Musiques

Adam Laloum joue Schumann


Octobre 2013



Adam Laloum joue Schumann, un disque Mirare,


par Joseph Lena




Début 2011, Adam LALOUM arriva sur la planète piano avec un enregistrement d'œuvres de BRAHMS : et ce fut un choc !


Ce jeune pianiste de 23 ans interprète vraiment ces pièces sombres de la maturité du compositeur ; en lisant sa bio, on réalise qu'à 3 ans 4 ans et même 8 ans, il ne jouait pas de piano ; il a commencé à 10 ans ; ce n'est pas un petit "génie " mis devant un clavier en couches avec la suce !


En septembre 2013, parait son deuxième cd : il confirme, le bougre, qu'il peut oser aborder des œuvres réputées difficile à Interpréter : SCHUMANN , la grande humoresque opus 20, et la sonate opus 11.
Il y a peu de versions d'ailleurs au catalogue.

Adam a grandi plus vite que la moyenne ; à 27 ans il est totalement dans l'esprit tourmenté de l'auteur ; beaucoup de finesse, de sensibilité, et de la véhémence lorsqu'il le sent ; un très grand artiste, tel que POLLINI, ARRAU, LUPU, et une pianiste qui a fait une intégrale remarquable en 1974 / 1975 : Reine GIANOLI, ou encore, dans les versions récentes, Eric LESAGE ;

Adam Laloum, un artiste à suivre et à voir sur scène : je l'ai vu à la Folle Journée dans PROKOFIEV, il m'avait subjugué .
 


Aki Takase : la planète, par Pierre-Yves DB


AKI TAKASE   LA PLANETE

FLYING SOUL


Aki TAKASE : piano, célesta
Louis SCLAVIS : clarinette, clarinette basse
Dominique PIFARELY : violon
Vincent COURTOIS : violoncelle

INTAKT


Imagine un peu…

Une planète sans gravité, sans boursouflures tragiques, humble et gracile.

On oublie les continents, trop abstraits! Ou, au contraire, trop chargés de symboles projetés, de tropismes abscons.
On garde les paysages-îles, sans passé ni mémoire, qui t’explosent à la figure sans crier gare et se renouvellent à l’envi, comme les jours après les jours...     

Une planète qu’on tiendrait au creux de la main, légère, habitée de l’intérieur, s’ouvrant comme un éventail étrange constellé de couleurs sans cesse mouvantes, de dessins furtifs brusquement animés par le moindre souffle.
Ne la cherche surtout pas dans le cosmos si prolixe, ni même dans un catalogue exotique pour touristes blasés.
Elle ne s’exhibe pas au zénith des coupoles.
Elle naît du simple geste arrondi qui la simule, reflet idéal du désir…    


FLYING SOUL

Compositions d’Aki TAKASE d’après la nouvelle éponyme de Yoko TAWADA

Âme en partage

Mise en scène d’un sous-bois… Est-ce une forêt? Les arbres sont-ils hauts à en percer le ciel et enfourcher la lune? Sont-ils d’un genre particulier, d’une espèce rare?
Le flâneur impénitent s’en moque.
Un courant d’air jazzy, sous son déguisement sournois, le pousse vers l’éveil illusoire.
Bouffées d’odeurs subtiles, certitudes vite évanouies des sens abusés, rêve primitif de cabanes nichées dans les branches.
Parcours chaotique du solitaire contrarié, jeté malgré lui à la rencontre de mirages inconnus mais déjà devinés. Tohu-bohu obstiné de visions anachroniques ou grotesques, lui encombrant la raison et le laissant pantois, sans repère.
Revanche sur l’ombre; une clairière bienvenue comme la première respiration après l’apnée où le regard ose, enfin, se poser sans crainte, presque tranquille.
Anamorphose ou révélation fugace, plus rapide que la conscience?
Soupçon d’une présence muette, anonyme…

Apparence inversée, transposition fictive de racines verticales, les pieds en haut. Images sœurs figurées en alternances opposées. Dialogue intemporel renvoyé par l’écho humide bruissant à la surface d’un étang-écran menteur.

Bacchanale effrénée d’elfes ou de dryades, travestis en démons gentils jouant à se faire peur. Caricature de guerre mais guerre quand même.
C’est à qui prendra le dessus dans l’échange des rôles.

- Quatre instantanés en forme de portraits -

Rouge Stone - Pierre dure, stridente, silex en éclats jusqu’au sang…
Finger Princess - Doigt effilé, armé d’un ongle soigné, être sophistiqué mais avide de blessures…
Morning Bell - Douceur incarnée, ingénue, d’apparence alanguie, profonde en vérité…
Turtle Mirror – Evidence du miroir mais quête de l’imprévu, altérité concentrée en mode mineur…
 

Huis clos en extérieur. École sans murs, comme un cercle magique où l’on s’exerce à lire sous la férule attentive d’une tortue savante.
Apprentissage du vocabulaire en prélude à l’expression des caractères.
Personnages transfuges, cocasses; farce tournant à l’opéra bouffe. Belette, musaraigne et hibou s’escriment à se défier. Fluidité bavarde et balourdise jouée, Turtle Mirror veille.

Intoxication ou abandon?
Esprit du contre-chant, sang-mêlé des postures, sérénité oublieuse de l’attente inassouvie. Réconciliation du temps vécu et du temps espéré.

Plus tard, une ronde d’enfants elfes. Ritournelle et martèlement de galoches avant la course éperdue vers ce rivage oasis sûrement rêvé.
Modifications, transmutations qui s’étirent en boucles extrêmes emprisonnant la ronde (le monde?), ou  seulement son souvenir, peut-être.

Comédie passagère ou piège sibyllin?
La mémoire s’épuise au fil d’impressions évanouies. Quand le remords s’installe, reste l’empreinte infidèle des moments négligés…
L’errance se venge ainsi de ceux qui la poursuivent.



- Quatre autres pièces (comme un voyage vers l’âge adulte) -


Tarentella

Danse moderne. Fugue désarticulée en perpétuelle renaissance, traversant le chas des égarements.
Symbiose claire s'accomplissant dans un souffle quasi continu, en vol libre...

Twelve Ton Tales (composition d'Alexander von Schlippenbach)

Décors juxtaposés. Le trait s'affirme, les écoliers ont mûri.
Le champ du regard s'est fait plus vaste; le cœur plus sensible aussi.
Babel apprivoisée...

Moon Cake

Chansonnette du point du jour sifflée à quatre voix. Effet comique du sourire esquissé sur un visage déconstruit dans son propre obscur...

Piece for «La Planète»
   
Courbes gracieuses, comme soulignées par un trait de fard, se rejoignant au firmament infini de l'angle.
Âme en partage; territoires où chacun a son mot à dire, accord ardent des résonances.
Uns et multiples, unis et grandis...


Plusieurs écoutes de FLYING SOUL et toujours l'émotion. Ou plutôt des émotions neuves à chaque fois, comme si l’œuvre se révélait à petits pas, selon l'éclairage du moment et l'ouverture de l'éventail.
Mosaïques aux teintes fugitives, fragments brièvement exposés à la lumière; le sens caché des inventions se dévoile peu à peu, dans un désordre provoqué.  
L'intensité perdure par delà la représentation offerte (ou simplement retenue), trace trompeuse et insaisissable d'une perfection impossible (la part de l'imaginaire). 

La vie au présent se raconte en phrases courtes, conçues et exprimées dans un même élan. Pensées sonores consonantes, dissonantes, mélangées, irremplaçables.

FLYING SOUL : de voyage en voyage, de paysage en paysage, de monologues en dialogues, jamais achevés...
Charme ingénu des rencontres passagères, jamais épuisé...


Post scriptum

Si seulement, de temps à autre, la nôtre, de planète, pouvait ressembler à cette planète-là.
 

Ambrose Akinmusire


18/10/18

Ambrose Akinmusire Quartet

 

Alors que sort son nouvel album, « Origami Harvest », le très novateur trompettiste Ambrose Akinmusire a entamé une tournée européenne avec ses complices habituels, à savoir Sam Harris : piano, Harish Ragahavan : contrebasse, Justin Brown : batterie.

« Origami Harvest » ayant une orientation très multiforme, maelstrom calme où se croisent jazz(s), quatuor à cordes, rap et poésie, œuvre complexe et très audacieuse, un rien cérébrale peut-être, nous étions ce soir de concert bien plus dans la veine de son live au Village Vanguard. Avec les mêmes musiciens je crois.

Soirée formidable dans le doux confort de la petite salle Paul Fort.

Formidable parce que le niveau de musique était élevé, Ambrose Akinmusire particulièrement inspiré, et ses musiciens à fond à défaut d’être joyeux car il y avait un côté très sérieux dans tout ça…

AA ouvre le bal par une longue introduction solo saisissante faite de variations subtiles de timbres et hauteurs autour d’une série de notes contiguës répétées en salves dans un souffle quasi continu, impressionnante entrée en matière qui aurait pu n’être que démonstration de virtuosité et technique pure, mais pas du tout : la hardiesse de l’idée disparaît tout simplement derrière la beauté, la poésie et l’intelligence aussi…

Ce sera ainsi toute la soirée, alors que la musique malaxe complexité, sensualité et turbulence, d’inspirations les plus diverses mais toujours totalement idéalisées, stylisées, personnelles. La trompette d’Ambrose gardera imperturbablement le cap d’une rigueur narrative concentrée ; et si la dextérité est indéniable, point sur lequel je ne l’attendais pas - plus intéressé depuis ses débuts par l’inventivité permanente de son univers que par une éventuelle virtuosité technique -, jamais elle n’est gratuite ; à quelque moment que ce soit de son discours, direct ou alambiqué, à peine insufflé ou luisant de puissance dans des enchaînements stupéfiant d’adresse et d’idées, Ambrose raconte une histoire et s’y tient. Ce n’est pas si fréquent cette agréable sensation d’être en face d’un homme qui, dans une langue qui vous est totalement inconnue, vous raconte une histoire avec une passion telle qu’il vous subjugue par son intensité infusant un sens profond au propos mystérieux.

Même le lyrisme ne dévie pas de la narration, n’existe jamais par pur esthétisme. Festival de nuances et de couleurs, la trompette délivre éclat, murmure, sensibilité, tout et son contraire, et nous entraîne dans ses délires en clarifiant habilement le texte des idées qui les sous-tendent. Quel bonheur.

La puissance rythmique ou virtuose de ses partenaires suit l’entrain du patron qui leur laisse beaucoup de place et Justin Brown est possiblement plus présent, au moins aussi riche d’adresse, de timbres, de plans et de variété de jeu, que le boss, avec une liberté créative qu’une incroyable vitesse et précision de frappe lui octroient sans jamais négliger les nuances de toucher rarement aussi incisives et variées : un batteur d’anthologie sans aucun doute…

Pourtant…

… Parlons un peu de Justin Brown justement : s’il constitue un spectacle à lui seul, si une grande partie de la folie de la soirée a reposé sur lui, la luminosité de ce génial musicien vampirise parfois ses partenaires par une affirmation de soi, une sérénité de génie, un jaillissement permanent de brio qui escamote un peu les autres acteurs, et on se demande dans quelle mesure un duo n’aurait pas suffi. A preuve ce qui est probablement l’acmé du concert, cet arrêt du temps où Trompette, Contrebasse, Piano répètent une unique note scandant une progressive accélération rythmique jusqu’à l’incandescence sur laquelle Justin Brown s’envole comme sans effort pour atteindre une vélocité dépassant l’entendement, lui donnant la vedette incontestable. Nul reproche évidemment dans cette conquête de l’espace, un constat tout simplement dans lequel il n’est pas seul responsable.

Le contrebassiste au nom compliqué n’y est probablement pour rien, il semble particulièrement vif et adroit. Mais voilà : pourtant au 7ème rang et parfaitement centré, pile en face d’Ambrose, je n’entendais de la contrebasse qu’un bourdonnement lourd sans couleur, sauf dans les moments où il jouait seul qui prouvaient un talent émérite.

Le reste du temps, du fait de la sonorisation ratée de son instrument et de la présence foudroyante de Justin Brown, je le voyais tricoter des doigts avec une sensationnelle vivacité mais entendait le pire grave magmatique que la hifi aime souvent, totalement dénué de lisibilité.

 

Et puis Sam Harris le pianiste…

… bah, que dire ? S’il démontrait (et c’est le mot), dans ses moments solistes, une capacité à enchaîner des accords tordus, furieusement discordants et passionnants, lui aussi à une vitesse de Kalashnikov et avec une puissance de marteau-piqueur, de ces deux outils de destruction il partageait également le sens de la nuance.

Pas de phrasé, même dans les moments soft. Pourquoi pas d’ailleurs, si c’est un choix ; mais la pauvreté du swing et la simplification des modulations à deux niveaux de jeu - doux mais sans modulation ou tonitruants -, me font douter.

Ce qui retirait beaucoup d’intérêt à ces instants qui auraient pu être magiques d’un croisement ou surimpression de timbres sur les mêmes notes que la trompette d’Ambrose.

 

Bien sûr, on peut imaginer une volonté derrière cette opposition de style, mais je n’y crois guère. Je pense que si c’était entièrement maîtrisé, l’idée ne serait pas systématiquement utilisée et, qui plus est, Harris aurait pu moduler son jeu dans les longues plages où il jouait seul. Mais non. Une succession d’accords certes impressionnants plaqués à grande vitesse sur un clavier qui n’en pouvait mais, accords en outre un peu répétitifs à la longue, mélodiquement et rythmiquement.

 

En résumé, Ambrose nous embarque avec malice dans ses histoires, saynètes ou épopées singulières, débridées ou intérieures, Justin Brown nous submerge  dans sa nova, le bassiste s’agite vainement et le pianiste massacre son clavier sans un instant de lyrisme.

Début de la tournée peut-être ? Des petites choses à caler ? J’en doute car en réécoutant le live au Village Vanguard, je vérifie que si Harish Ragahavan y avait la légitimité dont nous avons été un peu privés ce soir, Sam Harris est bien le même.

En conclusion : le génie musical d’Ambrose, interprète ou compositeur, accompagné de musiciens au talent herculéen, a offert des moments sublimes, mais la musique n’a pas été transcendée par la complicité où la grâce comme il y a quelques mois lors d’un concert réunissant Emler, Ducret, Tchamitchian et Echampard par exemple.

