais vraiment sensuel cependant ), et ce soir tout particulièrement ! Chouette !

 
Samedi soir, après la fermeture légèrement anticipée du magasin, en passant devant la scène flottante je découvre un orchestre de jazz hyper traditionnel New-Orleans, qui joue classiquement du standard, ouais bon, c’est très bien, ça ne m’attire pas, c’est tout.

 
Scène Blues bien plus tard ( un rendez-vous entre-temps ), et encore arrivé en retard : alors là oui, du lourd !!! Boney Fields chante et pousse toute son inspiration dans sa trompette rutilante. Je ne vois pas grand-chose depuis l’angle biscornu où j’ai réussi à me glisser, mais qu’importe, Funk pur jus, soul-funk dynamique, blues retentissant, pulsés dans une succession parfaite de tensions sonores continuellement hots par une formation complète dont la patate ne dépare vraiment pas du patron ! Saxo, trombone, guitare, claviers, basse, batterie, tout y est ( sur une scène minuscule ! ), incluant la pêche déchaînée, le moteur fusant de ce genre d’expression musicale pétante de santé qui dynamite directement le corps ! C’est solide, fort, déchaîné, chamarré à tout point de vue, ça retentit de couleurs, ça groove comme du James Brown, c’est ardent, c’est punchy, c’est varié, c’est animal et dansant, c’est une nouvelle vie des grandes années de la funk, celle qui pue la sueur, celle qui fouaille les instincts, celle qui mène la transe, celle de Maceo Parker, pas des pâles dandies…


 
Quand je rejoins la scène nautique,  une abondance digne des Rolling Stone s’est ramassée sur tous les angles de la scène :

Archie Shepp Quartet.

Premier constat, je regrette de ne pas avoir pris mon Panama Stetson puisque, à l’exception du contrebassiste, tous revêtent le galure. Papy Shepp est assis. Un peu l’impression qu’il joue le tarif syndical, mais c’est quand même éblouissant, le son dense et chaud du saxo déploie des envolées virtuoses sidérantes d’une liberté façon Charlie Parker ( Ornette Coleman ? ), sans prise, sans espace délimitée, sans frontière…
Le pianiste est au-dessus du lot, il survole son clavier, son Steinway est aérien. Mais le premier morceau que j’entends déroule ce côté kilométrique d’un certain Jazz dont on se demande bien s’il ne pourrait pas continuer éternellement, une rythmique impeccable mais si huilée, si mécanique, si peu surprenante, qu’on se demande bien pourquoi ça s’arrête à un moment plutôt qu’à un autre. Bref, un peu lassant quand même en dépit de la force expressive. C’est bizarrement quand ce bon Archie se met à chanter ce qui s’apparente vraiment à du blues, debout cette fois, que ça se met à devenir attachant, créatif, presque ( presque ) touchant, avec à un moment une sorte de duo voix / batterie vraiment jouissif même si on a connu des batteurs bien plus intenses dans le même exercice. Mais bon, c’était un peu la soirée bourgeoise du festival, et vraiment, c’est du haut niveau, d’autant qu’Archie semble vouloir revisiter un large aperçu de l’histoire du jazz. Je regrette néanmoins le côté pointage ( pianiste excepté ). Du coup, n’étant pas vraiment transi, je m’octroie une difficile ( pardon, oups, scusez ! ) promenade autour du bassin pour revenir à mon point de départ, à savoir derrière la scène. Je ne resterai pas jusqu’au bout…

 
En me retournant, j’aperçois, au milieu du mélange hétéroclite et sympathique des spectateurs, une étrange créature, grande, très grande, fascinante, ses longs cheveux noirs mangeant la moitié de son visage pour ne laisser voir qu’un œil bleu puissant sur une moitié de silhouette un peu anguleuse mais si idéalement dessinée… Un sourire échangé, j’ai été saisi, pas pu m’empêcher, elle a répondu d’un regard triste et s’est éloignée. Je ne peux qu’essayer de la suivre des yeux le plus longtemps possible, dominant la foule de sa hauteur ténébreuse… Elle disparaît.

 
Ça me fait juste penser que, côté parité, le Jazz a des progrès à faire, semblant majoritairement placer les femmes du côté des chanteuses ou égéries : je n’ai vu en deux jours que des ensembles composés d’hommes, c’est quand même curieux, non ? Aucun représentant du sexe fort !




 
Dimanche, le temps est un peu plus menaçant, il a plu copieusement ce matin, mais l’humeur est quand même à la fête.

Sur la scène nautique, un trio guitare électrique, contrebasse, batterie ( Santiago Quintans Trio ), dévide la pelote du jazz codé ; la foule est plus clairsemée que pour le grand Archie, mais quand même, il y a du monde.

Sans commentaire, ce jazz incontestablement bien ficelé me lasse vite ; de la musique pour musiciens, imposant des plans tordus, des suites d’accord compliqués ( pas toujours toujours en place, soit dit en passant ), s’inscrivant triomphalement autour de charpentes un peu usées ( on peut prédire à la mesure près qui va faire quoi et comment ! ), qui ne me parlent guère, ou alors cérébralement.


 
En continuant mes pas, je m’arrête en bon panurgien pour découvrir ce que contemplent avec une  sorte de malaise amusée un bel attroupement de badauds : un type assis sur une chaise, penché sur un bouquin dont il tourne les pages de temps en temps. Mais le bonhomme est décapité ! Le cou imprégné de sang. Infiniment rigolo et franchement flippant !


