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rendez-vous de l'Erdre 2011


septembre 2011



Parmi les agréables initiatives de la ville de Nantes, on peut compter les très sympathiques journées du festival « Belle plaisance et jazz » connues sous le nom des  «Rendez-vous de l’Erdre» généralement le premier week-end de septembre.

 
Pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont 3 jours de jazz(s) répartis sur diverses scènes disséminées autour de et même sur l’Erdre, incluant quelques péniches pour des concerts off, manifestations de plein air, gratuites, associées à des présentations de jolis voiliers des rivières…

Comme d’habitude, je m’y suis rendu dès le vendredi soir, après la fermeture du magasin, le nez au vent, en fonction de contingences diverses, sans avoir jeté le moindre coup d’œil au programme, même s’il est difficile d’ignorer que la star de l’année sera Archie Shepp.

 
Quand je dis nez au vent, le point sans doute le moins glamour du festival, c’est la quantité de baraques à frites ou équivalent qui viennent jeter dans la foule, elle-même naturellement sillonnée d’odeurs bigarrées, les senteurs pas subtiles des moules frites, churros suintant l’huile, fouées, crêpes ou moult autres spécialités exotiques odoriférantes.

Mais bon, il fait  beau, la foule est dense, variée, unanimement joyeuse en dépit d’une quantité sans cesse croissante de bières en mains. C’est la fête !

Sur la péniche France Bleu, un groupe de gamins se démène avec enthousiasme sur une musique qui tient au moins autant de la pop/rock que du jazz. Je ne saurai pas qui ils sont, mais ils sont bons et je regrette d’être arrivé pour les dernières mesures ou presque.

Sur l’île de Versailles ( Scène Jazz Classique ), un chanteur à la voix blanche dégouline des romances ultra-convenues, je zappe rapidement, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est du jazz de bar bien fichu sans plus…

Ma promenade me conduit ensuite vers la scène du Pont Saint Mihiel ( la Scène Sully ), où se produisent trois musiciens dans une formation atypique : Vibraphone(s), Contrebasse, Batterie… Contrebasse et vibraphone souvent copieuse-ment ré-harmonizés ( ne cherchez pas c’est un néologisme ) par l’électronique.

 
Eh ben : c’est d’une richesse fascinante.

A la fois envoûtants, inventifs, complexes, l’écriture et le jeu des musiciens s’appuient sur un batteur dont la mise en place idéale se concentre sur des fluctuations entre jazz et rock, au son clair et vif (en dépit d’une sono outrageusement pansue dans le bas) et qui varie astucieusement son jeu en fonction des méandres tortueux des évolutions rythmiques lentes de ses deux compères ; la transmutation enivrante, voire émouvante des structures mélodiques et rythmiques peut aussi bien être lancinante que brutale, mais toujours d’un bonheur irréprochable, enchevêtrement cadencé, implacable, des évolutions subtiles de mélodies répétitives, scandant des mélopées grisantes où vibraphone et contrebasse se relayent, se contournent, évitant ce côté « chacun son tour » souvent exaspérant, ici s’immergent dans un dialogue complet et inspiré : j’adore ! D’autant que le travail de son enrichit le concept avec si ce n’est une franche invention au moins un étirement harmonique ajoutant à l’atmosphère mystérieuse. Super ! Peut-être le dernier morceau, qui se veut un hommage à Steve Reich comme le présente le contrebassiste en français qui ne peut-être que d’un français, retombe-t-il un peu. Mais c’est une bonne surprise. Enfin pour moi qui ne suis pas un spécialiste, parce que, vu le niveau, je doute que ce soient des débutants !

Renseignement pris, cette formation originale et captivante s’appelle Metal-O-Phone ! A suivre !
 

Quand j’arrive à la Scène Blues, je prends en cours ( eh oui, encore ) une démonstration de Blues dans les règles par Eddie C. Campbell, rien à dire, c’est nickel, en place, grand, swinguant à souhait, du vrai blues de Chicago à l’ancienne !

Mais je reste sous le charme de Metal-O-Phone

 
En reprenant la promenade, j’aperçois un attroupement qui contemple les élucubrations d’un acteur immobile couleur bronze perché sur un socle, et qui bouge ( c’est nouveau ) façon robot en bruitant ses mouvements dont la chorégraphie mime des petites histoires très cocasses, notamment au moment où, je ne sais comment, il a réussi à soutirer la carte bleu d’un quidam et refuse de la rendre. Très drôle !