Qu’importe car indéniablement, j’ai passé une formidable soirée !

Sans blague.


rendez-vous de l'Erdre 2011


septembre 2011



Parmi les agréables initiatives de la ville de Nantes, on peut compter les très sympathiques journées du festival « Belle plaisance et jazz » connues sous le nom des  «Rendez-vous de l’Erdre» généralement le premier week-end de septembre.

 
Pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont 3 jours de jazz(s) répartis sur diverses scènes disséminées autour de et même sur l’Erdre, incluant quelques péniches pour des concerts off, manifestations de plein air, gratuites, associées à des présentations de jolis voiliers des rivières…

Comme d’habitude, je m’y suis rendu dès le vendredi soir, après la fermeture du magasin, le nez au vent, en fonction de contingences diverses, sans avoir jeté le moindre coup d’œil au programme, même s’il est difficile d’ignorer que la star de l’année sera Archie Shepp.

 
Quand je dis nez au vent, le point sans doute le moins glamour du festival, c’est la quantité de baraques à frites ou équivalent qui viennent jeter dans la foule, elle-même naturellement sillonnée d’odeurs bigarrées, les senteurs pas subtiles des moules frites, churros suintant l’huile, fouées, crêpes ou moult autres spécialités exotiques odoriférantes.

Mais bon, il fait  beau, la foule est dense, variée, unanimement joyeuse en dépit d’une quantité sans cesse croissante de bières en mains. C’est la fête !

Sur la péniche France Bleu, un groupe de gamins se démène avec enthousiasme sur une musique qui tient au moins autant de la pop/rock que du jazz. Je ne saurai pas qui ils sont, mais ils sont bons et je regrette d’être arrivé pour les dernières mesures ou presque.

Sur l’île de Versailles ( Scène Jazz Classique ), un chanteur à la voix blanche dégouline des romances ultra-convenues, je zappe rapidement, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est du jazz de bar bien fichu sans plus…

Ma promenade me conduit ensuite vers la scène du Pont Saint Mihiel ( la Scène Sully ), où se produisent trois musiciens dans une formation atypique : Vibraphone(s), Contrebasse, Batterie… Contrebasse et vibraphone souvent copieuse-ment ré-harmonizés ( ne cherchez pas c’est un néologisme ) par l’électronique.

 
Eh ben : c’est d’une richesse fascinante.

A la fois envoûtants, inventifs, complexes, l’écriture et le jeu des musiciens s’appuient sur un batteur dont la mise en place idéale se concentre sur des fluctuations entre jazz et rock, au son clair et vif (en dépit d’une sono outrageusement pansue dans le bas) et qui varie astucieusement son jeu en fonction des méandres tortueux des évolutions rythmiques lentes de ses deux compères ; la transmutation enivrante, voire émouvante des structures mélodiques et rythmiques peut aussi bien être lancinante que brutale, mais toujours d’un bonheur irréprochable, enchevêtrement cadencé, implacable, des évolutions subtiles de mélodies répétitives, scandant des mélopées grisantes où vibraphone et contrebasse se relayent, se contournent, évitant ce côté « chacun son tour » souvent exaspérant, ici s’immergent dans un dialogue complet et inspiré : j’adore ! D’autant que le travail de son enrichit le concept avec si ce n’est une franche invention au moins un étirement harmonique ajoutant à l’atmosphère mystérieuse. Super ! Peut-être le dernier morceau, qui se veut un hommage à Steve Reich comme le présente le contrebassiste en français qui ne peut-être que d’un français, retombe-t-il un peu. Mais c’est une bonne surprise. Enfin pour moi qui ne suis pas un spécialiste, parce que, vu le niveau, je doute que ce soient des débutants !

Renseignement pris, cette formation originale et captivante s’appelle Metal-O-Phone ! A suivre !
 

Quand j’arrive à la Scène Blues, je prends en cours ( eh oui, encore ) une démonstration de Blues dans les règles par Eddie C. Campbell, rien à dire, c’est nickel, en place, grand, swinguant à souhait, du vrai blues de Chicago à l’ancienne !

Mais je reste sous le charme de Metal-O-Phone

 
En reprenant la promenade, j’aperçois un attroupement qui contemple les élucubrations d’un acteur immobile couleur bronze perché sur un socle, et qui bouge ( c’est nouveau ) façon robot en bruitant ses mouvements dont la chorégraphie mime des petites histoires très cocasses, notamment au moment où, je ne sais comment, il a réussi à soutirer la carte bleu d’un quidam et refuse de la rendre. Très drôle !

 
Attiré par la foule agglutinée, je me rends à nouveau vers la scène Sully, me faufile avec difficulté (pardon, scusez, oups !) pour essayer d’apercevoir qui joue ce que j’entends, un ensemble d’une rigueur stupéfiante, enchaînant des mélodies bourrées d’idées autour d’une formation là encore enthousiasmante, apparemment (à l’oreille dans la bouillie sonore, compliquée de gens qui brament pour s’entendre et ne semblent venir ici que pour bavarder avec des amis qu’ils voient tous les jours), accordéon, saxo ( et pas un manchot ) contrebasse, batterie, et quelle batterie ! Cette frappe, ces roulés subtils, ces coups de poignets précis, je les connais ! Bon sang : c’est Daniel Humair ! Zut, si j’avais su je serais venu plus tôt.

 
Et le saxo, très barré, d’une disponibilité totale, au son vif plus incisif qu’une pique d’Alphonse Allais, il me semble reconnaître Emile Parisien ( ce qui se vérifiera ) dont je recommande fortement le passionnant ( mais difficile ) album « Original Pimpant » qui propose une succession de morceaux abscons, déstructurés, très très rusés, en attendant le nouveau qui est peut-être paru, il faudra que je vérifie.

Je ne connais ni l’accordéoniste ( Vincent Peirani, idiot ! )( mais je ne suis pas un spécialiste, je le répète ! ), un impressionnant géant, très habile, virtuose au-dessus de la virtuosité, fin et puissant à la fois, donnant l’impression qu’il peut tout jouer, ni le contrebassiste ; pourtant lui, je l’ai déjà vu, mais qui est-ce ? ( Jérôme Regard ).

Grand moment ! Je ne suis pas toujours fan de ce que fait Humair, mais il y a imperturbablement  une volonté de recherche dans un certain « classicisme » ( modernité d’un jour… ), alternant bien sûr, dans la bonne vieille tradition des concerts de jazz établi, l’explosif et le sensible ( jamais vraiment sensuel cependant ), et ce soir tout particulièrement ! Chouette !

 
Samedi soir, après la fermeture légèrement anticipée du magasin, en passant devant la scène flottante je découvre un orchestre de jazz hyper traditionnel New-Orleans, qui joue classiquement du standard, ouais bon, c’est très bien, ça ne m’attire pas, c’est tout.

 
Scène Blues bien plus tard ( un rendez-vous entre-temps ), et encore arrivé en retard : alors là oui, du lourd !!! Boney Fields chante et pousse toute son inspiration dans sa trompette rutilante. Je ne vois pas grand-chose depuis l’angle biscornu où j’ai réussi à me glisser, mais qu’importe, Funk pur jus, soul-funk dynamique, blues retentissant, pulsés dans une succession parfaite de tensions sonores continuellement hots par une formation complète dont la patate ne dépare vraiment pas du patron ! Saxo, trombone, guitare, claviers, basse, batterie, tout y est ( sur une scène minuscule ! ), incluant la pêche déchaînée, le moteur fusant de ce genre d’expression musicale pétante de santé qui dynamite directement le corps ! C’est solide, fort, déchaîné, chamarré à tout point de vue, ça retentit de couleurs, ça groove comme du James Brown, c’est ardent, c’est punchy, c’est varié, c’est animal et dansant, c’est une nouvelle vie des grandes années de la funk, celle qui pue la sueur, celle qui fouaille les instincts, celle qui mène la transe, celle de Maceo Parker, pas des pâles dandies…


 
Quand je rejoins la scène nautique,  une abondance digne des Rolling Stone s’est ramassée sur tous les angles de la scène :

Archie Shepp Quartet.

Premier constat, je regrette de ne pas avoir pris mon Panama Stetson puisque, à l’exception du contrebassiste, tous revêtent le galure. Papy Shepp est assis. Un peu l’impression qu’il joue le tarif syndical, mais c’est quand même éblouissant, le son dense et chaud du saxo déploie des envolées virtuoses sidérantes d’une liberté façon Charlie Parker ( Ornette Coleman ? ), sans prise, sans espace délimitée, sans frontière…
Le pianiste est au-dessus du lot, il survole son clavier, son Steinway est aérien. Mais le premier morceau que j’entends déroule ce côté kilométrique d’un certain Jazz dont on se demande bien s’il ne pourrait pas continuer éternellement, une rythmique impeccable mais si huilée, si mécanique, si peu surprenante, qu’on se demande bien pourquoi ça s’arrête à un moment plutôt qu’à un autre. Bref, un peu lassant quand même en dépit de la force expressive. C’est bizarrement quand ce bon Archie se met à chanter ce qui s’apparente vraiment à du blues, debout cette fois, que ça se met à devenir attachant, créatif, presque ( presque ) touchant, avec à un moment une sorte de duo voix / batterie vraiment jouissif même si on a connu des batteurs bien plus intenses dans le même exercice. Mais bon, c’était un peu la soirée bourgeoise du festival, et vraiment, c’est du haut niveau, d’autant qu’Archie semble vouloir revisiter un large aperçu de l’histoire du jazz. Je regrette néanmoins le côté pointage ( pianiste excepté ). Du coup, n’étant pas vraiment transi, je m’octroie une difficile ( pardon, oups, scusez ! ) promenade autour du bassin pour revenir à mon point de départ, à savoir derrière la scène. Je ne resterai pas jusqu’au bout…

 
En me retournant, j’aperçois, au milieu du mélange hétéroclite et sympathique des spectateurs, une étrange créature, grande, très grande, fascinante, ses longs cheveux noirs mangeant la moitié de son visage pour ne laisser voir qu’un œil bleu puissant sur une moitié de silhouette un peu anguleuse mais si idéalement dessinée… Un sourire échangé, j’ai été saisi, pas pu m’empêcher, elle a répondu d’un regard triste et s’est éloignée. Je ne peux qu’essayer de la suivre des yeux le plus longtemps possible, dominant la foule de sa hauteur ténébreuse… Elle disparaît.

 
Ça me fait juste penser que, côté parité, le Jazz a des progrès à faire, semblant majoritairement placer les femmes du côté des chanteuses ou égéries : je n’ai vu en deux jours que des ensembles composés d’hommes, c’est quand même curieux, non ? Aucun représentant du sexe fort !




 
Dimanche, le temps est un peu plus menaçant, il a plu copieusement ce matin, mais l’humeur est quand même à la fête.

Sur la scène nautique, un trio guitare électrique, contrebasse, batterie ( Santiago Quintans Trio ), dévide la pelote du jazz codé ; la foule est plus clairsemée que pour le grand Archie, mais quand même, il y a du monde.

Sans commentaire, ce jazz incontestablement bien ficelé me lasse vite ; de la musique pour musiciens, imposant des plans tordus, des suites d’accord compliqués ( pas toujours toujours en place, soit dit en passant ), s’inscrivant triomphalement autour de charpentes un peu usées ( on peut prédire à la mesure près qui va faire quoi et comment ! ), qui ne me parlent guère, ou alors cérébralement.


 
En continuant mes pas, je m’arrête en bon panurgien pour découvrir ce que contemplent avec une  sorte de malaise amusée un bel attroupement de badauds : un type assis sur une chaise, penché sur un bouquin dont il tourne les pages de temps en temps. Mais le bonhomme est décapité ! Le cou imprégné de sang. Infiniment rigolo et franchement flippant !


 
Sur la scène Blues, là encore, ça dégage, avec des musiciens blancs qui ont plus d’envie que de technique, mais ça pousse, ça tourne, ça envoie du bois : un guitariste rythmique aux dreadlocks sculpturaux canarde un son énorme, racleur, abrasif, super en place, excellent, il porte la rythmique à lui tout seul même s’il est bien épaulé par un bassiste vigoureux et un batteur aux gros bras pas imaginatif mais béton, un chanteur qui tient bien son rôle, en dépit d’une voix trop neutre, un harmoniciste qui pourrait être le leader car il domine l’ensemble d’une légère tête, et un guitariste solo avec une bouille de bon élève dont le son slide est beau, un peu trop pour ce genre de musique, et surtout un peu faible,  qui se lance dans des chorus un tantinet cérébraux et décalés dans l’univers de ses potes, mais qu’importe, c’est un bon moment débordant d’enthousiasme ! Dernier morceau un peu en dessous. Mojo Machine. Sympa.

 
Scène Sully, le public est nombreux, compact, difficile de circuler : Victor Töth Trio, saxo, basse, batterie.

Ouais. C’est bien. Je ne connais pas et je n’ai pas envie d’approfondir, ça ne me passionne pas. Je le répète, je n’y connais pas grand-chose, donc mon avis ne vaut pas tripette, mais ce genre de jazz, j’ai l’impression de l’entendre au kilomètre dans la production moderne ( je suppose que les spécialistes vont me houspiller ! ) je n’insiste pas, je vais faire une longue ballade, en passant devant la scène mix Jazz ( zut, je l’oublie toujours celle-là ! ), je vois que ce soir passe Dorian Concept, tiens donc !


 
Je rentre, rédige cette brève note et me prépare au concert de ce soir, sans savoir ce qui va se passer : avec ce beatmaker autrichien qui a une tête d’ado, canonnant à l’envi des bangers survitaminés, on peut s’attendre à tout, fuser d’un jazz quasi tradi ( euh… ) à des éclats de Korg d’une virtuosité ineffable… Je ne sais plus où j’étais tombé sur ce type déjanté, mais la prestation était époustouflante, dans un style de musique électro qui alors là n’est vraiment pas le mien ! Mais, quand c’est bien fait…

 

Archives 1


 
Schoenberg par Pražák, Cappozzo, Delphine Lizé, Björk, Mahler 2 par Fischer, 5 par Dudamel, NIN, Janáček par Artemis, Szymanowski par Kaler et Witt ou encore Prokofiev par Ghergiev...