 
Sur la scène Blues, là encore, ça dégage, avec des musiciens blancs qui ont plus d’envie que de technique, mais ça pousse, ça tourne, ça envoie du bois : un guitariste rythmique aux dreadlocks sculpturaux canarde un son énorme, racleur, abrasif, super en place, excellent, il porte la rythmique à lui tout seul même s’il est bien épaulé par un bassiste vigoureux et un batteur aux gros bras pas imaginatif mais béton, un chanteur qui tient bien son rôle, en dépit d’une voix trop neutre, un harmoniciste qui pourrait être le leader car il domine l’ensemble d’une légère tête, et un guitariste solo avec une bouille de bon élève dont le son slide est beau, un peu trop pour ce genre de musique, et surtout un peu faible,  qui se lance dans des chorus un tantinet cérébraux et décalés dans l’univers de ses potes, mais qu’importe, c’est un bon moment débordant d’enthousiasme ! Dernier morceau un peu en dessous. Mojo Machine. Sympa.

 
Scène Sully, le public est nombreux, compact, difficile de circuler : Victor Töth Trio, saxo, basse, batterie.

Ouais. C’est bien. Je ne connais pas et je n’ai pas envie d’approfondir, ça ne me passionne pas. Je le répète, je n’y connais pas grand-chose, donc mon avis ne vaut pas tripette, mais ce genre de jazz, j’ai l’impression de l’entendre au kilomètre dans la production moderne ( je suppose que les spécialistes vont me houspiller ! ) je n’insiste pas, je vais faire une longue ballade, en passant devant la scène mix Jazz ( zut, je l’oublie toujours celle-là ! ), je vois que ce soir passe Dorian Concept, tiens donc !


 
Je rentre, rédige cette brève note et me prépare au concert de ce soir, sans savoir ce qui va se passer : avec ce beatmaker autrichien qui a une tête d’ado, canonnant à l’envi des bangers survitaminés, on peut s’attendre à tout, fuser d’un jazz quasi tradi ( euh… ) à des éclats de Korg d’une virtuosité ineffable… Je ne sais plus où j’étais tombé sur ce type déjanté, mais la prestation était époustouflante, dans un style de musique électro qui alors là n’est vraiment pas le mien ! Mais, quand c’est bien fait…

 

rendez-vous de l'Erdre 2013


1er  septembre



Vendredi 30 août : l’heure de me diriger vers le millésime 2013 de cette belle initiative nantaise :

les Rendez-vous de l’Erdre, Jazz et Belle Plaisance,
est arrivée.


Le soleil est de la partie, je ferme le magasin et je fonce. Faut dire que ce n’est pas bien loin, 10 mn à pied et encore. Et je ne veux pas traîner vu que je ne pourrai pas consacrer beaucoup de temps à la manifestation cette année.


Ah, zut ! Trop tôt… Les scènes sont encore en réglage balance !

Retour chez moi pour grignoter. Au passage une amie m’interpelle : on dîne ? On dîne.

Du coup, j’y retourne un peu tard, vers 22 h 00 pour tout dire.


L’ambiance est toujours bon enfant ; j’ai l’impression que la place de la Belle Plaisance s’est accrue, de beaux bouquets d’embarcations forment des corolles au milieu du bassin, c'est adorable ! Les émanations des « baraques à frites » sont de plus en plus envahissantes et passent conflictuellement d’exotiques saveurs envoûtantes à des remugles de vieille huile, mais elles participent si jovialement à l’animation…


Je regrette peut-être de voir tant de bières ou bouteilles de rosé dans les mains de jeunes gens déjà passablement excités et criards, filles ou garçon ; j’évite de peu quelques éclaboussures de rosé.


Un groupe sympa sur une péniche, La Lola, me retient quelques instants, rien d’éblouissant, c’est gentillet.

Petit arrêt devant les spectacles toujours touchants de ces immobilistes qui bougent, l’option robot rigolo semblant prendre le dessus cette année encore.


J’approche de la scène Sully, peut-être ma préférée, accélère le pas sous l’urgence de mes oreilles attirées par un saxo fusant par-dessus une pulsation rythmique à forger de l’acier !


Une jeune femme blonde (elle s’appelle Céline Bonacina), ressemblant un peu à Françoise Hardy (plus jeune), aux bas oranges à pois et chaussures jaunes décoche des élans acérés de son saxo, joyeuse et animée, jetant des regards complices vers un long black (malgache, renseignement pris : Hary Ratsimbazafy) à la batterie et un bassiste (Romain Labaye, rouennais) souriant et désinvolte imposant une rythmique implacable, tout en mouvement, aplomb et variations.


Ça  promet !


Le saxo fusant survole l’inaltérable fondation des deux garçons survoltés et balançant des pêches tordues.


Le morceau s’appelle Green Shoes et est bâti avec la solidité groovante d’un soubassement funk assénés par des gros bras énergétiques !


Commence alors un très long solo de basse chorusée, virtuose mais sensible, transporté, dont les échos sinueux d’un doigté impressionnant naviguent en dansant autour des appuis fervents d’une batterie robuste comme des enclumes qui, après quelques piques barrées du saxo prend le relais pour une page costaude et ensorcelante, endiablée même mais structurée comme une armature de pétrolier, très inventive même si parfois les bras savonnent un peu, plusieurs changements de tempo imprévisibles et déstabilisants mais si habiles, un pied de grosse caisse cogneur et dégourdi, formidable, le tout rappelant parfois Will Calhoun !


Le morceau s’achève sur un bref final vibrant d’énergie !


Génial !


Pour la pièce suivante, le trio est rejoint par un percussionniste, une chanteuse et un vibraphoniste.


