Beethoven par Vänskä
Intégrale des symphonies de Beethoven
Osmo Vänskä
Minnesota Orchestra
Bis
Des symphonies de Beethoven ?
Pas très original ?
Eh bien si, justement !
Une vision ? Non, pas besoin d’employer de grands mots : une relecture.
Telle en littérature les grands classiques dont on s’aperçoit en y revenant 10 ou 20 ans plus tard qu’on était passé à côté de tant de choses.
Car il ne s’agit pas chez Vänskä d’une posture décapante ou révolutionnaire qui, à l’instar des baroqueux, surlignerait l’exégèse de l’anorexie, des accents outrés, ou d’une hystérie systématique des tempi pour faire moderne ; rien de tout ça mais plus humblement une approche singulière et mesurée, harmonieuse de bout en bout, basée sur une scansion rythmique rigoureuse absolument pas survoltée, limpide, n’hésitant pas à privilégier le staccato et sachant en même temps sinuer en grâces onctueuses par des ralentissements légers ou des fulgurances incisives, d’éphémères touches de délicatesse, atténuations dynamiques ou jeux de rebonds à des instants choisis pour souligner une particularité d'écriture précise.
Lecture méticuleuse, très animée et nuancée, Vänskä obtient dans son intégrale un résultat d’une extraordinaire précision, fondée sur une flagrante complicité entre un orchestre dévoué et un chef inspiré au profit d’une intelligibilité directe de l’œuvre refusant tout pathos, approche qui sans doute ne serait pas possible avec des lourdes phalanges historiques telles que Vienne ou Berlin, trop habituées à jouer Beethoven à leur manière ; or, la façon si élégante de Vänskä d’examiner consciencieusement les structures et couleurs de la partition produit le bénéfice idéal de rappeler combien ces opus rabâchés sont d’une innovation prodigieuse, agitatrice, atemporelle et sans équivalent, même si parfois on se surprend à entendre du Schubert dans l’aération solaire imprimée par Vänskä et ses complices.
C’est une part importante de ce dont nous sommes les heureux témoins : l’entente consommée entre musiciens, la joie de jouer ensemble, de raconter une histoire subtile à l’unisson, dans un même élan fusionnel. L’orchestre du Minnesota accepte avec le sourire les variations de lumière et teintes et rythmes auxquelles le démiurge les expose inlassablement, mettant en scène chacun des musiciens à cru sans que jamais aucun ne tremble ; mieux encore : la maîtrise est maintenue jusque dans des forte d’une cohérence idéale, aucun décrochement de puissance mal dosée, c’est époustouflant de justesse.
Ainsi baigne-t-on dans l’impression amusante que Vänskä n’interprète pas mais lit la partition sans rien rajouter ou retrancher, truquer ou embellir, il enchaîne l’air de rien finauderies, idées simples idéalement à propos, suggestions inédites pour systématiquement dégager l'espace nécessaire à sa conception du propos, une virgule rythmique, un léger accent sur un pupitre ou la mise en évidence de liens harmoniques communément fondus, bref déroulant une intelligence concertante en permanente évolution et d’une rafraîchissante légèreté.
Et plus d’une fois on se surprend à se dire : mais oui, c’est ça évidemment, c'est Beethoven...
Ce qui ne retire rien aux innombrables plaisirs de centaines de versions à travers les décennies, ça n’empêche pas d’adorer Karajan ou Klemperer, Abbado ou Furtwangler, Schuricht ou Gardiner, ou Zinman ou Järvi, ou la récente offre de Chailly (un diamant brut ! Il faudrait que je prenne le temps d’écrire là-dessus) mais Vänskä nous renvoie à une matière vierge qui désigne la beauté directe de l’écriture, son inventivité permanente, sa folie parfois, ses difficultés souvent ; et l’ensemble, refusant les effets somptueux ou simplement de resservir une même idée flatteuse, donne la compréhension de la richesse intrinsèque des lignes quitte à épuiser l’auditeur en lui interdisant de se déconcentrer, se laisser aller, qui découvre stupéfait les merveilleuses facéties de l’orchestration, d’idées bouleversantes entrecroisées, de jeux diaprés de couleurs harmoniques magnifiés par Vänskä et ses sbires.
La volonté d’articulation continue au profit d’une compréhension première de l’œuvre se poursuit avec les solistes et chœurs de la 9ème où là encore la parfaite intelligence du texte et des idées mélodiques est le mot d’ordre, permettant comme jamais de savourer la façon dont les lignes de cordes ou bois soutiennent au millième près les circonvolutions du chœur.
Bien sûr, dans la neuvième on pourra préférer une emphase romantique à cette approche éventuellement martiale, mais comment en nier la puissance tant elle évoque au moins autant le génie de Beethoven.
Lu comme ça, on pourrait croire que l’offrande de Vänskä nie toute forme d’émotion pour un décryptage totalement cérébral et froid ?
Pas du tout, bien au contraire, et c’est sans doute le plus surprenant : on plonge au cœur de la musique pure, on côtoie l’esprit supérieur qui l’a ciselée, révolutionnaire et hors pair, le lien devient direct, organique, puissamment émouvant par une connexion au Maître laissant entrevoir selon les instants son intransigeance, son orgueil, son humour, sa décontraction apaisée, sa distance amusée, son mépris, et sa formidable verve imaginative, sa stature colossale… Nous offrant plus que jamais une possible vision de musicien sur ces partitions que l’on croyait usées ou seulement mises au goût du jour par des frasques rythmiques, des accumulations de contrastes tenant le plus souvent de l’exercice de style.
La captation très multi-micro correspond parfaitement à la volonté de limpidité du chef, respectée par une livraison haute-résolution 24/44 sur Qobuz , même si cela engendre que les dimensions relatives des pupitres sont parfois étranges (notamment l’impression d’un petit ensemble de violons) mais participe intelligemment à l’allégement apparent (apparent seulement) de la structure avant tout permis par la capacité merveilleuse du chef à isoler ou lier les instants suspendus de chaque pupitre ou solistes.
Et pour conclure, félicitations à l'Orchestre du Minnesota absolument sans faille dans un exercice et une approche pourtant difficiles qui exposent terriblement les musiciens. Voilà qui nous donne un aperçu de ce que des orchestres de second rang, quasiment de province, peuvent atteindre s'ils se donnent la peine – ou le plaisir - de travailler.