 
Attiré par la foule agglutinée, je me rends à nouveau vers la scène Sully, me faufile avec difficulté (pardon, scusez, oups !) pour essayer d’apercevoir qui joue ce que j’entends, un ensemble d’une rigueur stupéfiante, enchaînant des mélodies bourrées d’idées autour d’une formation là encore enthousiasmante, apparemment (à l’oreille dans la bouillie sonore, compliquée de gens qui brament pour s’entendre et ne semblent venir ici que pour bavarder avec des amis qu’ils voient tous les jours), accordéon, saxo ( et pas un manchot ) contrebasse, batterie, et quelle batterie ! Cette frappe, ces roulés subtils, ces coups de poignets précis, je les connais ! Bon sang : c’est Daniel Humair ! Zut, si j’avais su je serais venu plus tôt.

 
Et le saxo, très barré, d’une disponibilité totale, au son vif plus incisif qu’une pique d’Alphonse Allais, il me semble reconnaître Emile Parisien ( ce qui se vérifiera ) dont je recommande fortement le passionnant ( mais difficile ) album « Original Pimpant » qui propose une succession de morceaux abscons, déstructurés, très très rusés, en attendant le nouveau qui est peut-être paru, il faudra que je vérifie.

Je ne connais ni l’accordéoniste ( Vincent Peirani, idiot ! )( mais je ne suis pas un spécialiste, je le répète ! ), un impressionnant géant, très habile, virtuose au-dessus de la virtuosité, fin et puissant à la fois, donnant l’impression qu’il peut tout jouer, ni le contrebassiste ; pourtant lui, je l’ai déjà vu, mais qui est-ce ? ( Jérôme Regard ).

Grand moment ! Je ne suis pas toujours fan de ce que fait Humair, mais il y a imperturbablement  une volonté de recherche dans un certain « classicisme » ( modernité d’un jour… ), alternant bien sûr, dans la bonne vieille tradition des concerts de jazz établi, l’explosif et le sensible ( jamais vraiment sensuel cependant ), et ce soir tout particulièrement ! Chouette !

 
Samedi soir, après la fermeture légèrement anticipée du magasin, en passant devant la scène flottante je découvre un orchestre de jazz hyper traditionnel New-Orleans, qui joue classiquement du standard, ouais bon, c’est très bien, ça ne m’attire pas, c’est tout.

 
Scène Blues bien plus tard ( un rendez-vous entre-temps ), et encore arrivé en retard : alors là oui, du lourd !!! Boney Fields chante et pousse toute son inspiration dans sa trompette rutilante. Je ne vois pas grand-chose depuis l’angle biscornu où j’ai réussi à me glisser, mais qu’importe, Funk pur jus, soul-funk dynamique, blues retentissant, pulsés dans une succession parfaite de tensions sonores continuellement hots par une formation complète dont la patate ne dépare vraiment pas du patron ! Saxo, trombone, guitare, claviers, basse, batterie, tout y est ( sur une scène minuscule ! ), incluant la pêche déchaînée, le moteur fusant de ce genre d’expression musicale pétante de santé qui dynamite directement le corps ! C’est solide, fort, déchaîné, chamarré à tout point de vue, ça retentit de couleurs, ça groove comme du James Brown, c’est ardent, c’est punchy, c’est varié, c’est animal et dansant, c’est une nouvelle vie des grandes années de la funk, celle qui pue la sueur, celle qui fouaille les instincts, celle qui mène la transe, celle de Maceo Parker, pas des pâles dandies…


 
Quand je rejoins la scène nautique,  une abondance digne des Rolling Stone s’est ramassée sur tous les angles de la scène :

Archie Shepp Quartet.

Premier constat, je regrette de ne pas avoir pris mon Panama Stetson puisque, à l’exception du contrebassiste, tous revêtent le galure. Papy Shepp est assis. Un peu l’impression qu’il joue le tarif syndical, mais c’est quand même éblouissant, le son dense et chaud du saxo déploie des envolées virtuoses sidérantes d’une liberté façon Charlie Parker ( Ornette Coleman ? ), sans prise, sans espace délimitée, sans frontière…
Le pianiste est au-dessus du lot, il survole son clavier, son Steinway est aérien. Mais le premier morceau que j’entends déroule ce côté kilométrique d’un certain Jazz dont on se demande bien s’il ne pourrait pas continuer éternellement, une rythmique impeccable mais si huilée, si mécanique, si peu surprenante, qu’on se demande bien pourquoi ça s’arrête à un moment plutôt qu’à un autre. Bref, un peu lassant quand même en dépit de la force expressive. C’est bizarrement quand ce bon Archie se met à chanter ce qui s’apparente vraiment à du blues, debout cette fois, que ça se met à devenir attachant, créatif, presque ( presque ) touchant, avec à un moment une sorte de duo voix / batterie vraiment jouissif même si on a connu des batteurs bien plus intenses dans le même exercice. Mais bon, c’était un peu la soirée bourgeoise du festival, et vraiment, c’est du haut niveau, d’autant qu’Archie semble vouloir revisiter un large aperçu de l’histoire du jazz. Je regrette néanmoins le côté pointage ( pianiste excepté ). Du coup, n’étant pas vraiment transi, je m’octroie une difficile ( pardon, oups, scusez ! ) promenade autour du bassin pour revenir à mon point de départ, à savoir derrière la scène. Je ne resterai pas jusqu’au bout…