Le morceau s’appelle « désert » et commence avec les codes un peu lassants d’une word musique d’ambiance. Pas désagréable mais on est bien redescendu quand même, et puis je ne suis pas fan de ce type de chant en glapissements acrobatiques venus du Scat…

Jusqu’au moment où la folie grimpe, le ton change, la pression s’installe comme une urgence incontrôlable, le chant s’envole vers des délires vertigineux d’inspiration qawwalî tendance Nusrat Fateh Ali Khan, le saxo jette des éclairs surplombant une rythmique d’une ossature de tyrannosaure, luisant de brèves flèches cinglées dans la mêlée, telles les fantaisies illuminées d’un Emile Parisien, un vibraphone éloquent oscillant entre rythmeur et concertant dont les timbres s’enroulent autour des sonorités si caractérisées des autres musiciens, le percussionniste débridé se dégage un instant de ses invraisemblables fûts pour nous soumettre une intervention discursive diaboliquement belle et virtuose et si humaine d’un talking drum appuyé sur les libertés du bassiste et les bras en béton souple du batteur, toujours inspiré pour se glisser dans les vides de fréquences, trouvant systématiquement l’idée pour enrichir la fantastique et très émouvante éloquence du percussionniste qui nous conte avec malice une histoire d’une fantaisie hallucinante.
Là encore plusieurs morceaux en un seul, avec des transitions qui laissent au bord du vide, haletant, gourmand, vivant !


Dernier morceau nous avait-on annoncé, mais la dame au saxo revient pour un bis, s’arme de son saxo basse aussi grand qu’elle et dénoue de belles bases harmoniques lentes, des mélodies courbes bouclées électroniquement et qui viennent lentement se juxtaposer en canon : c’est super beau, une élocution harmonique troublante. Puis elle pose l’instrument alors que les boucles décalées embaument abondamment l’atmosphère pour se saisir d’une petite boite à cordes (sais pas comment ça s’appelle) et jouer une délicate berceuse prise dans les volutes du saxo basse avant de nous souhaiter d’une voix tendre un « bonne nuit » mutin comme pour mieux cacher les musiciens qui, dans l’obscurité, reprennent leur place…


… Et soudain c’est reparti de cette fougue organique, sensuelle et violente, le percussionniste fait feu de tout bois, depuis les congas jusqu’aux Chimes (oui, c'est pas du bois) en passant par le Udu (c'est pas du bois non plus), s’offrant le luxe d’une impro pléthorique cette fois encore en stratifiant ses errances sur les fondations solides du couple basse / batterie, toujours aussi structuré et chantant.


Encore quelques fulgurances saxo / voix / marimba et puis hélas le concert s’arrête, me laissant pantelant et encore affamé !


Dommage que je sois venu les poches vides, sinon j’aurais foncé acheter le CD qu’a proposé la demoiselle avant de plier les gaules.


Mais il est temps de rejoindre la scène nautique où Michel Portal - quand même - se produit ce soir.

Du beau monde semble-t-il pour le peu que j’aperçois, je vois Vincent Peirani à l’accordéon et Daniel Humair à la batterie, je n’ai pas reconnu tout de suite Bruno Chevillon, faut dire que c’est difficile de se dégager un angle de vision. La foule est immense, dense, compacte, bavarde, souvent armée d’un verre de bière ou d’une bouteille.

Jazz et Picole ?

    
Bon, que dire ? Portal attaque fort, imposant un lyrisme sidérant à sa clarinette magistrale qui plane bien au-dessus du commun, Peirani lui répond avec panache et grâce, l’entoure de son instrument toujours aussi riche, son jeu imaginatif et émouvant, ses interventions solistes déclamant une poésie rarissime.
Que dire de la contrebasse, je ne sais trop, le son gargantuesque déforme son jeu, l’engluant dans un gros grave monochrome ; on dirait de la hifi de base.

Mais il y a Humair.

Et, ce soir, Humair m’exaspère !!!


Ses mignardises précieuses et paresseuses, ses sucreries permanentes agrémentées d’un sourire de ravissement, ces longs passages sans une once d’effort où il exhibe sa vaine dextérité sur la Charley et deux cymbales au point de se demander pourquoi il s’encombre de fûts, ses roulements de caisse claire légers et parfaits certes mais si ennuyeux me font regretter le grand black rectiligne qui tranchait dans le lard avec ô combien d’imagination sur la scène de Céline Bonacina. Mais où est le Humair si créatif qui accompagnait Nougaro sur Mai, Paris Mai ?


Une jolie jeune femme aux longs cheveux blonds bouclés et robe longue très élégante, tendue sur la pointe des pieds derrière moi me distrait un instant, je lui cède mon petit coin dégagé pour qu’elle voie mieux. Enchanté par son parfum délicieux, j’écoute encore deux morceaux où décidément Portal est magnifique, Peirani bouleversant, mais sans réussir à me détourner de l’ennui.

Je pars, fais quand même le tour de la scène pour aller voir ce qui se passe ailleurs, jette une oreille de loin aux Mountain Men sur la scène blues, pas mal, simple, naturel, engagé, détendu, puis bifurque vers la péniche Lola où un ensemble clavier (jeune homme aux cheveux rouges), accordéon (jeune femme aux cheveux rouges), basse, batterie (aux cheveux sans particularité), et un guitariste (aux cheveux bouclés) attire un instant ma curiosité, un côté gentiment amateur, de charmantes idées, le guitariste, pourtant plus âgé que les autres, a un jeu scolaire vite assommant.

Je repars en contournant la scène où Portal enchaîne ses voyages inspirés et Humair ses miniatures infinies.



**************




Samedi, arrivée tardive et, comment dire, cacochyme ? Je me suis cassé le dos dans la matinée, ça ressemble fort à une vertèbre coincée ; la journée a été un calvaire et demain j’ai 4 h de voyage !

Essayant d’éviter en grimaçant les innombrables obstacles qui émaillent le chemin jusqu’à la scène blues (et il y en a, croyez-moi, notamment, tiens, beaucoup de gens, mais qu’est-ce qu’ils font là, comment se peut-il qu’il y ait autant d’amateur de jazz et si peu dans les vrais bons magasins de hifi (hihi) ?), je reste éloigné de la scène ne tenant pas à m’immerger dans la foule, chaque heurt involontaire et anodin catapultant un tourbillon de feu dans le dos.