Par Alain


Juin 2007



12/06/07 : Schoenberg, Jean Luc Cappozzo et de l'orgue, tiens !



Le regroupement du célébrissime sextuor et du dernier quatuor de Schoenberg n´est pas si fréquent au disque je crois…


Deux œuvres qui contrastent, la Verklärte Nacht peut-être encore tournée vers le passé, ou une vision un peu éthérée, et le rude Opus 37, écrit 36 ans plus tard, pour le moins ardent, affilé, marquant clairement l´enrichissement d´une personnalité affirmée n´ayant cessé d´explorer la complexité d’une philosophie musicale avec acharnement !

Si indéniablement je manque d´objectivité lorsqu´il s´agit du quatuor Pražák, je crois cependant honnêtement que ce disque est indispensable : une Verklärte Nacht bien loin des lectures souvent superficielles (au sens de : à la surface de ...) qui donnent à un discours de jeunesse (mais néanmoins superbe et accompli) une ouate romantique à souhait ; ici, la lecture est profonde, fouillée, ne craignant pas l´austérité, la rudesse, mais fouissant tellement plus loin que la souplesse mélodique au premier degré…


Passionnant !


Et de fait, le raccourci entre l´Opus 4 et l´Opus 37 est saisissant : l´énergie rythmique dans les deux œuvres est soutenue de bout en bout, et leur structure, sous cette lumière crue, révèle une continuité créative incontestable, une sorte de fidélité à soi-même nonobstant une évolution radicale !

Les Pražák découpent dans la chair, dans le vif, faisant fi d´une tradition de lecture angélique un peu systématique même si indubitablement séduisante…


De la très très grande musique de chambre.


Côté son ? C´est un peu moins parfait : une légère tendance aux duretés, et, comme souvent dans les enregistrements Praga, une tonalité un peu acide sur les violons notamment. On savourera en revanche sans problème la moindre subtilité du foisonnant dialogue entre les musiciens !



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Dans un genre radicalement différent : Suite for trio + par Jean Luc Cappozzo, Marin Oleś, Bartłomiej Brat Oleś et Mikołaj Trzaka.



Un disque qu´un client m´a prêté et que j´ai hélas un peu de mal à retrouver.



D´abord un bel objet, une pochette cartonnée qui dévoile partiellement les éclats de cuivre d´une trompette…


Le trompettiste Jean Luc Cappozzo s´amuse à nous faire découvrir l´inouï potentiel de son instrument, le pousse à ses limites, les repousse encore, inventant des sonorités ahurissantes, des couleurs psychédéliques, des aventures rythmiques éprouvantes sans jamais tomber dans la complaisance de la musique pour musiciens, manie récurrente dans le jazz moderne (on se fait plaisir entre nous, entre spécialistes).


On voyage de surprise en surprise, d´atmosphères étranges en traits d´humour.


Et autour de lui, les musiciens s´en donnent à cœur joie sans jamais tomber dans les clichés lassants du jazz, le batteur notamment essayant des registres enfin un peu créatifs sans que ce soit de l´art pour l´art !

Formidable !


Si vous trouvez ce disque, jetez vous dessus, d´autant que la prise de son est plutôt réussie et respecte toutes les intentions de couleurs des instruments à défaut de leur plausibilité dimensionnelle.



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Et puis un petit dernier tiens :


Un disque d´orgue absolument original ! Neuf jeunes organistes nous livrent leurs propres compositions.

Enregistrement live sur l´orgue Rieger du Conservatoire de Paris !


A écouter impérativement, tout d´abord parce que, comme chez Cappozzo, on découvrira des registres de l´instrument rarement traversés !

Des combinaisons résolument nouvelles sans pour autant être particulièrement ardues, d’où se dégage une pureté émotionnelle troublante, obligeant à la concentration, à l´introspection, nous conduisant à travers des jeux de luminances miniatures et des éclats sans ostentation, juste nécessaires, des lignes d´écriture simples, dépouillée jusqu´à l´essence ; aucune pièce faible, pas une seconde d´ennui et une promenade dans les sonorités de l´instrument qui sont un vrai bonheur pour les oreilles et la curiosité.


Là encore, on n´est pas dans la nouveauté pour la nouveauté, mais dans une simplicité apparente au service de l´inspiration (au sens mystique parfois ! A ce titre, La trahison de Judas est d´une poignante dramatisation...), d´images nettes, d´interrogations primordiales !


En outre, autre plaisir rare, l´enregistrement n´étant pas fait dans une église, on évite la réverbération parfois un peu désagréable qui vient exagérément se superposer au flot de l´instrument… Ce qui met encore plus en lumière la beauté des variations, alors qu´il ne s´agit sans doute pas, côté timbres, de l´orgue le plus beau du monde…
    
C´est un disque Hortus, datant de 2005 et donc probablement encore facile à trouver…


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5/06/07 : Delphine Lizé, Björk et encore une symphonie 5 de Mahler



Je suis un peu moins enthousiaste en ce qui concerne le récital de Delphine Lizé à Pleyel sur le nouveau piano de concert Pleyel.

C´est bien sûr un disque très intéressant.

Le piano d´abord : il est curieux de constater que, sur une chaîne certes magnifique mais quand même un peu consensuelle, il peut sonner vraiment très beau, donner une corpulence un peu "Bösendorfienne" et faire illusion pour hélas révéler sur une chaîne extrême (enceintes Strad ! On ne se refait pas !) qu´on ne peut vraiment pas le confondre avec un Steinway.


Car, comme me l´a fait remarquer un ami, nous avons une culture Steinway !


Dès lors, on ne retrouvera pas cette pluie d´harmoniques, ces timbres parfois rudes et tournoyants, ces couleurs toniques ou soyeuses empiétant parfois même l´une sur l´autre.


Le Pleyel offre au contraire, ici en tout cas, une belle matité un peu monochrome, une retenue un rien sombre. Ce n´est pas désagréable, mais oblige à une focalisation sur l´articulation du jeu, refusant tout embellissement par le timbre.


Le jeu donc ? Ah, on aimera ou pas, mais le moins que l´on puisse dire, c´est que Delphine Lizé interprète.

C´est tout sauf académique, ce qui ne veut pas forcément dire toujours plaisant. Des accentuations un peu répétitives ( Liszt ), un maniérisme un rien appuyé dans Chopin… Est-ce l´instrument qui n´est pas tout à fait assez expressif et contraint à forcer un peu le trait ? Je ne saurais dire, évidemment…

J´aime beaucoup sa lecture de la sonate opus 31 n°3 de Beethoven, une pièce décidément magnifique et ouverte : Mademoiselle Lizé compose une lumière originale à travers une séparation insistante des phrases, égrappées note à note, tout en préservant de bout en bout une ligne chantante, parfois dansante. Ce n´est pas Gulda, certes, mais c´est très sympathique. Bonne lecture humble de Prokofiev et un Schumann moins contrasté que dans son précédent disque.

Un disque à acquérir je crois…



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Et le nouveau Björk ? Volta !


J´adhère totalement ! Certains lui reprocheront de n´avoir pas exploré une voie nouvelle comme elle s´y employait depuis Homogenic, d´être retombée dans une écriture plus classique…


Possible, mais le voyage se savoure de bout en bout, sans effort, sans besoin de mode d´emploi, sans contrainte ; robustesse rythmique, balancements solides, marmoréens, splendides, entraînants, persuasifs ; des sonorités moins surnaturelles que dans le cristallin Vespertine ou dans l´insurpassable Medulla, néanmoins d´une fécondité indéniable offrant à un ouvrage artificiel des climats comme issus de beaux livres de paysages lointains, voire une expressivité émotionnelle forte, de l´humanité !


Et combien j´aime ce côté un peu goudronneux des scansions rythmiques au tournoiement évoquant un rituel, une cérémonie tribale, éclairé par le chant de la petite dame toujours aussi puissant mais probablement de plus en plus varié et riche !


Ajoutons quelques perles dans les collaborations (ce jeu troublant avec la splendide voix d´Antony Hegarty, quasi féminine (androgyne ?) à laquelle Björk oppose l´autorité de la sienne !), des transitions venues du monde entier et le tour est joué.

Un album foisonnant, fort, incontournable, trop court. Pour les amoureux du genre, évidemment…Björk, ça ne plaira pas à tout le monde !

C´est fou le nombre de portes ouvertes qu´on enfonce en une vie !


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Aucun rapport :

la symphonie n° 5 de Gustav Mahler par le très étonnant orchestre des jeunes "Simon Bolivar" du Venezuela dirigé par Gustavo Dudamel chez Deutsche Grammophon.


Abasourdissant. Dans le bon sens du terme. Si j´avais les cheveux longs, je dirais décoiffant !

Engagement, ferveur, fièvre, un jeu sans arrêt sur le fil du rasoir, épouvantablement exigeant pour les musiciens qui semblent pourtant suivre avec un bonheur sans ombre.
Le chef prend sans relâchement le risque de se casser la figure, mais ça passe sans aucun heurt ! Bravo !


Oh certes, ce ne sont pas les plus belles sonorités de pupitre du monde, mais jamais aucun exécutant ne rechigne à suivre l´élan frénétique et qui me convient d´autant plus que je n´aime jamais autant la musique de Mahler que lorsqu´elle nous amène, chancelant, grisé ou fou au bord du précipice…


Une petite réserve ? L´Adagietto peut-être un rien complaisant. Et encore, je ne suis pas sûr. Peut-être que, à accepter un parti aussi contrasté, on aurait aimé cette fois des cordes plus belles. Peut-être après le tourment emporté et dément des premiers mouvements et dans lequel on va nous rengager en force dans le finale, ce moment de répit frémissant, où jamais la ligne n´est vraiment posée, sûre, presque ébauchée, crée-t-elle un déséquilibre trop perturbant ? Sais pas…


Oh, je ne suis pas en train de prétendre que cette vision bouleverse une discographie luxuriante (à titre perso je dois déjà en accumuler une palanquée…) mais je crois qu´il serait bien regrettable de ne pas encourager ce genre d´initiative, notamment de la part de Deutsche Grammophon, plutôt que de s´enfermer dans des vérités consensuelles conduisant à toujours plus de rééditions parfois techniquement discutables au détriment de véritables paris de découvertes !


Et puis surtout, pour les pauvres mélomanes que nous sommes, Gustavo Dudamel remet clairement en place dans les esprits l´importance primordiale de l´engagement, de l´inventivité et du travail : je doute que nos phalanges de province aient moins de moyen que l´Orchestre des Jeunes Simon Bolivar, (initiative datant de 30 ans, ensemble composé d´enfants et adolescents issus des quartiers défavorisés, qui a initié à la musique des dizaines de milliers de jeunes vénézuéliens, dont Gustavo Dudamel !)  alors que le résultat atteint rarement, même au concert qui pardonne pourtant beaucoup, une telle certitude musicale, un tel bonheur !


Et à Nantes en particulier, on a matière à s´interroger à ce propos !


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- 18/05/07 : Nine Inch Nails !


J´ai, à ma grande honte, découvert qu´un nouveau Nine Inch Nails était dans les bacs depuis environ 3 semaines ! Un enregistrement studio.



Quelle moisson : il y a peu NIN nous livrait un DVD live dont la pochette forte et obscure cache 2 très bon concerts un peu en dessous toutefois de la tournée Fragile de 2000…



Euh, que ceux qui estiment que le bon goût musical n´a pas survécu à Xenakis (c´est un exemple !) oublient ce billet : NIN est un groupe d´électrorock industriel souvent classé dans la rubrique "Métal" !

Je ne suis pas d´un éclectisme musical total, mais j´ai quelques foucades quand même ! Disons : 2/3 de ma collection avant 1960. Le reste forcément dans divers genres au-delà.

 

L´album s´appelle : Year Zero (Halo 24 dans le système de numérotation très personnel de NIN)


Apparemment, l´album décrit les Etats-Unis dans un futur proche (2022 ou Year Zero) plutôt sombre. Ce qui n´est pas vraiment une surprise de la part du sorcier noir Trent Reznor (Trent Reznor is God (ça n´est pas de moi !)).

Year Zero raconte la malignité d´un gouvernement totalitaire, exécutant les contestataires et droguant ses concitoyens pour éteindre toute velléité d´idée !…

Ouvertement conceptuel, l’opus se veut plus bruyant et revendicateur que les autres ! Incontestablement, le son est "hénaurme" !

Bon, certes je n´espérais pas un résultat du niveau de l´apocalyptique "the Downward Spiral" ni évidemment de ce chef d´œuvre de la musique du 20ème siècle qu´est "Fragile", que je classe personnellement sans honte à côté de mes Prokofiev, Schoenberg, Chostakovitch et Stravinsky (j´en oublie évidemment !).

Mais je reste un rien sur ma faim.

Oh, il y a toujours de l´idée, et ce magicien des sons qu´est Trent Reznor sait toujours aussi bien mettre en place une atmosphère à nulle autre comparable, goudronneuse, inquiétante, enlisante, violente aussi.

Bref, même décevant, un NIN hisse toujours le haut du crâne au dessus de la masse ! Il y a même quelques passages d´une solidité et d´un aboutissement incontestables...



Cependant on est quand même un ton légèrement en deçà du très honorable et très accrocheur "With Teeth" ( Halo 19 ). Ne serait-ce que par la moindre diversité de ton, apparemment volontaire, il est vrai. Concept oblige !


Un côté un peu répétitif donc ; un martèlement rauque et lourd, sans aucun doute destiné à enfoncer le clou de ce fascisme assassin en marche ; des trouvailles adaptés d´idées de génie d´autrefois, et surtout l´impression d´une rythmique certes écrite avec toujours autant d´efficacité mais uniquement confiée à l´électronique, séquenceurs et autres échantillonneurs engendrant un univers construit comme une forteresse mais diaboliquement artificiel.


Où est donc l´ultra-talentueux Jérôme Dillon, cet étonnant styliste qui procurait à un groupe de rock indus puissant dérivant parfois sur le "hard" des ornements oxygénés, des couleurs totalement à part au service d´inventions rythmiques dignes de Prince ! (dans un genre tout autre !) ?