 
En me retournant, j’aperçois, au milieu du mélange hétéroclite et sympathique des spectateurs, une étrange créature, grande, très grande, fascinante, ses longs cheveux noirs mangeant la moitié de son visage pour ne laisser voir qu’un œil bleu puissant sur une moitié de silhouette un peu anguleuse mais si idéalement dessinée… Un sourire échangé, j’ai été saisi, pas pu m’empêcher, elle a répondu d’un regard triste et s’est éloignée. Je ne peux qu’essayer de la suivre des yeux le plus longtemps possible, dominant la foule de sa hauteur ténébreuse… Elle disparaît.

 
Ça me fait juste penser que, côté parité, le Jazz a des progrès à faire, semblant majoritairement placer les femmes du côté des chanteuses ou égéries : je n’ai vu en deux jours que des ensembles composés d’hommes, c’est quand même curieux, non ? Aucun représentant du sexe fort !




 
Dimanche, le temps est un peu plus menaçant, il a plu copieusement ce matin, mais l’humeur est quand même à la fête.

Sur la scène nautique, un trio guitare électrique, contrebasse, batterie ( Santiago Quintans Trio ), dévide la pelote du jazz codé ; la foule est plus clairsemée que pour le grand Archie, mais quand même, il y a du monde.

Sans commentaire, ce jazz incontestablement bien ficelé me lasse vite ; de la musique pour musiciens, imposant des plans tordus, des suites d’accord compliqués ( pas toujours toujours en place, soit dit en passant ), s’inscrivant triomphalement autour de charpentes un peu usées ( on peut prédire à la mesure près qui va faire quoi et comment ! ), qui ne me parlent guère, ou alors cérébralement.


 
En continuant mes pas, je m’arrête en bon panurgien pour découvrir ce que contemplent avec une  sorte de malaise amusée un bel attroupement de badauds : un type assis sur une chaise, penché sur un bouquin dont il tourne les pages de temps en temps. Mais le bonhomme est décapité ! Le cou imprégné de sang. Infiniment rigolo et franchement flippant !


 
Sur la scène Blues, là encore, ça dégage, avec des musiciens blancs qui ont plus d’envie que de technique, mais ça pousse, ça tourne, ça envoie du bois : un guitariste rythmique aux dreadlocks sculpturaux canarde un son énorme, racleur, abrasif, super en place, excellent, il porte la rythmique à lui tout seul même s’il est bien épaulé par un bassiste vigoureux et un batteur aux gros bras pas imaginatif mais béton, un chanteur qui tient bien son rôle, en dépit d’une voix trop neutre, un harmoniciste qui pourrait être le leader car il domine l’ensemble d’une légère tête, et un guitariste solo avec une bouille de bon élève dont le son slide est beau, un peu trop pour ce genre de musique, et surtout un peu faible,  qui se lance dans des chorus un tantinet cérébraux et décalés dans l’univers de ses potes, mais qu’importe, c’est un bon moment débordant d’enthousiasme ! Dernier morceau un peu en dessous. Mojo Machine. Sympa.

 
Scène Sully, le public est nombreux, compact, difficile de circuler : Victor Töth Trio, saxo, basse, batterie.

Ouais. C’est bien. Je ne connais pas et je n’ai pas envie d’approfondir, ça ne me passionne pas. Je le répète, je n’y connais pas grand-chose, donc mon avis ne vaut pas tripette, mais ce genre de jazz, j’ai l’impression de l’entendre au kilomètre dans la production moderne ( je suppose que les spécialistes vont me houspiller ! ) je n’insiste pas, je vais faire une longue ballade, en passant devant la scène mix Jazz ( zut, je l’oublie toujours celle-là ! ), je vois que ce soir passe Dorian Concept, tiens donc !


 
Je rentre, rédige cette brève note et me prépare au concert de ce soir, sans savoir ce qui va se passer : avec ce beatmaker autrichien qui a une tête d’ado, canonnant à l’envi des bangers survitaminés, on peut s’attendre à tout, fuser d’un jazz quasi tradi ( euh… ) à des éclats de Korg d’une virtuosité ineffable… Je ne sais plus où j’étais tombé sur ce type déjanté, mais la prestation était époustouflante, dans un style de musique électro qui alors là n’est vraiment pas le mien ! Mais, quand c’est bien fait…

 

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