Big Daddy Wilson. C’est chouette, du bon gros blues qui baratte gentiment du côté du cœur. Pas un instant d’originalité, je m’ennuierai vite, mais c’est d’un classicisme louable dans le genre. On est sur les fondamentaux.


Allez, direction Sully pour écouter Aldo Romano, ce grand batteur qui s’est essayé à tant de partenaires. Je résume mon cheminement (un quart d’heure ?) jusqu’à la scène, évitant les pauses sur diverses attractions, tente de trouver un petit trou d’où j’apercevrai vaguement quelque chose.
 

Romano est lancé dans un drôle de solo quand je m’installe sur une jambe. Une élégance folle, belle sonorité des toms, un son creusé et clair, une frappe pure et virevoltante, on ne sent vraiment pas l’effort, il y a ici encore cette aisance désinvolte que l’on avait vu chez Humair la veille, mais en proposant quelques audacieuses combinaisons qui détournent du minimum syndical.


Bon, pour le reste, que dire ? Les copains d’Aldo nous déroulent de ce jazz ultra-léché, indéniablement concocté avec soin par des gens de métier au talent admirable, un saxo raffiné (Baptiste Herbin), un piano volontaire et sensuel (Allessandro Lanzoni) et une contrebasse irréprochable (Michel Bénita). Mais bon. Tout est parfaitement à sa place, où il faut quand il faut, c’est virtuose sans être élitiste, c’est plutôt sympa. Mais kilométrique. De ce jazz dont on se demande pourquoi ça s’arrête à tel moment plutôt qu’à un autre, parce qu’ils pourraient continuer pendant des heures. Or, c’est certes super bien fait mais pas envoûtant. Portal et Peirani hier procuraient beaucoup plus d’idées délicieuses en 5 mn qu’ici en 25.


Du jazz qui ne fait de mal à personne, mais qui ressemble à ces trucs qu’on consomme en boucle comme autant de prozac dans une discothèque lénifiante.



Je m’éloigne en boitant de la scène Sully pour me diriger vers ce qui attire le plus ma curiosité cette année, scène  Nautique.



Médéric Collignon adapte King Crimson.



Entrée sur scène des deux cent cinquante musiciens alors que le vent se lève soudain.

Mais combien sont-ils ? Ah oui, 12 quand même, dont 2 quatuors à cordes.

Après un petit bavardage un peu auto satisfait de Collignon (le trac ?), on attaque par Red ! Directement ! Et croyez-moi, on a illico les deux pieds dedans (aïe mon dos !).

Waouh, ça envoie, ça pulse, c’est herculéen, vivant, jouissif, c’est même plutôt esthétique cette mixture sonore inattendue !

La trompette de Collignon s’est branchée en deux mesures sur le mode halluciné et ne le quittera pas d’un comma.

Rien à dire, les morceaux s’enchaînent en énergie enflammée et distrayante et le constat est invariable : pas un instant de relâchement, énormément d’idées dans les arrangements, notamment quand Collignon bruite la guitare de Fripp avec la bouche, stupéfiant et barré, incroyablement efficace, (je suis un peu moins séduit par les moments où il chante vraiment), sa trompette truquée, chorusée,  frauduleuse, « délayée » propulse des « distor-sons » venus d’ailleurs mais qui évoquent si limpidement la marque frippienne, les quatuors sont engagés et joyeux pour singer les guitares ou autres, ce moment drôle (et qui donne un peu de distance quant à l’acte iconoclaste de l’adaptation) où les membres des quatuors se mettent à babiller un chant tapageur et rythmiquement formidable, les interventions qui paraissent d’abord un peu scolaires du Fender Rhodes pour rapidement se hausser vers des mélopées sinueuses et solennelles, une basse qui pourrait soulever la scène et remonter le courant et bien sûr un batteur qui « patate » un élan vital trapu au poids de la fonte et pourtant si chantant, constamment dans la rupture, l’évolution, l’énergie et la variation, de frappes, d’enchaînements, d’intensité, et qui ne fatigue jamais (droit être crevé à la fin !).


D’un exercice un peu cérébral, on bascule vers un atelier de plaisirs, avec un enthousiasme absolu, un engagement au-delà du passionné, c’est absolument du Crimson et pourtant autre chose, pas une adaptation, mais une interprétation, d’une totale dévotion pour l’original (là où souvent dans le jazz la reprise s’en éloigne totalement), ne nuisant en rien à l’inouïe inventivité de l’exercice. Je n’y croyais qu’à moitié, j’y adhère à 200% et seuls les élancements de mon dos me contraignent à clopiner jusque chez moi avant la fin.


Un grand moment, deux avec Céline Bonacina au total cette année où je n’ai pas vu grand-chose, deux découvertes (oui, je sais, les victoires du jazz, tout ça, mais honnêtement, ces récompenses «entre copains » congratulent souvent du pas grand-chose, normé FIP/Télérama), deux absolues justifications de la nécessité de ce festival à part.


Ah, autre bon point de ce millésime : la part croissante de la plaisance au milieu du jazz, les embarcations fleuries de lumières dans la nuit, des illuminations fruitées, accentuant la sympathie de l’ensemble des rencontres, merci !


Voilà, fini pour moi cette année car demain je pars pour rencontrer des « fournisseurs » qui nous préparent un projet qui a une vraie couleur d’absolu et va nous permettre de renouer avec nos fondamentaux.

J’espère pouvoir vous en parler bientôt !

   
 

concerts des 5 et 27 novembre 2013


27 novembre 2013



ONPL dirigé par Alain Lombard


Bartók : Musique pour Cordes, Percussions et Célesta

Dvorak : Symphonie n° 8.