Bah, regret personnel...


Les quelques interventions de Josh Freeze sont énergiques, mais n´apportent rien à la griffe si particulière d´un des groupes les plus novateurs de ces vingt dernières années…


Bon, je ne vais pas trop râler contre cet album : c´est loin d´être plat ou nul ou ennuyeux, bien au contraire, et beaucoup devraient s´en inspirer dans leur démarche pseudo-créative. J´attends juste trop d´un des rares artistes actuels dont j´admire vraiment la quête et l´errance douloureuse.

Un NIN reste toujours un évènement…


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- 24/04/07 : Disque du mois avril 07



J´ai plutôt eu la main heureuse ce mois-ci.


Si je devais n´en retenir qu´un je dirais :

- Quatuor en sol majeur Op. 106 de Dvořák & Quatuor n° 2 "Lettres Intimes" de Janáček par Artemis Quartet, chez Virgin…


Peut-être surtout pour le Janáček, même s´il ne me fait pas oublier les Pražák, ou, dans un style radicalement différent Juilliard,  il est attaqué avec une verve et une tension qui ne se relâchera jamais tout au long de l´œuvre, tout en préservant un lyrisme, une flexibilité qui sécrète un mystère permanent, vibrant. En outre la sonorité aiguisée des Artémis convient parfaitement à cette œuvre atmosphérique et angoissante, poignante même, qui ne laisse pas un instant de répit !

Je suis d´autant plus heureux de ce disque que je n´avais pas été totalement emporté par leur Beethoven, certes engagé et novateur mais un peu trop systématiquement rapide et cinglant par moment…


Le son ? Ah oui, le son… Sais pas… Pris d´un peu trop près à mon goût, comme souvent ; mais au moins la séparation des différents instruments est bonne ; beaucoup de résolution mais un manque possible d´atmosphère et de bois ; pas grave. La prise de son des Pražák, aux timbres là aussi un peu verts ( alors que, au concert, ils sont si voluptueux ! On dirait Italiano ! ), révélait sans doute un peu mieux le dialogue ultra complexe des deux violons. Mais peut-être sont-ce les instruments, ou les musiciens !



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Très belle surprise  j´ai adoré en concert et je me suis rué sur le disque) :

El Amor Brujo (1915) de De Falla par l´Orchestre Poitou-Charentes dirigé par Jean-François Heisser.


Une présentation très originale (d´une œuvre que par ailleurs je n´encense pas particulièrement), d´une rigueur paradoxale débouchant sur un jeu de timbres coruscants, des éclats rythmiques malins, une lecture limpide, relevée de la pointe de gouaille nécessaire, la vitalité et l´atmosphère d´un beau tableau orientaliste débordant de teintes éclatantes ! Formidable et revigorant !


La grande matité de la pièce permet une excellente lisibilité et rappelle l´atmosphère de certaines anciennes salles de concert, un peu étouffée mais si intime…


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- On m´a demandé récemment ce que je pensais des Symphonies de Prokofiev par Ghergiev avec le LSO chez Philips…

Mouais… Je n´adule ni ne déteste. Bon boulot quand même (très belle 4ème (révision 47) vigoureuse et chatoyante !).
Certaines audaces, voire des foucades sublimes, des passages intenses et généreux, une pâte sonore globale épaisse et puissante qui sied à Proko… Mais de nombreux passages plus confus, moins inspirés, et parfois même franchement platouilles…
De surcroît les grognements arythmiques du chef sont souvent agaçants ! Jusqu´à donner l´impression que c´est voulu, pure mise en scène d´un ego débordant dès la pochette.



Dans les intégrales je continue de privilégier la vision très personnelle, très élégante ( trop ? ) d´Ozawa à Berlin. Toute en nuance et en demi-teintes, ponctuée d´éclats ciselés, un raffinement léché, une atmosphère peuplée de zones ténébreuses ou énigmatiques, une alternance équilibrée de légèreté et d´angoisse.... Sans doute, l´intégrale Ozawa ne sonne-t-elle pas très russe : et alors ?


Superbe intégrale Martinon chez Vox, mais est-ce encore disponible ? Et puis le repiquage n´était pas terrible, à l´exception d´une grande intelligibilité des pupitres…

Et dans les versions séparées, Bernstein, Dorati, Termikanov, Koussevitsky, Karajan (5ème mémorable) et j´en oublie évidemment…

Bref, ne boudons pas notre plaisir : Prokofiev n´est pas assez représenté sur les étals pour refuser la belle intégrale live de Ghergiev, techniquement un peu trop multi-micros mais pas horrible non plus.
Voire, pour les hifistes, assez spectaculaire par moments…


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En moderne ? J´aime bien Jolie Holland "Springtime can kill you" et aussi Dani Siciliano "Slappers". Et le nouveau Ricky Lee Jones ! Mais c´est très perso !



Et je vis toujours très bien avec la Symphonie n° 2 "Auferstehung" de Gustav Mahler par le Budapest Festival Orchestra dirigé par Ivan Fischer, chez Channel Classics.


Pas que je manque de repères pour l´œuvre, mais cette interprétation entre directement dans mon panthéon ( Klemperer, Mehta, Bernstein, etc… ) : lisibilité totale, une version très concertante, où tous les musiciens se répondent, s´écoutent, dans une intégration idéale à l´architecture colossale mais jamais lourde due à un travail d´orfèvre de Fischer, délivrant des couleurs d´autant plus riches et surprenantes qu´il ne s´agit quand même pas du plus grand orchestre du monde.


Aucune exagération, aucune volonté de spectacle, une lecture très fignolée du texte où les accents ne sont jamais forcés mais au contraires très nuancés, n´inclinant jamais vers le pathétique, ni le théâtral, sans refuser pour autant la majesté, mise au service d´une inspiration mystique réservée mais somptueuse !


Jamais le chef ne se met en scène et la musique coule d´elle-même, tantôt âpre, tantôt dansante ("in ruhig fließender Bewegung" est un exemple de beauté dans un univers chaloupé de valse triste… ), tantôt puissante et dévastatrice… Formidable !


Amateurs de beau son, vous y trouverez votre compte également : des timbres luisants, une matière palpable, des tutti à la limite des possibilités du disque ( du coup, ça projette un peu… ) surtout en lecture SACD stéréo… Bon, la cohérence n´est pas sans faille, on sent quand même un peu la personnalité des micros de nature variable, mais bien beau travail au final…

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Karol Szymanowski, Ilya Kaler (Violon), Antoni Wit, Warsaw Philharmonic


Indéniablement, la musique de Szymanowski est parfois dense, luxuriante et peut même basculer vers une certaine épaisseur, ou opacité si elle n'est pas idéalement contenue, comprise, assumée.

Aussi indubitablement, les trop peu connus concertos pour violon méritent plus qu'un détour… Je ne suis pas sûr qu'on trouve beaucoup de versions sur le marché, et c'est bien dommage.
Pour ma part il m'aura fallu la Folle Journée (Isabelle Faust) pour songer à y revenir…


Curieusement, les versions que je possède déjà, si elles m'avaient fait estimer les œuvres, ne m'avaient jamais permis d'adhérer franchement. Autrement un intérêt plus cérébral que spontané…

Thomas Zehaitmer avec Simon Rattle, par exemple, attirait l'attention sur une partition éprouvante mais jamais vraiment prenante, me laissant un peu à distance ; relative déception aussi avec le n° 1 interprété par la délicieuse Nicola Benedetti, une traduction subtile et romantique mais un rien lissée, jamais vraiment intense ni capable d'éclairer le foisonnement d'un univers à la limite de la démence, dans le sens noble, pictural du terme.

Je m'étais pourtant obstiné avec Andrejz Kulka Konstanty et Karol Stryja et m'étais senti certes un plus concerné mais pas encore emporté…


C'est fait avec le magnifique disque d'Ilya Kaler et Antoni Wit avec le Philharmonique de Varsovie.

Un n° 1 rapide, dégraissé, éclatant, sans une once de grandiloquence, une lecture ne manquant certes pas d'énergie et d'éclats, de puissance et de raffinement, de mystère aussi, coupant à vif dans une jungle abondante en merveilles cachées, enfouies, secrètes…

Des textures en permanente mouvance, une petite harmonie incisive comme un rasoir, un soliste éblouissant qui nous laisse parfois en apesanteur à la lisière de l'audible, tendus, vibrants, pantelants…


Foisonnant mais rugueux, le n° 2 nous repaît jusqu'à la satiété !
C'est superbe et enivrant de couleurs sans jamais perdre le fil ou risquer la lassitude par excès incontrôlés : un exercice loin d'être évident, une vraie redécouverte d'une œuvre passablement négligée. J'adore…


Les Nocturne et Tarentella de complément sont également très intéressantes à défaut d'être bouleversantes…



Ah, autre détail important : c'est un disque Naxos, autrement dit à faible prix : on n'aura donc aucune excuse de passer à côté !


 

Beethoven par Vänskä


 

Intégrale des symphonies de Beethoven
Osmo Vänskä
Minnesota Orchestra
Bis

 

Des symphonies de Beethoven ?

 

Pas très original ?

 

Eh bien si, justement !

 

Une vision ? Non, pas besoin d’employer de grands mots : une relecture.
Telle en littérature les grands classiques dont on s’aperçoit en y revenant 10 ou 20 ans plus tard qu’on était passé à côté de tant de choses.

Car il ne s’agit pas chez Vänskä d’une posture décapante ou révolutionnaire qui, à l’instar des baroqueux,  surlignerait l’exégèse de l’anorexie, des accents outrés, ou d’une hystérie systématique des tempi pour faire moderne ; rien de tout ça mais plus humblement une approche singulière et mesurée, harmonieuse de bout en bout, basée sur une scansion rythmique rigoureuse absolument pas survoltée, limpide, n’hésitant pas à privilégier le staccato et sachant en même temps sinuer en grâces onctueuses par des ralentissements légers ou des fulgurances incisives, d’éphémères touches de délicatesse, atténuations dynamiques ou jeux de rebonds à des instants choisis pour souligner une particularité d'écriture précise.

 

Lecture méticuleuse, très animée et nuancée, Vänskä obtient dans son intégrale un résultat d’une extraordinaire précision, fondée sur une flagrante complicité entre un orchestre dévoué et un chef inspiré au profit d’une intelligibilité directe de l’œuvre refusant tout pathos, approche qui sans doute ne serait pas possible avec des lourdes phalanges historiques telles que Vienne ou Berlin, trop habituées à jouer Beethoven à leur manière ; or, la façon si élégante de Vänskä d’examiner consciencieusement les structures et couleurs de la partition produit le bénéfice idéal de rappeler combien ces opus rabâchés sont d’une innovation prodigieuse, agitatrice, atemporelle et sans équivalent, même si parfois on se surprend à entendre du Schubert dans l’aération solaire imprimée par Vänskä et ses complices.

C’est une part importante de ce dont nous sommes les heureux témoins : l’entente consommée entre musiciens, la joie de jouer ensemble, de raconter une histoire subtile à l’unisson, dans un même élan fusionnel. L’orchestre du Minnesota accepte avec le sourire les variations de lumière et teintes et rythmes auxquelles le démiurge les expose inlassablement, mettant en scène chacun des musiciens à cru sans que jamais aucun ne tremble ; mieux encore : la maîtrise est maintenue jusque dans des forte d’une cohérence idéale, aucun décrochement de puissance mal dosée, c’est époustouflant de justesse.

 

Ainsi baigne-t-on dans l’impression amusante que Vänskä n’interprète pas mais lit la partition sans rien rajouter ou retrancher, truquer ou embellir, il enchaîne l’air de rien finauderies, idées simples idéalement à propos, suggestions inédites pour systématiquement dégager l'espace nécessaire à sa conception du propos, une virgule rythmique, un léger accent sur un pupitre ou la mise en évidence de liens harmoniques communément fondus, bref déroulant une intelligence concertante en permanente évolution et d’une rafraîchissante légèreté.

 

Et plus d’une fois on se surprend à se dire : mais oui, c’est ça évidemment, c'est Beethoven...

 

Ce qui ne retire rien aux innombrables plaisirs de centaines de versions à travers les décennies, ça n’empêche pas d’adorer Karajan ou Klemperer, Abbado ou Furtwangler, Schuricht ou Gardiner, ou Zinman ou Järvi, ou la récente offre de Chailly (un diamant brut ! Il faudrait que je prenne le temps d’écrire là-dessus) mais Vänskä nous renvoie à une matière vierge qui désigne la beauté directe de l’écriture, son inventivité permanente, sa folie parfois, ses difficultés souvent ; et l’ensemble, refusant les effets somptueux ou simplement de resservir une même idée flatteuse, donne la compréhension de la richesse intrinsèque des lignes quitte à épuiser l’auditeur en lui interdisant de se déconcentrer, se laisser aller, qui découvre stupéfait les merveilleuses facéties de l’orchestration, d’idées bouleversantes entrecroisées, de jeux diaprés de couleurs harmoniques magnifiés par Vänskä et ses sbires.

 

La volonté d’articulation continue au profit d’une compréhension première de l’œuvre se poursuit avec les solistes et chœurs de la 9ème où là encore la parfaite intelligence du texte et des idées mélodiques est le mot d’ordre, permettant comme jamais de savourer la façon dont les lignes de cordes ou bois soutiennent au millième près les circonvolutions du chœur.

 

Bien sûr, dans la neuvième on pourra préférer une emphase romantique à cette approche éventuellement martiale, mais comment en nier la puissance tant elle évoque au moins autant le génie de Beethoven.

 

Lu comme ça, on pourrait croire que l’offrande de Vänskä nie toute forme d’émotion pour un décryptage totalement cérébral et froid ?

 

Pas du tout, bien au contraire, et c’est sans doute le plus surprenant : on plonge au cœur de la musique pure, on côtoie l’esprit supérieur qui l’a ciselée, révolutionnaire et hors pair, le lien devient direct, organique, puissamment émouvant par une connexion au Maître laissant entrevoir selon les instants son intransigeance, son orgueil, son humour, sa décontraction apaisée, sa distance amusée, son mépris, et sa formidable verve imaginative, sa stature colossale… Nous offrant plus que jamais une possible vision de musicien sur ces partitions que l’on croyait usées ou seulement mises au goût du jour par des frasques rythmiques, des accumulations de contrastes tenant le plus souvent de l’exercice de style.