Une fois n’est pas coutume, je vais faire bref : une version très civilisée du Bartók, quasi de boudoir, procurant des frissons délicieux lors des moments mystérieux, poétiques à souhait, et une ductilité louables des cordes dans les moments où on aurait aimé un peu de tension nerveuse, d’intensité, de rage.

Mais bon, ce tempo modéré partout, ce refus de l’engagement se défendent et offrent une perception intéressante de l’œuvre d’autant qu’elle met en relief de belles couleurs boisées des cordes.

Moyens pléthoriques pour Dvorak. Un démarrage fusant sur ce qui n’apparaît à la longue que comme une succession d’hymnes nationaux, d'assauts de cavalerie, de bucoliques désuètes et de pastorales naïves.

Les bois, très sollicités, sont prosaïques, les cuivres, issus d’une fanfare, claironnent avec enthousiasme et, hormis un superbe passage au milieu du second mouvement, très sibelusien, délicat, fourmillant de douces teintes et frémissements, le reste ne sera que caricature d’une musique elle-même très exposée au sourire qui, si elle n’est pas envisagée en subtilité de jeux de couleurs, tourne à la farce hollywoodienne.
Or ici, tout était tout le temps trop fort, pas en place, un joyeux fouillis ponctué de coups de busina d’une légion romaine en déroute, ou bien d’une charge grotesque du 7ème de cavalerie façon John Wayne dans laquelle on excusera évidemment un total défaut de synchronisme entre les cow-boys et les indiens.
 
Lombard essayait vainement de remettre de l’ordre dans tout ça en chantonnant, grognant, tapant du pied, mais rien n’y faisait, le rendez-vous ne pouvait avoir lieu qu’à la coda.

Ceci étant, au moins a-t-on bien rigolé !

Certes, l’œuvre souffre sans doute de cette manie de l’auteur de se complaire dans la grandiloquence du drapeau, mais nous avons quand même connu des versions plus habiles à éviter l’emphase au profit de pastels sublimes, tel Kubelik ou Kertesz.



Quand je pense que je n’ai pas chroniqué un concert d’il y a 15 jours avec Pascal Rophé où nous avons eu droit à un Dumbarton Oaks de Stravinsky très nuancé, très coloré, très réussi où seul manquait le déhanché rythmique auquel John Axelrod nous avait habitué, un concerto pour violoncelle de Chostakovitch un peu sage, négligeant la folie guerrière (voire un peu vulgaire !) de certaines versions d'anthologie, néanmoins superbement interprété par le jeune Edgar Moreau, pas vraiment flamboyant mais appliqué et préférant le phrasé à l’engagement, un Tombeau de Couperin de Ravel coloriste et délicat même si un rien trop vertébré et ennuyeux et une Symphonie Classique de Prokofiev certes survolée mais honorable, soit un bon concert à l’arrivée, je suis pris de remords !

Toutes mes excuses.
 

le site de RKA


Juin 2013



En cherchant une information qui n'avait aucun rapport, je suis tombé sur le site de Rachel Kolly d'Alba et particulièrement cette page :

http://www.racheldalba.com/page106/page4/styled-43/page86.html

Merci Rachel.

J'ai hélas été empêché par un souci technique de publier mes plaisirs musicaux pendant une période bien trop longue et je suppose que John m'en veut un peu.

Mais c'est reparti : nouveau site, et retour à la liberté d'expression !

Je reste sous le charme de notre rencontre. En espérant qu'il y en aura d'autres.

AC

Quatuor TANA le 5 novembre 2016


Le samedi 5 novembre 2016, le Quatuor TANA nous a fait l’honneur d’un concert à l’occasion de la première édition du Salon staCCato, dit staCCatoLa Rosière et ce grâce à Serge Thomassian, directeur artistique du label Megadisc-Classics et ardent promoteur de la musique contemporaine.
    
Je tiens d’autant plus à les remercier que Jeanne Maisonhaute (Violoncelle), Antoine Maisonhaute (Violon), Ivan Lebrun (Violon) et Maxime Désert (Alto) arrivaient en automobile de Clermont-Ferrand où ils avaient joué la veille.

 

Au programme, celui de leur disque remarquable sous label Megadisc-Classics consacré à deux œuvres essentielles de Steve Reich : WTC 9/11 et Different Trains. Toutes deux demandent une installation technique puisque le Quatuor réel « accompagne » des enregistrements préalables d’autres pages pour quatuor et des « bandes sons » faites de bruitages et voix.

Antoine Maisonhaute précise que, contrairement aux habitudes, les enregistrements des parties de quatuor ont été faits de bout en bout sans utiliser de boucles, afin de préserver la « vie » de ces portions, et que pour l’enregistrement final du disque - que je vous recommande évidemment -, le Quatuor a joué devant des enceintes qui passaient les pré-enregistrements. Autrement dit une prise live par opposition à une superposition par mixage. Exploit technique donc, marquant la volonté de plus d’engagement musical, et pari gagné.

Qui dit installation technique dit ingénieur du son et c'est Diego Losa du GRM, compositeur, qui a eu la gentillesse de faire le déplacement pour tenir le rôle de cinquième membre.

Le concert de ce soir représente pour moi une expérience d’autant plus intéressante que j’avais assisté à la première de WTC 9/11 au Pershing Hall le 11 septembre 2016 par le même Quatuor TANA, et avais été sidéré par l’intensité émotionnelle de leur proposition.

Je vais vous éviter un décryptage pas à pas pour raconter l’œuvre, je préfère toujours recevoir la musique au premier degré. Et puis je ne vais pas prétendre m’y connaître.

Evidemment, le concert de ce soir va me replonger dans la même tension nerveuse qu’au premier choc, à la limite de la crispation tant l’intensité dramatique de l’œuvre est transcrite avec une énergie implacable par le Quatuor TANA.

Mais j’irai plus loin ce soir dans ma perception sensitive et musicale de cet opus majeur car, est-ce une question d’intimité dans cette salle où nous sommes pourtant plus de 80, est-ce l’équilibre plus sensible entre la partie jouée et les parties reproduites (sur des Atohm GT2 HD et GT3 HD comme lors de la prise de son, via les blocs AM400 Atoll) ?, qu’importe : je me sens plus proche, mieux nourri de la partie directe et vis au plus près les… Quels mots employer sans dire une bêtise ?... Les contre-champs (au sens photographique) comme les superpositions, les dialogues comme les chorales entre les divers sous-ensembles des quatuors où la ductilité aérienne des musiciens ce soir crée un climat tout aussi bouleversant mais plus imprégnant, empoignant, nous obligeant à accompagner le mouvement continu dans une sorte de détresse contradictoirement dansante, une entrainante fascination .

On est emportés, on est pris, mais cette fois moins à la gorge qu’au corps et, bien placé pour pouvoir observer le public, dans une transe collective, tribale.

Les mots ou cris des spectateurs de la blessure mortelle infligée à cette tour symbolique un 11 septembre où tout bascule, victimes, pompiers, l’incrédulité douloureuse transmises par les textes et les bruits éclatent en bulles d’angoisse portées par les archets inspirés de TANA, autant de battements d’ailes d’anges ou de coups de couteau de Lucifer selon les instants, transformant cette pièce courte, j’allais dire heureusement, en un tableau de Hieronymus Bosch.

C’est d’autant plus puissant qu’il y a un plaisir fort à observer la concentration des quatre jeunes musiciens, dégageant une beauté peu commune, jusque lors d’une brève parenthèse de doute si bien maîtrisée lorsque la technique les trahit (perte des « clics » qui dictent chaque pas dans le déroulement), dont personne ne s’apercevra dans l’évolution lyrique.

Et comme à chaque fois que j’écoute la dernière partie de WTC, pourtant portée par l’idée de « World To Come », je perds l’équilibre quand intervient la coda brutalement interrompue, le vide, le choc sur la deuxième tour, la fin. Ou le début ?
Le silence.

 

Sidérante première partie  de soirée donc, justement ovationnée pour saluer l’effort car l’œuvre est aussi difficile pour les musiciens qu’elle est douloureuse pour l’auditeur quand elle est racontée avec autant d’intelligence et de cœur, éloignant cet instant de musique évocatrice, quasi figurative, d’un rapport journalistique objectif, façon Kronos, pour nous impliquer viscéralement et émotionnellement dans le souvenir.

 

Ou pourra évidemment me reprocher la flagornerie de l’hôte dans ma « critique », peu m’importe car la suite du programme m’en dédouanera : pour avoir naguère assisté à une présentation intéressante de « Different Trains » par le Quatuor Diotima, je vais pouvoir comparer deux approches radicalement différentes au concert d’un opus qui, guidé par des clics et des parties enregistrées, pourrait donner l’impression d’un carcan inaliénable.

Eh bien non ! Le Quatuor TANA va nous en faire une démonstration flagrante.

Le démarrage de Different Trains porté par des sifflets de locomotive est toujours aussi magique ; quel beau son, ces sifflets qui à eux seuls engagent dans le trouble…

Mais immédiatement apparaît le ton inattendu que TANA va apposer sur ce tableau fondamental de la musique contemporaine, mise en parallèle des trains que, enfant, Steve Reich prenait pour de longs voyages de la côte est vers la côte ouest des Etats-Unis, passerelle obligée entre ses parents divorcés, et ceux qui en Europe, sous le fouet et les crocs, transportaient les enfants juifs vers l’abomination

TANA sinue sur une souplesse du trait, une lisibilité humaine par un toucher délicat épanouissant les timbres, mais surtout libère un swing, voire du groove, qui va transformer les machines en instruments sublimes, aussi bien dans la beauté que dans l’horreur.

Cette élasticité des lignes nous emporte dans un tourbillon, une valse asynchrone irrésistible, alors comment ne pas tanguer en frémissant à la façon permanente dont le Quatuor TANA va faire virevolter les notes, ou tourner autour, nous amenant parfois à l’ambivalence de magnifier la douleur comme sous opium, l’anesthésier sans pour autant l’oublier, une distance étrange et dérangeante qui renvoie à une forme de culpabilité, celle du témoin impuissant, indirect par la force des choses, obligé d’accepter ce qui s’est passé, ce à quoi il a échappé, la menace lourde qui pèse sans cesse sur l’humanité tel un ultimatum d’apocalypse.

Jaillissements d’émotions métissées, de heurts contradictoires, la voie choisie par TANA embellit la narration, impose à la compréhension émotionnelle la dualité partageant et réunissant la mélancolie naïve d’un enfant protégé et le journal d‘Anne Franck, lue par un comédien d’exception, enfonçant l’évidence du vécu dans les couches profondes de la mémoire…

Des moments exaltants de musique pure nous éloignent par fulgurances de cette chape prégnante pour nous conduire sur une ligne musicale incandescente, telle en dernière partie ( ? j’ai un doute) la formidable accélération de la ou des locomotives dans un ouragan mécanique fou mais ici si coloré, si riche en harmoniques, si étourdissant dans les distorsions temporelles, la désynchronisation ivre qui jaillit des instruments soudain extravagants donnant une dimension symphonique à ce poignant instant !

J’en tremble encore. Jamais je n’aurais attendu tant de variations rythmiques, de boisé, d’envolées puissantes ou contenues dans une même pulsation vers le cœur.

J’espère sincèrement, chers amis du Quatuor TANA que le public a été à la hauteur, mais en tout cas il vous a justement acclamé, et j’aimerais vous faire partager les témoignages d’émotion qui me sont faits depuis ce grand jour.