La captation très multi-micro correspond parfaitement à la volonté de limpidité du chef, respectée par une livraison haute-résolution 24/44 sur Qobuz , même si cela engendre que les dimensions relatives des pupitres sont parfois étranges (notamment l’impression d’un petit ensemble de violons) mais participe intelligemment à l’allégement apparent (apparent seulement) de la structure avant tout permis par la capacité merveilleuse du chef à isoler ou lier les instants suspendus de chaque pupitre ou solistes.

Et pour conclure, félicitations à l'Orchestre du Minnesota absolument sans faille dans un exercice et une approche pourtant difficiles qui exposent terriblement les musiciens. Voilà qui nous donne un aperçu de ce que des orchestres de second rang, quasiment de province, peuvent atteindre s'ils se donnent la peine – ou le plaisir - de travailler.

 


Bill Frisell et John Scofield


29 octobre 2014


Hier soir au Grand Auditorium de la Cité des Congrès, concert de « Jazz » :

 

Bill Frisell Quartet

&

John Scofield Trio


2 parties d’1 h 15 sur une scène joliment éclairée, avec goût et des variations élégantes.


Je ne vais pas m’attarder sur la triste performance du Bill Frisell Quartet qui passait en revue la musique de guitaristes divers, du rockabily à la country, Chuck Berry, Beach Boys ou les Shadows.

Passé un beau début atmosphérique par l’échange de longues plaintes des deux guitaristes, on rentre dans l’ennui le plus total plombé par la calamiteuse rythmique d’une moissonneuse batteuse.

Je crois que j’aurais pu étrangler le batteur qui cumulait quand même toutes les vertus du méchant d'un film gore ; totalement dépourvu d’idée, il était capable d’une seule nuance : barrater comme un bourrin, écrasant tout le monde en swinguant comme une porte et ne se sentant absolument pas concerné par les variations de ses comparses. Il ne les écoutait pas de toute façon.

Le bassiste tournait pas mal mais ne sortait pas d’un unique thème de jeu qui donnait l’impression qu’il liait ses cordes d’une main ferme de peur qu’elles tombent et avec un sourire satisfait en plus.

Côté guitares, c’était mieux évidemment, un bon second qui a tiré quelques surprenants accords mais semblait un peu travailler à la pointeuse, et un Bill Frisell qui a quand même mis un peu de temps à se chauffer les doigts (le nombre de pains…) pour offrir quelques jolis jeux de couleurs et d’enchainements d’accords, mais franchement, c’est histoire de ne pas enfoncer cet immense artiste dont on se demande ce qu'il lui a pris d’une part de choisir un tel programme mais surtout sans une once d’idée, de créativité, de variations, voire même simplement de recul ou d’humour !

 


John Scofield ensuite, accompagné de Steve Swallow et Bill Stewart.

Bon, allez, ces trois-là allaient tout rattraper : un grand grand moment, de talent, d’inspiration, de beauté, de musique pure.


D’accord, Scofield nous a fait du Scofield mais avec quel panache, quel brio, quelle élégance, quel plaisir et quelle sympathie, sans jamais frôler la démonstration ! Les suites d’accord étaient souvent affreusement compliquées mais d’une légèreté absolue, d’une vocalité exquise, Scofield jouait beau, se baladant d’une énergie rock à une claudication blues, il faisait babiller sa guitare dans l’expressivité humaine d’un musicien qui n’a rien à prouver et qui n’a qu’un but : la Musique.

Bon certes, on était un peu dans ce jazz « chacun son tour », mais quand il s’agissait de céder la place à ses collègues, c’était toujours pour le bonheur des oreilles et du cœur.
Bill Stewart, accompagnant ou soliste, à défaut d’imagination (un peu toujours les cinq mêmes plans) révélait un sens des nuances ou du punch très habile, un swing d’une évidence idéale, une énergie constante et si parfaitement dosée, si intensément à l’écoute, quand bien même ce code du batteur jazz quand il joue en soutient de tout baser sur le « dziguiding dziguiding » permanent cymbale / Hi-hat personnellement m’insupporte, au moins le faisait-il avec une faconde aérienne.


Et puis il y avait Steve Swallow et sa 5 cordes multifonction.

Je vais éviter tout commentaire : ses doigts gazouillent, inventent sans cesse en état de grâce, une promenade bucolique enchantée, une déambulation de ballerine, l’incarnation du groove. Un génie.

 


Björk, Vulnicura


30/01/15

Björk, Vulnicura

Par Alain


La sortie anticipée en téléchargement du neuvième ? (Doit-on compter le tout premier en 77 et les BO de films ?) album de l’Islandaise géniale a évidemment aiguisé notre appétit et c’est avidement que je me suis jeté dessus, sans rien en savoir, même si après plusieurs écoutes, déçu, curieux, dérouté, enchanté, secoué, j’allais me mettre un peu à la pêche aux informations et confirmer que mon ressenti avait un sens, une trame, des fondations.

Pourtant, franchement, à la première écoute je me suis arrêté au début du 4 ème titre après avoir subi en m’ennuyant ferme les deux premiers que je trouvais sirupeux et pleurnichards, présence de cordes envahissantes au développement banal, sans idée neuve, chansons inutilement étirées et qui plus est faisant regretter la lave de la voix de Vulcain de Björk autrefois.

Le court 3ème titre, History of Touches, redonne un peu d’espoir, ritournelle incisive, sonorités gentiment déglinguées, un rythme plus vif, mais le début du suivant, Black Lake, retombant dans la logorrhée des premières plage, j'ai abandonné.

Puis quand même, j’aime Björk, j’adore son œuvre finalement peu imitée, j’ai eu le bonheur de rencontrer très jeune(s) la minuscule géante qui crie très fort, à l’occasion d’un boulot sur un clip, et même quand Björk est en petite forme, elle reste une artiste à part, même si Biophilia et ses gadgets m’avaient copieusement agacé.

Donc, j’y retourne, magasin fermé, l’heure du déjeuner, concentré, repars de Black Lake.

Et découvre sidéré la suite d’un album magistral, enfin un monument à la hauteur d’Homogenic, n’en déplaise aux boudeurs ! On pourrait aussi y entendre une suite de Vespertine et Medulla, aucun intérêt à récolter des références chez une artiste qui précisément cherche inlassablement en s'entourant de collaborateurs souvent renvouvelés dont elle sublime le talent en le réoriantant avec génie vers son univers sans aucun équivalent !

Car passé le premier tiers langoureux de Black Lake s’installe un espace sombre et complexe, vagues de sonorités souvent graves (je veux dire : exprimant la gravité et dans divers sens du terme),  venant chambouler le climat simple du haut du spectre, majoritairement tenu par les cordes, qui vont peu à peu et pendant tout le reste de l’opus, étayer la voix, les voix, les accompagner en tierces, détorsions, sourires ou grincements, en soutenir les failles, virevolter autour d’idées mélodiques et vocales sublimes et d’une audace folle, de tendue, virtuose, sinueuse à des attaques d'acide brut, suppléant la puissance de naguère à coups de scie tranchant l'oreille, étirements oblongs et entortillés d’une pertinence et émotion permanentes d’autant plus touchantes et étourdissantes que je décide de ne faire aucun effort pour comprendre les textes, n’en saisis que quelques bribes dans les instants hachés, les Rimur où l’accent ne masque plus le mot, et ressens avec d’autant plus de force l’invention lyrique qui magnifie l’expression vocale avant tout comme lien organique, instrument improbable et hautement prolixe en plus de raconter, très impliquée, une histoire intime.

Mais c’est possiblement dès Family que ce disque impose l’évidence d’une création suprême, frétillement de cordes à peine dissonantes entrechoquées très vite par les déflagrations d’un forgeur d’étoiles, d’une robustesse à casser les haut-parleurs et le plexus créant une relation physique directe à la voix, interdisant l’indifférence, projetant sensuellement dans nos bras, par la violence de la sexualité torride, la petite bonne femme vibrante.
Rapidement les fusées de cordes deviennent frénétiques, discordantes, haletantes, installant une structure rythmique d’une diversité sidérante confusément érotique que le chant traverse véhiculant avec force la lame passionnelle pour autant comme un conteur témoin.
C’est un très grand moment, possiblement un sommet de Bjork !

Or, tout ce qui suivra dans l’opus est de la même veine dramaturgique, tyrannique déluge émotionnel, pas une seconde de relâchement dans l'alternance imprévisible de contrastes effrayants, angoissants, amour et fureur, profusion rythmique hallucinée en ruptures sidérales, le vide du coeur vibrant de doute ou chaleur, fuseaux de feu, frappes de marteau ou fugues de quelques mesures dans les jaillissements percussifs hystériques, timbres illuminés ou fantasques, et cette verve physique abstruse nous conduit non pas au bord, mais au fond du gouffre de l’humain et ses perceptions mutilées, via des éclats d’arrangement variant sans cesse de subtilement à très brutalement les codes de l’ensemble, arythmie des jeux tranchant les nœuds gordiens de la beauté ou la souffrance amoureuse inextricables, cordes, chœurs et fondations électroniques utilisés en flèches viscérales, séismes torpides des corps fulgurants ou brise nostalgique caressant une faille impudique, lourds fleuves de glaces arpégés de bangs dévastateurs, on sent aussi dans cet album herculéen la présence magmatique de l’Islande, le besoin d’un retour aux sources, aux geysers culturels, on sent Sibelius (Finlandais, je sais) dans ces dérives de plaques lithosphériques, ce bouleversement du cœur amoureux, ces meurtrissures qui chamboulent l’âme à amplitude tectonique, et l'opus s'interrompt d'un coup, une coupure sèche comme une panne brutale, c’est beau, envoutant, émouvant, enrichissant, de ces œuvres si rares dont on sort repus mais chancelants, un peu plus intelligents, sentiment d’avoir participé à une plus-value humaine et didactique, un petit instant de l’histoire de l’art.

Puis on comprendra en jouant le curieux que c’est un album de rupture, catharsis quasi anthropologique pour mieux lécher les plaies, mais franchement on se passe facilement du mode d’emploi, c’est musicalement d’une richesse qui signe le retour à l’acmé d’une star unique et inégalable.

Ne mégottez pas et préférez évidemment la version 24/96 au Flac 16/44, nous avons les deux et la comparaison est cruelle, simplification dynamique et harmonique, les hallucinantes errances ultra-léchées dans le grave devenant confuses, même si je suppose que sur beaucoup d’enceintes hyper-chères, cette zone de travail explorée avec la rigueur d’un géologue deviendra ronflements bourbeux et enflures huileuses.

Nous c’était sur un ensemble ppfff, I88 + Ada et c’était puissamment poignant.


Britten, General Elektriks, Jack White


Janvier 2010


Beethoven : Concerto pour violon en ré majeur, Op.61 & Britten : Concerto pour violon, Op 15 + Jack White et autres…

Par Alain


On me reproche souvent de ne pas suffisamment entretenir ma rubrique humeurs et tout particulièrement celles concernant mes coups de cœur musicaux.


Je plaide coupable. J'avoue que je ne me sens pas forcément l'âme d'un critique et n'écris donc pas facilement sur le travail des musiciens, même si je n'en pense pas moins.

Et puis j'aime des musiques suffisamment variées pour souvent trouver du bonheur à l'achat de nombreux disques. Alors pourquoi l'un plutôt que l'autre sans pouvoir non plus ne consacrer mon temps qu'à ce difficile exercice.

Ce matin, j'ai posé un CD récemment acquis dans un lecteur (Eera évidemment !) et j'ai eu envie d'en parler. (Pourquoi celui-là en effet ?)


Les concertos pour violon de Beethoven et Britten, par Janine Jansen, Die Deutsche Kammerphilharmonie Bremen pour Beethoven et le LSO pour Britten, dirigés par Paavo Järvi chez Decca.



Pas d'une franche originalité diront les uns, association rare reconnaîtront les autres.


Peu importe, je suis de ceux qui collectionnent les interprétations d’œuvres aussi marquantes que le concerto en ré majeur de Beethoven, et les propositions du Britten sont suffisamment rares pour qu'on évite de passer à côté, surtout quand elle est inspirée !



Dans le Beethoven, je ne m'extasierai pas sur le jeu de Janine Jansen, irréprochable mais dont la vision n'est pas bouleversante d'invention, surtout si on la compare aux récentes approches d'Isabelle Faust (un vrai décapage ! Formidable) ou à l'excès jubilatoire de Patricia Kopatchinskaja (je ne garantis pas l'orthographe…) accompagnée des timbres si particuliers de l'Orchestre des Champs-Elysées sous la baguette raffinée et dynamique d'Herreweghe, version que je recommande également au moins pour sa revendication de liberté !



Rien à reprocher donc au jeu de Janine Jansen, bien au contraire, le style est élégant, le souffle inspiré, les variations lumineuses et d'une facilité constante, un survol magnifique et riche d'une partition archi-usée. Le tout n'est tout simplement pas très original.
L'orchestre à côté de cela est parfait, toujours à sa place, jamais en retrait, jamais en dessous, un accompagnement vif, délicat, concertant à plus d'un titre et évitant cette attitude souvent pénible de n’être qu’un écrin destiné à mettre en valeur les feux du diamant. Une vraie belle phalange décidément que cette Kammerphilharmonie Bremen.

Bref : une idéale version classique de l'œuvre, et même, je crois, une possible référence pour qui hésiterait entre moult réussites à travers l'histoire du disque : on ne se trompera pas en choisissant cet enregistrement, qui plus est techniquement très honorable, assez cohérent qui ne noie pas l'orchestre ou ne donne pas l'impression désagréable que l’orchestre n'est pas dans la même acoustique que le soliste.



Mais pour le Britten, il faut se jeter sur ce disque sans hésiter !