Merci encore chère Jeanne (Mademoiselle M… comme désormais je vous surnommerai), merci Antoine, Ivan et Maxime pour votre fraicheur, votre engagement et votre sincérité, merci pour la soirée et sa prolongation autour de mets fins mais pas à la hauteur de votre gentillesse.

Et bien évidemment un immense merci à Serge.

Et à Diego !

 

AC


ONPL, concert du 26 novembre 2014


27 novembre 2014

 

Concert à l’ONPL, soirée Symphonie Romantique du mercredi 26 novembre.

Debussy, 3 études apparemment orchestrées par Michael Jarrell

Mahler, Lieder eines fahrenden Gesellen

Véronique Gens, soprano 

Bruckner, symphonie n°4

Direction Pascal Rophé

 

Rien à faire, vouloir donner des soirées à thème, ça me fait toujours un peu sourire, et réunir dans un même programme sous l’idée du romantisme Mahler, Bruckner et Debussy, mouais, c’est vraiment histoire de trouver un thème.

Cependant la musique "romantique", théoriquement je suis preneur...

 

Les premières notes de Debussy s’annoncent bien, égrènement les frétillements lyriques d’une légèreté aérienne de bon aloi sans toutefois atteindre l'apesanteur debussienne idéale, quelques jolies touches de couleurs tissent cette toile qui synthétise assez bien l’univers diaphane et impressionniste de Debussy, ce M Jarrell a bien appris ses leçons.

Mais rapidement l’ensemble manque un peu de ces nuances limpides de glissandi murmurés qui évaporent la magie sensible de Claude D.

Une introduction pas désagréable mais pas indispensable non plus.

 

Orchestre pléthorique pour la suite, ce magnifique et court cycle de lieder de Mahler.

D'emblée le même constat s'impose : pas de nuances dans les attaques de notes, surtout les vents. Néanmoins quelques pastels raffinés font plaisir à entendre et puis surtout l’écriture méticuleuse de l’orchestre-écrin de Mahler est si accaparante que la musique passe en dépit de l’approximation.

Véronique Gens - que j’aime beaucoup par ailleurs - ne me paraît pas tout à fait à son aise dans ce registre (et cette langue ?) et son timbre reste un peu banal notamment dans les ardeurs quasi-wagnériennes où la voix blanchit plus encore et l’articulation, déjà pas très nette d’où je suis, disparait complètement. En outre, si le chant est là, élégant et puissant, on a connu des conteuses plus inspirées, plus volubiles pour narrer ces poèmes bucoliques sillonnés de douleur toute goethienne.

 

Bruckner enfin.

Un début de cordes imperceptible très vite écrasé par le déferlement des cuivres qui transforme ce premier mouvement en concerto pour cordes et fanfare de carnaval.

C’est inaudible et incompréhensible, sans intention détectable, si ce n’est qu’on suppose que toutes les notes sont bien là et j’en arrive à redouter, dans les échos répétitifs de Bruckner, les instants où l’armée va à nouveau attaquer sabre au clair. Les cuivres se calment un peu à la fin du mouvement et aplatissent un peu moins les pauvres piétons sous leurs assauts, mais trop tard, le mouvement est fichu, on n’y croit plus, personnellement je songe même à m’éclipser.

Certes, Bruckner lui-même parlait de cavaliers sur de fiers chevaux, mais pas de charge d’une horde barbare déferlant sur de frêles vierges…

 

Je pars ? Allez, non, je reste…

 

Très beau deuxième mouvement ! Quelle splendide surprise... Un remarquable travail des cordes, délicates et quasi sensuelles, beau jeu d’aquarelles entre les registres, c’est presque frémissant ! Presque... mais formidable quand même !

 

Troisième mouvement réussi, même si un peu mécanique dans sa scansion et ses répétitions, les boucles brucknériennes s’accumulent plus qu’elles ne s’enchaînent, pour autant les cuivres à la fête dans cette verve de chasse à courre procurent de beaux éclats sidérants. Pas mal en dépit, toujours, d’un manque de nuance des attaques de note, particulièrement le flutiste au sein d’une petite harmonie par ailleurs colorée. Travail soigneux des cors, suaves et réservés.

 

Evidemment ça se gâte dans le dernier mouvement.

Car il est énoncé comme un rabâchage exact de la succession de blocs systématique du 3ème mouvement.

Et du coup appauvrit l’œuvre par une construction uniquement machinale et répétitive, médiocrement prosaïque, où les variations se succèdent comme un défilé militaire.

Non, la rhétorique brucknérienne ne doit pas être, ne peut pas être ainsi : ce dernier mouvement fonctionne sur un élan perpétuel, un enchainement virevoltant de tourbillons, la mobilité infinie d'un bal enivrant, pas une répétition systématique de manies métronomiques et bruyantes. Ajoutons encore le manque de souplesse des bois et cuivres (sauf les cors) sapant la ductilité des cordes excellentes mais un peu submergées et on rate ce dernier splendide flot puissant, à l’exception de l'ultime crescendo gracieux et mesuré, quelques mesures de vraie compréhension et bonheur.

 

Une honnête soirée, pas une catastrophe, loin s’en faut, ni évidemment une découverte où un moment de frissons.

 

Peut-on attendre mieux de cette phalange très irrégulière ? On finit par en douter… Au moins ce soir, ils jouaient ensemble.

 

Toutefois, en sortant, on se demande quand même pourquoi cette symphonie de Bruckner est qualifiée de « romantique ».

 

AC

 

 

 


Farewell John


3 juillet 2013

 

ONPL dirigé par John Axelrod pour son dernier concert au titre de Directeur Musical et, compte tenu de l’ambiance entre l’orchestre et le chef, possiblement son dernier tout court.


Programme Wagner (Richard) et Carl Orff.