Œuvre romantique et moderne, aux variations d'une inventivité et d'une difficulté telles qu'un bon nombre de grands violonistes ont hésité à s'y frotter (dont Heifetz semble-t-il), la jeune ( et j… ) Janine n'a pas peur de s'y attaquer et avec une aisance et une inspiration démoniaques : c'est habité, c'est inspiré, c'est stupéfiant et émouvant, ça chante, ça pleure, ça vit ! D'autant que, là encore Järvi et l'orchestre offrent un support d'une précision, d'une lisibilité exceptionnelles pour cette œuvre contrastée et sidérante, trois mouvements tranchés, formant chacun un univers lumineux, d'une inventivité permanente, sautant d'une idée à l'autre avec une jubilation communicative, qui pourtant tissent une continuité et une logique à cette page dont on regrette juste qu'elle soit si courte (sans doute le soliste moins que nous !).

A ne surtout pas manquer, un instant d'histoire, pas moins !




On reste dans la bonne humeur : je recommande dans un registre très différent le récital de la pianiste ( je sais, on va me reprocher de choisir les disques en fonction des photos de couverture ! Eh bien non, juste en fonction de la difficulté d'écriture du nom de l'artiste ) Anna Vinnitskaya : programme sportif s'il en est : Rachmaninov ( sonate n°2 Op 36 ), Gubaidulina ( Chaconne ), Medtner ( sonate Reminiscenza Op 38 n°1 ) et Prokofief ( sonate n° 7 Op 83 ), chez Ambroisie ( Naïve ).


Et croyez-moi, la demoiselle ne fait pas dans le timide : elle attaque bille en tête et maintient la pression en permanence, suivant évidemment les rares relâchements permis par les œuvres ( le Non Allegro du Rachmaninov, le Medtner un peu moins ébouriffant !… ).

J'aime particulièrement la Chaconne pour piano de Sofia Gubaidulina, prise en force, en technicolor, mélange de massivité et de légèreté et si parfaitement contrastée par la jeune Anna. Bravo !


Et puis dans un tout autre genre, histoire de faire un vrai contraste, deux découvertes pas forcément géniales ( n'exagérons rien ! ) mais très intéressantes :


- General Elektriks. Ce n'est pas un groupe, mais un homme qui saute derrière ses claviers vintage, de son vrai nom Hervé Salters, un franco-britannique que l'on ne peut absolument pas ranger dans une case précise, sachant en revanche qu'il a travaillé pour M ou dans le groupe Vercoquin…

Il s'agit ici de son deuxième album : Good City for Dreamers assez surprenant quand même, avec des titres plutôt variés. General Elektriks puise avec délectation dans la pop, l'electro, le hip-hop, la soul, le funk et le jazz engendrant un style à part, si on peut ainsi qualifier ce qui précisément brille par un refus de l'homogénéité.



 - l'autre découverte, c'est le nouveau groupe (après The White Stripes et Raconteurs), formé et produit à Nashville par Jack White : Dead Weather.


Dans ce groupe, Jack White tient la batterie (ben oui, ça surprend, mais n'était-ce pas son premier instrument ?), Alison Mosshart du groupe de garage-rock The Kills (très bien les Kills, surtout peut-être le très prenant et rythmiquement impeccable Midnight Boom!!!) au chant, Jack Lawrence des Raconteurs à la basse et Dean Fertita de Queen of the Stone Age à la guitare.

L'album s'appelle Horehound, je vous épargne la traduction, d'autant que le titre vient d'une plante médicinale, la White Horehound, qui peut aussi bien guérir que tuer. Il aurait été enregistré en trois semaines, dans l'improvisation.


Je suppose que cet album, qui ne semble pas tourner autour d'une idée directrice précise, est à classer dans une vaste catégorie Rock Alternatif. C'est très sombre, une sorte de mixture réussie, un long jam blues-rock poisseux dégageant une atmosphère particulièrement oppressante, à l'accent du sud, mêlant riffs âpres et folk obscur, additionnée de quelques ingrédients funk…

Soit, pas un disque pour tout le monde, mais très réussi dans le genre.


Carla Bley :Trios


novembre 2013
 

Carla BLEY, piano
Andy SHEPPARD, tenor and soprano saxophones
Steve SWALLOW, basse

Trios


chez ECM

par Pierre-Yves dB



Revoici la longue dame pas brune avec pour seul bagage un nouvel album, paru chez ECM (une première), reprenant cinq compositions/méditations nées de sa plume et sobrement intitulé «Trios».


L’affiche ne doit rien au hasard ou à un quelconque choix esthétique. Carla BLEY, Andy SHEPPARD, Steve SWALLOW …une association dont la longévité relève, sinon du prodige, du moins de l’étonnante capacité intuitive qu’a constamment chacun, en tant qu’être-musicien, à prolonger le geste créatif des deux autres. Il y a là plus que de la simple connivence.


Arrêt sur image : Une photo parue dans Jazz Magazine en septembre dernier montre Carla et Steve posant dos à dos (une habitude chez eux), un sourire malicieux aux lèvres… Jana, Janus veillent l’un sur l’autre, comme soudés par la somme et la force de leurs partages. 


Compagnons depuis presque toujours en musique et dans la vie, elle et il ont découvert en Andy l’alter ego idéal. Celui que l’on trouve presque sans avoir cherché, celui par qui la ligne devient triangle.


Ironie des nombres ? Trios désarticulés c’est aussi :

-    Trois lagons,
-    Trois mouvements,
-    Trois parties.


Utviklingssang, censée à l’origine (1980 ?) être une « protest song scandinave » de commande, se révèle une merveilleuse mélodie introduite par une basse typiquement swallowienne, où chaque note germe, s’étire et s’ouvre… (Coup d’oreille rapide à « duets » sorti en 1988. Le même charme ressuscite, 25 ans après). Tout y est mobile, lent défilé de couleurs ponctué de respirations retenues, pavane un peu dézinguée mais superbement élégante, errances contrôlées qui se retrouvent et se confondent…           


Vashkar, clin d’œil à Paul HAINES, le poète des mots d’«Escalator over the hill». Réminiscence amusée d’un moment indien.
Une sorte de raga orientaliste balbutié au dessus d’une voix de basse imperturbable, dérapages rythmiques contenus dans un miracle de cohésion.


Jazz par Henri MATISSE (titre du recueil éponyme constitué de 20 planches) ou « improvisation et vitalité ».

Lagon 1 (planche 17). Un masque de charleston mâtiné de middle jazz laissant par endroits transparaître une dissonance pourpre ou indigo, ou bleue, comme on voudra…   
 
Lagon 2 (planche 18). Soir s’invitant par une fenêtre ouverte sur l’émeraude fauve du soleil déclinant, corps alanguis dans le silence du vent léger…

(planche 19). Ritournelle à la SATIE qui se mue en comptine cuivrée, perdue entre les touches bluesy du piano de Carla.      

Wildlife (trois mouvements).

Thème en forme de point d’interrogation avec une pincée d’ELLINGTON (Horns), possession du grave par les pattes sans griffes de Steve (Paws without claws), laissant place à une danse toute en apesanteur, presque aérienne (Sex with birds).

The girl who cried champagne (trois parties).

Chanson brésilienne, décalée comme un motif de NASCIMENTO, jouée par une fille qui rit et puis qui pleure et puis qu’on console. Intermède sur la carte du tendre.   


L’impression d’ensemble c’est un sentiment d’accomplissement, de plénitude qui s’insinue, à l’insu de soi, hors de tout artifice, hors de tout effort.
Le non pareil qu’on attend chaque jour pourrait ressembler à ça.


Allez, dernier arrêt sur image :


Une main de femme dessinée par Jean COCTEAU, survolant le temps passant…


Chostakovitch par Pacifica, Nick Cave, How To Destroy Angels


Juillet 2013

Quatuors n° 9 à 12 de Chostakovitch et n°6 de Weinberg par le Pacifica Quartet, Push the sky away de Nick Cave & the Bad Seeds, Welcome Oblivion par How to Destroy Angels.

Par Alain


Quatuors n° 9 à 12 de Chostakovitch et n°6 de Weinberg par le Pacifica Quartet chez çédille


Jusqu’à l’acquisition de ce CD un peu par hasard (j’ai bien aimé l’illustration sur Internet en rebondissant de renvoi en renvoi lors d’une recherche sur Eduard Limonov !), je ne crois pas avoir entendu parler du Pacifica Quartet !


C’est bien dommage, car la découverte de leur 3ème volet consacré à Chostakovitch m’a subjugué ! Et me donne envie de me jeter sur le reste de l’intégrale en cours, chaque sélection étant accompagnée d’un opus d’un autre musicien russe contemporain d’un des quatuors de Chosta. Et bien entendu d’acquérir leur intégrale Carter, chez Naxos, je crois.


Allez, calme toi mon vieux, maîtrise un peu ta fébrilité et commence donc par le 9ème de Chosta, considéré souvent comme d’intérêt moindre mais qui ici devient jubilatoire tant la lecture proposée est décapante voire révolutionnaire ce qui ne signifie pas incongrue mais simplement en constante invention et variation, ne cède jamais à la facilité ou à la gonflette d’autosatisfaction, évite toute répétition d’effet ou de phrase et entretient un suspens tendu, une attente singulière de chaque note à suivre, le tout dans une lecture limpide, sans complaisance ou exagération, suggérant plus que soulignant l’ironie ou l’hommage, jusque dans l’allegro final très beethovenien assumé mais révélant des complexités dans les croisements des lignes de chaque instrumentiste rarement aussi manifestes.


Ensuite, l’ensemble des opus présentés s’enrichit de la même volonté de ne jamais se répéter tout en offrant une compréhension du texte idéale, passant quasiment dans une même phrase par des traits de caractère parfois vertigineusement contrastés sans pour autant tomber dans la posture, virant de la pochade vers la sauvagerie, du lyrisme vers le mystère, de la poésie vers le grincement, une palette d’expressions, de fulgurances et de couleurs entièrement et irréprochablement au service d’une musique qu’on redécouvre en se demandant parfois si certains « facilités » d’écriture n’avaient pas été pensées par Chosta pour être courbées ou accidentées ou justifiées comme le fait si élégamment, si intelligemment, si évidemment le Pacifica.


Ainsi le si torturé 12ème est sublime, incroyablement audacieux (le tempo, les pizzicati si puissants, impactants, physiques !), proposé comme du Janacek, osant des successions de blocs, des sous-ensembles d’inventivité vigoureuse qui se juxtaposent ou se connectent réussissant sans peine à créer une incontestable unité, les musiciens jouent souvent avec un talent consommé du groove d’un léger décalage absolument idéal pour faire exister chaque ligne des partitions là où les meilleurs avant eux (tels les Prazak) favorisent systématiquement l’accord organique parfait ! C’est d’une modernité prodigieuse ! C’est génial !


Évidemment, ces exploits ne sont possibles qu’à travers une osmose technique inaltérable, une confiance en l’autre d’autant plus sidérante dans ces instants où ces musiciens irréprochables nous laissent au bord du vide pour relancer la machine avec une virtuosité aussi raffinée que totalement au service d’une conception solide de l’œuvre, jamais d’eux-mêmes, n’oubliant pas que, dans les quatuors de Chostakovitch, c’est Chostakovitch qu’on doit entendre, pas les prouesses des interprètes ! Bravo aussi  pour cette clairvoyante humilité!


Peut-être préférera-t-on l’option d’une nervosité angoissante si souvent défendue dans le 11ème à ce qui ici joue plus sur le mystère par le timbre et les éclats de voix quasi douloureux, peut-être le choix de certains tempi surprendra un peu, qu’importe, la lisibilité est absolument irréprochable, les contrastes rythmiques excitants (ces passages, là encore, où chaque soliste semble jouer à un rythme légèrement différent des partenaires tout en ciselant une entente stupéfiante de justesse), les effets d’aquarelles sans équivalent, passant d’une acidité, ou aridité de quelques notes vers un moelleux et un boisé magnifiques ( bravo pour la prise de son également ! ), créant une charpente solide à une architecture mouvante via des effets de miroirs, de timbres raffinés, des accidents subtils, sans jamais perdre le fil d’un discours exigeant et saisissant !


Bien sûr, ça ne remplace ni les versions Borodine, Beethoven ou Fitzwilliam (avec qui j’ai découvert Chosta !), mais je me demande si au moins les 9ème, 10ème et 12ème proposés ici n’apportent pas une richesse insoupçonnée à ces pages parfois jouées un peu simplistes, leur conférant une contemporanéité éblouissante !


Je n’ai pas encore pris le temps de rentrer dans le Weinberg, qui pour l’instant m’intéresse moins mais révèle que les mêmes musiciens savent favoriser la beauté sonore, l’onctuosité plastique quand il le faut !

Bien, c’est dit.


Quoi d’autre maintenant ?



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Pourquoi pas un disque que je repasse de temps en temps avec un plaisir direct, sans faille ?

Nick Cave and the Bad Seeds : Push the sky away.


Vous allez me dire que ce n’est pas très original, pas une découverte.


Et alors ? Les Quatuors de Chosta non plus, ça n’empêche pas le bonheur !


Nick Cave, pour ceux qui ne connaîtraient pas (c’est une blague), est un rebelle courtois un peu touche à tout, un possible héros de Paul Auster, de ces poètes ténébreux dont la culture rock est profonde, authentique, enracinée dans le bide, les neurones, exsudée par la peau, les gestes, l’antiposture, et qui à chaque création, creusent une veine singulière dans la terre de leurs obsessions, tel Tom Waits, Bowie pendant longtemps, Neil Young peut-être.

Parolier, compositeur, conteur, scénariste, acteur, romancier et j’en oublie surement, l’australien Nick Cave, depuis quoi, 30 ans ? se joue des paradoxes comme des règles, immergé dans une certaine idée de la décadence, sans jamais se départir d’une forme créative de dandysme, et honore le blues américain à sa manière très personnelle, très littéraire aussi. Car sans aucun doute, l’écoute de cette très belle dérive de névroses domptées donne l’impression de tourner les pages d’un livre au rythme lent mais à l’écriture foisonnante, enfouissant sans vraiment y réussir tout à fait une amertume comburante.


Neuf espaces vespéraux, souvent âpres, pour autant plaçant l’auditeur dans une douce rêverie voyageuse, une errance fantomatique, où des figures étranges traînent leur spleen moribond.


Parfois certes s’installe le sourd gémissement d’une intensité douloureuse qui cependant jamais ne sort du sillage, la sensualité reprenant très vite le gouvernail de ce lent navire sur mer abyssale mais calme.


Les musiciens ouvragent naturellement un écrin superbe à la voix chaude, quasi sépulcrale, et délicate de Nick Cave, évitant l’éclat, tissant des lignes mélodiques suaves, lancinantes, une basse solide comme les bras d’une nounou, des percussions intimes, des nappes de cordes caressantes, des harmonies mystérieuses malaxent la glaise d’une œuvre profonde et sensible.


Le résultat est fascinant, on n’a aucune envie de s’extraire de cette perdition noire et si érotique qui nous ballade d’un bout à l’autre de titres souvent trop courts, si simples en apparence, traçant pourtant un chemin cathartique dans les ondes nébuleuses et incroyablement tortueuses de l’âme.
Je ne connais pas intégralement la discographie du Cave et ses mauvaises graines, mais celui-là est mon préféré !


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Relative déception maintenant, surtout pour moi !


How To Destroy Angels : Welcome Oblivion.


Déception car je suis un grand génuflecteur devant Trent Reznor, et si le dernier Nine Inch Nails (The Slip) sentait cruellement la désinvolture (et le manque d’inspiration qu’on a vu s’installer depuis que sa santé mentale le tracasse moins, tant mieux pour lui ! ), le travail très expérimental fourni en collaboration avec son désormais vieux pote Atticus Ross pour la BOF de « the girl with dragon tattoo » était à l’arrivée admirable, hypnotique, entêtant, composé dans des couleurs d’une légèreté et subtilité pas fréquentes dans le post-indus.


Or, le (trop) long opus de HTDA, hyper produit en compagnie du même vieux pote et de l’épouse adorée Mariqueen Maandig, ne vient certainement pas nous bouleverser par les surprises !

Certes, Reznor et Ross ont su créer une couleur propre ( en l’occurrence plutôt sale, goudronneuse, épaisse et vénéneuse ) à HTDA dès le premier EP, suffisamment éloignée des diverses évolutions de NIN pour revendiquer une identité forte, mais on n’en sort jamais ! Ce qui était supportable sur l’EP l’est nettement moins sur un disque de plus de 65 minutes ! On ne respire jamais (ah si, sur « Ice Age »), les beats sont répétitifs et lassants, plus ou moins étirés ou rapides mais si peu variés (sauf sur « Ice Age »), certains morceaux vraiment inutilement étendus et faciles (pas « Ice Age »), voire tout simplement inutiles, nuisant à quelques rares titres vraiment très costauds ou surprenants (« Ice Age » ?).

Car n’exagérons rien : ce n’est évidemment pas nul et les arrangements complexes méritent largement le détour mais les bons moments de l’opus sont altérés et éclipsés par la redondance. Honnêtement on aurait pu économiser 15 à 20 minutes sans regret ! Trop de passages ennuyeux, manquant de personnalité voire tout simplement d’idée !


Dommage, car le début est engageant : la brève introduction électro sur une rythmique rap éveille l’oreille et surprend par son format et son final crescendo en niveau comme en tension nerveuse. Quelques pièces finissent par prendre leur sens après plusieurs écoutes (hélas les autres ne donnent pas envie d’y retourner !), et on se plaît à détecter les greffons de Radiohead, Massive Attack ou même Depeche Mode, ce qui renvoie à un étrange constat musicologique quand on sait que Reznor est plutôt inspirateur qu’aspirateur.


En outre, la voix de Mariqueen Maandig, que l’on qualifiera gentiment de diaphane ou vaporeuse (on ne peut pas dire que la jolie dame s’époumone), ne capte pas par son intensité, même si parfois elle parvient à attirer l’attention par des subtilités décalées, révélant la chanteuse qu’elle est probablement, trop souvent étouffée par la tourmente sonore de l’album. Car côté son, le moins qu’on puisse dire est que la production n’est pas paresseuse, notamment les vagues sombres et graves qui pulsent dans les entrailles.


Essayons d’isoler quelques pierres justifiant l’édifice : « Keep it together », lancinant et captivant, atmosphère sonore consistante, énigmatique, révélant en arrière plan des couleurs inédites, une utilisation envoûtante des voix fantomatiques.

« And The Sky Began To Scream » évoque du Portishead bodybuildé aux hormones, diffusant comme un parfum des résonances cachées et les effets de voix de Reznor, brouillés, évanescents, donnent l’impression d’une évasion sous hallucinogène.

« Ice Age » propose une drôle de chansonnette électro-folk vite angoissée sous la légèreté de surface, surfant sur de dédaléens enchevêtrements acoustiques et une puissante montée en intensité via une ligne arrière s’imposant lentement, crispante, menaçante, douloureuse. En outre on y entend enfin un peu Mariqueen chanter ! Excellent !

 « On the Wing », pas franchement original côté rythmique, mais dans lequel on retiendra quelques sons nouveaux dans le grave, qui est assez énorme.

On adorera ou on détestera «How Long», une chanson pop calibrée « chart » au bouquet new wave assénant un refrain accrocheur, soit en y détectant l’humour d’une touche de Depeche Mode, soit en lui reprochant sa facilité racoleuse indigne du grand Reznor, ex-rebelle, trublion génial de l’industrie du disque.

Le reste est souvent trop long, bourré de tics, abusant de pré programmations automatiques spéciales « Reznor Indolent » sur les échantillonneurs et synthés et de beats lourdauds ou casse-pieds, qu’on trouverait pas mal dans les compos de n’importe qui, mais pas de la part du type qui a tout inventé, bousculé les frontières et les genres, laissé autant d’obstacles incontournables sur la route trop bien goudronnée de la relative création moderne.


De ce point de vue, on pourrait éventuellement considérer cette grosse machine comme un complexe expérimental, ésotérique et élitiste, mais j’ai un peu de mal avec l’idée, même si, de fait, Welcome Oblivion reste supérieur à la plupart des bouses du moment.

Paraît que Trent prépare un nouveau NIN.

 Aïe…

Je ne lui souhaite ni le divorce ni la dépression nerveuse, mais j’espère qu’il va trouver un nouveau creuset à idées !


C’est décidé, en attendant la renaissance du génie, je retourne vers Liesa van der Aa, Troops, autrement plus novateur et émouvant !






Coffret Pogorelich par Joseph L


 

 

IVO POGORELICH.

Complete recordings. D.G.

Par Joseph L


J'ai depuis longtemps l'enregistrement de la fantaisie de Mozart que Pogorelich a enregistré en 1995 ; j'avais trouvé son interprétation passionnante par les contrastes qu'il y mettait ; dans cette pièce on passe du sage petit génie (Wolfgang) au musicien fantasque, et sa version accentue vraiment ces variations ; quand je l'ai écouté la première fois son interprétation, cela m'a mis devant les yeux le film de Milos Forman : un parti-pris très personnel ; et d'ailleurs Pogorelich et Forman ont été très controversés.

Chopin pendant très longtemps m'ennuyait, en fait ce sont les interprètes qui me lassaient par trop souvent leur grandiloquence ; quand j'écoutais une pièce de Chopin j'avais l'impression d'être malade ! L’approche de Pogorelich de la sonate n°2 est simplement fantastique ; c'est plein de couleurs, la mélancolie et la révolte se côtoient et j'ai été séduit, c'est vivant voilà.

Gaspard de la nuit est mystérieux dans Ondine, angoissant le Gibet et Scarbo très « hugolien » ; une interprétation que je range avec Perlemuter et Tharaud, en autre, avec des gens bien.

Arrive juste après la sonate n° 6 de Prokofiev : je vous conseille de faire une pause entre les deux œuvres, j'ai écouté les deux à la suite, un peu groggy à la fin !

L'opus 111 de Beethoven là aussi a fait hurler les gardiens de l'Interprétation académique.

Les tableaux d'une exposition est une version très lente qui m'a plu et un peu dérouté.

J'ai découvert sa version de la sonate de Liszt hier; je ne sais pas pourquoi j'étais passé à côté d'un tel bijou ; c'est encore une fois une interprétation qui ne satisfera pas tout le monde; les choix rythmiques sont radicaux, du pianissimo parfois à peine audible au forte tempétueux toujours sous contrôle, pas du tout tonitruant; ç'est tout sauf tiède, ce qu'il faut dans cet œuvre vous me direz, mais c'est loin d'être toujours le cas.  

Je mets un bémol à ce coffret : il y a des scories, entre autre sur Chopin, aïe, ça ferraille un peu ;  les prises de son D.G. n'ont jamais été les plus belles, mais je pensais qu'à l'occasion de cette réédition, ils auraient pu faire le ménage.

Je ne boude pas mon plaisir, c'est un beau coffret, qui ne plaira pas à tout le monde, soit…
   

 


Daft Punk & Steve Jansen



Mai 2013


Daft Punk et Steve Jansen


Par François C


Vous n’avez pas pu y échapper : le duo parisien des Daft Punk vient de sortir son nouvel opus «Random Access Memories».

Sortie mondiale le 20 Mai avec quelques fuites savamment orchestrées pour alimenter le buzz.
 
Pour être dans le coup, il faut acheter le vinyle ou la version dématérialisée en « Studio Master » à se procurer  sur la plateforme de téléchargements légaux qui pratique des prix gastronomiques : Boquz.
 
Pourquoi un tel engouement ? Je me pose toujours la question après plusieurs écoutes de ce disque. Que l’on crie au génie me laisse froid.
 
Où se trouve la frontière entre la création, l’hommage (à Giorgio Moroder par lui-même dans le morceau 3), le plagiat, la redite ? Difficile à dire !

La présence de Guest Stars venus d’horizons divers (Nile Rodgers, Paul Williams, Pharrell Williams, Julian Casablancas entre autres) semble plus tenir du badge publicitaire style « vu à la TV »  que de la justification artistique.

Les rythmes sont simplistes, les paroles affligeantes (à moins que ce ne soit l’inverse), le recours excessif au Vocoder irritant jusqu’à ce que l’on ait droit à un chant non trituré électroniquement. Et là, on en vient à regretter le Vocoder !

Le single « Get Lucky » nous semble familier dès la première écoute, tellement on est en territoire connu.
Pour ne pas être totalement injuste, le titre « Contact » rattrape in-extremis l’ensemble, mais vraiment in-extremis puisque c’est le dernier morceau de l’album.

Vous m’objecterez que la production est d’enfer, le son hénaurme, les arrangements très travaillés. Mais cela suffit-il à faire un bon disque ? A mon sens, non. En effet, j’ai connu les années 70 et l’origine de ce qui a nourri musicalement le duo casqué. C’est peut-être ce qui fait la différence : j’ai tendance à préférer l’original à la copie, si bonne soit-elle.


J’entends d’ici l’invective : « Ziva, tête de mort ! Si tu kiffes pas Daft Punk, keske t’écoutes alors? »

 
Eh bien, mon coup de cœur du moment va à « The Occurrence of Slope » de Steve Jansen.

 
Ce n’est pas vraiment une nouveauté, puisque l’œuvre est de 2009. Mais la confidentialité de sa distribution fait que je n’ai pas eu l’occasion de l’acquérir plus tôt.

 
Petit frère surdoué de l’immense David Sylvian (et son complice dans le disparu Japan), Steve Jansen est batteur.

Cependant, ici, la sensibilité et la discrétion des lignes percussives donnent des fondations aux antipodes de ce que l’on entend habituellement sur un disque de batteur.
 
« The Occurrence of Slope » n’est pas de la musique à proprement parler, mais plutôt un patchwork d’ambiances sonores et musicales. On pense parfois à Robert Fripp, souvent à David Sylvian (fratrie oblige ?) mais l’opus possède sa propre identité, fine et élégante.
 
La beauté dépouillée des cordes, le piano lunaire, une pincée de grincements, quelques gouttes de trompette, les nappes synthétiques, parfois des bruits de la nature, le jeu des diverses percussions se mélangent et s’entrecroisent pour notre plus grand plaisir. Bref, une heure et demie de surprises et d’apaisement pour un long plaisir solitaire.

 
Nous sommes en présence d’un moment majeur de la musique d’ambiances, mais à mille lieues du coté péjoratif et ennuyeux habituellement accolé à ce qualificatif.
 
Steve Jansen serait-il un metteur en scène sonore plutôt qu’un simple musicien ? Ce disque, comme ses collaborations précédentes (avec Richard Barbieri notamment) le laisse aisément penser.

 
Chaudement recommandé.

 

Standards & Avatars


4 mai 2015

 

STANDARDS & AVATARS


Cristal Records


David CHEVALLIER : guitare électrique - compositions/arrangements

Sébastien BOISSEAU : contrebasse

Christophe LAVERGNE : batterie

Par Pierre-Yves dB


Trois artistes en déséquilibre parfait (ou presque).


Sept cordes + quatre + des cercles, des ronds, des fûts, de la ferraille, du bois ligneux presque domestiqué, des cônes déconnants = une espèce de radeau bizarroïde, hétéroclite, paré pour la course singulière...

Pas une course-affrontement (avec qui d'ailleurs?), pas une course-cocagne à qui c'est qui ira le plus vite, le plus loin, le plus haut, pas une course barbare où l'on s'étripe à tour de bras, cohorte sanglante et braillarde ... Pas non plus une course-champagne avec canotiers et gilets bariolés, sourires factices.

Course placide et sereine en apparence, musardeuse, mais avec des accidents plus ou moins prévus ou pas du tout, magnifique et dédaigneuse, pied de nez aux canons du style, course-odyssée soumise au hasard, comme il arrive généralement sans qu'on s'y attende vraiment.

Le paradoxe du radeau, débarrassé d'accessoires encombrants et disparates tels mâts, voiles, vergues, gouvernail, ou superfétatoires du genre sextant, c'est que, privé du moyen d'influer sur sa destinée, il est totalement prisonnier, livré aux caprices exclusifs et jaloux des vents, des courants, des marées, mais pourtant absolument libre, insouciant, captif de la seule idée première, génitrice de son existence comme de son futur. Il est avatar par nature.

En course donc.