Les mauvais esprits y verraient évidemment un programme célébrant une sale période de l’histoire mondiale et donc une évocation peu subtile des rapports tyranniques entre un orchestre et son chef, tout en se demandant qui est le tyran. Mais pas moi, ça n’est pas mon genre.

 


Chevauché des Walkyries pour commencer.

Tiens, curieux, on ne m’avait pas dit qu’il existait une version sans les hélicoptères et les vierges hystériques qui crient très fort !

Oui, d’accord, je suis taquin.

Bon, proposé comme ça, un peu abruptement, cet extrait bodybuildé d’un opéra majeur devient un peu une scie pas vraiment bouleversante (et qui donne un peu raison à Woody Allen*), mais la proposition de Mister John se tient, nerveuse, rapide, puissante, je regrette un peu que la pluie des violons équins manque des effets vertigineux qu’osent les plus grands, de même que les cordes au sens large soient encore submergées par les cuivres malgré un avantage numérique avéré. Rien de rédhibitoire.
Une page d’orchestre foisonnante jouée avec brillant et précision.


Ensuite la Mort d’Isolde, ou Yseut ou comme vous voulez.

Début absolument superbe ! Le tapis de cordes ronronne magnifiquement, la tension s’installe idéalement, les tenues longues et croisées parfaitement agencées et le premier très lent crescendo est délicatement maitrisé, l’unité de l’orchestre rassure, la beauté sonore enfin au rendez-vous, c’est majestueux, frémissant, émouvant !

Bon, ça se gâte un peu ensuite et quelques flottements au milieu de cette homélie admirable rappelle que nous sommes à Nantes face à l’ONPL.
Pas grave, Axelrod reprend la main très vite, la battue ( très élégante, y avais-je jamais fait attention ? Ah oui, il n'utilise plus la baguette ! ) resserre les rênes conduisant avec gravité vers la fin tragique, certes pas aussi somptueuse que la première ascension, qui nous renvoie quand même à cette douleur paradoxalement triomphante ( Tranfisguration ! ) d’une femme emblématique du sacrifice amoureux !

L’inexcusable sonnerie d’un portable vient hélas couper la note finissante qui aurait dû précéder un beau silence…

 

Puis arrive le gros morceau ( il y a encombrement sur la scène, entre un orchestre pléthorique, un chœur complet, un chœur d’enfant et 3 solistes ! )

 

Carmina Burana de Carl Orff, cantate scénique profane et gaillarde, polyphonie dans sa plus simple expression mais orchestration euh… flamboyante ?

 

John Axelrod comme souvent amorce le O Fortuna comme un Grand Prix, mais l’option se défend évidemment !

La mise en place est impeccable, le chœur tiendra pendant toute l’œuvre les promesses du début : somptueux, limpide, enjoué, engagé !

Les tempi rapides sont rapides. Les tempi lents sont… rapides ! Enfin pas vraiment mais, quand même, je regrette que les quelques passages assez élégants d’une œuvre plutôt éléphantesque manquent de nuances, de contrastes, mais bon, l’ensemble est solide, pas de fausse note, un maintien de la cadence sans faille ; à défaut du raffinement (vous me direz, sur Carmina Burana… Pour autant, Jochum Prévin, Shaw, Mehta l’ont réussi !) on a le spectacle et je suis un peu affligé de constater qu’il faut en arriver à une pochade difficile (Carmina Burana) et les adieux de John pour que l’orchestre donne l’impression d’être vraiment uni, en place, chatoyant et heureux !


Interventions remarquables de joie paillarde de Thomas Mohr, baryton truculent, plus dans la comédie que dans la justesse, cautionnées par les sourires que le ténor décoche sans compter aux foucades de son collègue !

Agustin Prunell-Friend, le ténor en question, est tout aussi engagé, détimbrant à loisir pour atteindre le fausset grivois écrit par Orff, c’est casse-gueule, mais très réussi.

Myrto Papatanasiu (dans l’ordre d’apparition), soprano, est moins souriante (et si belle), plus austère, mais délivre le travail avec sincérité, une voix ferme et animée, un aigu qui corne un peu dans les passages difficiles, balayée par une impressionnante tenue de note sans la moindre perte de densité en dépit d’un quasi murmure ! Stupéfiant !


Final puissant, qui, à l’image de tout ce qui a précédé, est porté avec panache, la cadence a été soignée de bout en bout, les balancements rythmiques irréprochables (c’est quand même un des points forts de John), et les élans fougueux quasiment jubilatoires !

Tonnerre d’applaudissements. Faut dire qu’avec une programmation de ce genre, il n’y avait pas beaucoup de risque, mais la démonstration a vraiment été éclatante.


On arrive alors au moment de vérité où, après les longues salutations d’usage, John, en communicateur formé aux Etats-Unis, tend le bouquet de fleurs à une enfant puis, décidé sans doute à donner une petite leçon à l’orchestre en imposant un record probable de durée d’applaudissements, histoire de dire que son public le regrette déjà ( et ça, on ne saura jamais… ), entreprend de serrer la main de chacun des musiciens !

Heureusement qu’il nous a épargné les choristes, on est vieux quand même, on fatigue vite.


Le geste de John Axelrod est un peu emphatique, certes, provocateur probablement, mais pour autant, si on est content de voir que certains musiciens sont émus de l’adieu, je tiens à dire à ceux qui ont boudé le geste, quels que soient vos griefs, quel que soit votre talent, que c’est aussi un affront au public, qui, dois-je le répéter, via ses tickets, abonnements et impôts, représente quand même votre gagne-pain !


*vous ne connaissez pas la citation de Woody Allen ?

Il y en a une autre, dont j’ai oublié l’auteur et qui dit en gros : l’orchestration de Wagner, c’est écraser une mouche avec un rocher.

Je ne suis pas d’accord ! Mais alors pas du tout !

 



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