La vague humaine roule d'un bord à l'autre de Broadway, portée par une chanson de coin de rue dans laquelle il serait question d'amour et d'espoir (ou d'attente?). Chanson ici sans paroles, susurrée plutôt que fredonnée par des milliers de gosiers et dont l’écho bourdonnant résonne encore par-delà le Manhattan des années folles.
Bribes égarées et réinventées en tourbillon jour après jour, Betty Boop transposée en Desdémone éperdue, ou l'inverse selon l'humeur du moment. Cette histoire, écrite au temps infini, ne cessera jamais.
Mutation du prisme en grand huit, cascades solaires sans issue mais sans tristesse, un zeste d'ironie dans la mise en scène et quelques tours de passe-passe en clin d’œil, à saisir vite, impromptus.
Trampolino sonore, timbres décalés d'une joute d'aléas quand le labyrinthe prend l'eau de toutes parts.

Le radeau, simple et fruste, présente l'immense avantage de pouvoir se glisser sous les ponts les plus bas, les plus modestes, et ainsi d'explorer les méandres oubliés des mémoires obscures, à distance de la vaine agitation des espaces ordinaires, d'envahir nos songes à n'importe quel moment, n'importe où. Instants revendiqués et abrupts, révélateurs de nos solitudes.                  

Curieusement, les détroits familiers (Kern, Porter), mille fois empruntés auparavant, exhibent des contours inconnus et changeants, incongrus, à rendre fous les géographes. Les lignes claires explosent en une multitude de points autonomes et revanchards, allures libertaires d’îlots épars en perpétuelle errance.
Transfiguration fortuite de cadences bien ordonnées et modification à peine perceptible des battements de cœur, états sûrement consécutifs à l'effort que provoque une quête étrangère aux volontés initiales, quasi instinctive.
Pirouettes enchaînées en grand écart, laissant entrevoir une sortie possible.            
Idiome partagé, dédale miraculeux et si nécessaire où tout devient illusion, utopie, dédain des certitudes apprises.

Navigation circulaire, déchirée d'allers-retours convulsifs, même pas désirés. Choix de l'abandon inné, refus d'une lutte inutile et présomptueuse. L'esprit s'égare dans une dimension qui lui échappe, marionnette imbécile et agitée, guidée malgré elle.      
Réponses sans questions, en champ ouvert, sur l'ordre visible des choses, sur nos sentiments.

Havre tranquille, pesanteur du silence écorné ça et là par de brusques stridences étouffées, pudiques. Absence de couleurs ou plutôt monotonie d'une teinte sépia, aigre-douce, fade, morbide, celle d'un vieux journal oublié quelque part. Pourquoi alors cette impression de moiteur plaintive, immobile, comme hantée par le cri? Convocation de peurs anciennes, enfouies dans les tréfonds de nos pensées et réveillées en sursaut? Il y a longtemps maintenant, Billie Holiday nous a parlé d'une bien étrange et amère récolte... Silence des mots.
               
Fin de l'escale, violente, exténuante. Départ tout en douceur vers l'âge d'or quand le corps se repose et retrouve son calme. Illusion de facilité aussitôt démentie par le fracas de nos doutes (Car c'est ainsi que nous allons, barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé. – Francis Scott FITZGERALD). Réminiscence d'un air de comédie musicale, lequel déjà?   


«La vie est une collection d'accidents.»   F. S. FITZGERALD (encore).


Un avatar de tableau à la Chagall...

Extérieur nuit - Une guinguette assez classeuse laisse entrevoir par ses fenêtres illuminées un intérieur qu'on devine chaud et enfumé, peuplé d'ombres immobiles. Le store distendu à rayures sans doute grises et blanches, comme un costard de mac ou à peu près, surplombe un ramassis de lampions rouges, orangés et verts, disposés en guirlande, éclairant de manière diffuse la façade fichée sur un trottoir incertain et blême. En fait (il faut le savoir), le sujet intéressant c'est le chien noir, sans collier semble-t-il (comme le radeau, quoi), qui pisse un peu plus loin contre ce réverbère passablement tordu, émergeant avec peine d'un halo tout poisseux de brume jaunâtre.        

 


Dominique Pifarely : Time Geography par Pierre-Yves DB


Dominique PIFARELY

Time Geography


POROS Editions

Par Pierre-Yves DB




Compositions de Dominique PIFARELY

Ensemble Dédales

Dominique PIFARELY : violon
Guillaume ROY : alto
Hélène LABARRIERE : contrebasse
Vincent BOISSEAU : clarinette, clarinette basse
François CORNELOUP : saxophone baryton
Pascal GACHET : trompette, bugle
Christiane BOPP : trombone
Julien PADOVANI : piano
Eric GROLEAU : batterie  



D’après le dico, un ensemble formé de 9 musiciens, femmes ou hommes, est un « nonette ». Que l’ensemble en question ait pour nom Dédales ne change rien à l’affaire, c’est un « nonette ».


J’ai beau objecter que « nonette » ça sonne pas terrible à mon goût, on me rétorque que ça vient de très loin, du latin pour tout dire, et qu’il serait bien impertinent, voire outrecuidant, celui qui s’aviserait de contester nos origines langagières. Y’a pas à ergoter, c’est comme ça et pas autrement, c’est un « nonette » qu’on vous dit !

Je n’en pense pas moins (tout de même, le nonette Dédales…), mais allez discuter avec un dictionnaire.

Encore heureux que ce ne soit pas une nonnette, le petit gâteau rond super sucré fabriqué au départ par des nonnes, d’où son appellation, qui parfume encore un recoin de mon enfance, comme la madeleine à Proust quoi.

D’autant plus que, étymologiquement, une nonnette est une jeune nonne, donc une seule personne, soit le contraire d’un ensemble. Faudrait alors dire un ensemble de nonnettes, donc un couvent…
Franchement, le couvent Dédales, ce serait pas mieux du tout et, enfin, pas vraiment approprié au mélange de musiciens mâles et femelles, même ayant de la religion.


On pourrait peut-être tout bonnement s’en tenir au nombre neuf, mais là le doute m’assaille. Imaginez un peu un orchestre baptisé « Marcel JAUNET et ses neuf têtes », hydre d’un genre particulièrement ridicule ou alors…une autodérision bien salutaire par les temps qui courent, loin de l’hubris affichée par certains. Il reste que l’esthétique en prend un sale coup derrière les oreilles.

Ensemble Dédales : c’est simple, c’est élégant, ça interroge.

Pour l’anecdote, cet ensemble, fondé en 2005 par Dominique PIFARELY, n’a publié que 2 enregistrements : Nommer chaque chose à part en 2009 et Time Geography en 2013.


A priori, c’est davantage le signe de l’authenticité et d’un aboutissement artistique, même éphémère, que celui d’une pure logique mercantile…



Dominique PIFARELY : « La musique comme lieu d’exploration de notre rapport au monde n’a de labyrinthique, éventuellement, que le chemin personnel qu’on y trace. Mais le labyrinthe, de prison est aussi devenu un jeu, et chercher son chemin, un impératif… Entendre l’effort, c’est entendre le mouvement de la pensée, c’est percevoir le déplacement physique, sensible, du discours musical et donc la possibilité de faire le chemin soi-même…».    

Time Geography : 5 pièces.

Ordinary chaos

Tension grise dans le sombre. Piano gardien des portes et maître des clés.
D’instants chavirés en errances ouvertes, on cherche l’air.
Batterie comme pierre qui roule, fuite à se cogner la tête contre les murs, plaintes dures…
Tout à coup, fortuite, presque décalée, naît une badinerie amoureuse entre la basse et le sax baryton, comme un morceau de ciel permis par la libération du vent.
Exploration de l’espace conquis, illusoire, comme retenue par un fil.
L’harmonie s’installe, brève mais sublimée par l’effort.
Métamorphoses du temps présent.   


Per angusta

Intervalles étroits… Où se glisser ?
Trame tissée sur un arc de brumes éthérées, zébrées de clair et d’obscur.
Nasse des cordes emprisonnant l’oiseau. Étirements paradoxaux entre le triste et le rire.
Jeux polyrythmiques, patchworks de l’alto striant les ostinatos graves s’organisant peu à peu en ritournelle concertante, façon groove néo-orléanais.
Lutte de pupitres enfin dominés par le trombone a capella. Alliance magique voix/métal, comme dédoublée.
Complainte amère se transposant à l’envers et mourant en unisson.   


Slow science

Questions/réponses en motifs interrompus où bribes et fragments se mêlent.
Tempo juste souligné, cheminements qui se nourrissent des parcours accomplis.
Trompette Parkerienne, modulation en escalier.
Violon complètement déjanté sur des incantations sourdes…
Bruit et fureur, structuration/déstructuration d’un monde de nuances. 


Beirut work song

Jalons jetés, serpents issus du tréfonds repoussés en surface…
Emmêlements et étouffements sur une pulsation de vie, rageuse, annonçant la marche.
Embrasements et renaissances, cacophonie des haleines.
Reprise de la marche en enfermement, comme une toile ironique de BRUEGEL, où persiste malgré tout la dominance de l’humain et la concordance des temps…


Chaos, ancient noises

Eloge de l’inachevé et de la rupture.
A bout de souffle.
Jeux de rimes et espoir de danse à la manière ancienne.
Echappée belle, unique et inquiète.
Retour s’intégrant à la mémoire.



L’écoute de Time Geography ne peut être superficielle ou simplement distancée, tant l’œuvre est exigeante et demande d’implication, si l’on veut accompagner la progression de la pensée mais aussi ressentir, de façon la plus organique possible, l’occupation du temps et de l’espace réalisée par l’ensemble Dédales.

Même si la musique, intemporelle par essence, est toujours finalement occupation de temps et d’espace, sont ici continuellement perceptibles les mutations/migrations nées de l’intention et de la liberté (le mouvement de la pensée) qui lui confèrent puissance et originalité.  
Violoniste de grand talent et compositeur inspiré, Dominique PIFARELY se révèle aussi en véritable dramaturge.

Son art d’agréger les motifs, de les rendre protéiformes, de les dissocier et de les réunir, de leur insuffler cette tension et cette mobilité constantes, lui permet de tisser une sorte de canevas où s’exposent et se rassemblent, de façon quasi autonome, les séquences réunissant en miroirs pluriel et singulier, tout en exprimant leurs couleurs comme leurs apparences propres.

L’histoire ou plutôt les histoires naissent du mouvement, de l’effort, et prennent sens au fur et à mesure qu’elles se racontent. En l’absence de continuum préparé, la pérégrination peut ainsi emprunter des voies diverses, sans craindre de se retrouver au point de départ. Un peu comme si la composition n’était qu’un prétexte (l’apport du vocabulaire) et non l’alpha et l’oméga du cheminement musical.

Situé à la croisée des tessitures et des timbres, le saxophone baryton de François CORNELOUP (mais pas que lui…) illustre à merveille cette perpétuelle recherche de l’aller-retour entre formes ouvertes et écrites qui concourt à rendre tangible l’ancrage autour duquel s’articule le discours collectif ; à la manière d’un feu follet explorant sans cesse l’espace laissé libre par l’agencement des thématiques.
La dynamique issue de la conjonction des intentions et de l’expression engendre alors d’elle-même l’arc en ciel sonore qu’est la signature identitaire de l’ensemble Dédales.

Mais un arc en ciel mutant, couleurs dont le prisme varie sans cesse et sans cesse au gré des climats vagabonds, au gré du cri et du chuchotement, au gré de nos propres résonances.   

Du chaos ordinaire qui s’inscrit dans ma mémoire, je retiens le cheminement intérieur, le regard tourné en soi… Ils permettent la rencontre comme le partage, si nécessaires à la liberté de l’être.


Dominique PIFARELY : « …Sans doute un enjeu de la musique aujourd’hui : reconquérir cette capacité à vivre la musique activement, et le partage de l’effort qui la fait naître… »  

Une démarche profondément humaniste, non ?

 


Ducret, Konpatchinskaya, Fauve, Volodos, Wright, Savages, Depeche Mode



Juin 2013




Tower, volume 1 de Marc Ducret, Mompou par Arcadi Volodos, Bartok, Eötvös, Ligeti par Patricia Kopatchinskaja, Blizzard par Fauve (non, ce n’est pas la sculpturale danseuse), Shannon Wright, Savages, Depeche Mode, pfiou…

Par Alain



Commençons donc par Marc Ducret et le premier volume de Tower.
Avec Kasper Tranberg (trompette), Matthias Mahler (trombone), Fred Gastard (saxophone basse), Peter Bruun (batterie).


Si j’ai bien compris ce qu’on m’a expliqué, Tower est avant tout une expérimentation de scène, sur des structures et des formations changeantes.


Et si j’ai bien compris, les compositions seraient bâties autour de divers extraits de « Ada ou l’ardeur », de Nabokov, mon Nabokov préféré soit dit en passant.


Peut-être est-ce en référence au bouquin que ce disque, pas vraiment facile, dédaléen, nerveux, bondit sur des voies sans cesse changeantes, comme un cache-cache incessant rendant l’opus complexe et passionnant, tout particulièrement la première et longue plage Real Thing 1 (21’49), faite de successions de climats et variations parfois acrobatiques mais jamais démonstratives ni gratuites !


Inventivité de tous bois, aussi bien dans les mailles fines des juxtapositions sonores que dans les foucades rythmiques, la musique de Ducret enchaine des jets d’urgence toujours impeccablement maîtrisés et incroyablement structurés en dépit d’une revendication à l’improvisation ouvrant quelques portes de liberté aux musiciens toujours sous-tendues par la présence des autres comme en tapinois. Quelques brefs segments mystérieux se rassemblent rapidement en des zones de spasmes, de folie nerveuse, tout juste entrecoupées par de fusants intervalles consonants, et repartent vers des échos de Zappa se fracassant bientôt sur des piliers Crimsoniens, dans un jeu de fausses pistes toujours intéressant, toujours surprenant et toujours parfaitement tenu par des instruments engagés, de haut vol, haubanés par un batteur très subtil glissant ses jeux de frappes pertinents dans les interstices étroits laissés par ses collègues doués aux sonorités puissantes et enchevêtrées imprimant à la fois du grain et des timbres incisifs encadrant les riffs acides de Ducret aussi inquiétants qu’une alarme d’ECG…


On peut facilement se perdre dans ce dédale sonore fait de tensions où parfois les sentiers se rejoignent mais jamais longtemps, à l’exception d’un incroyable gué vers la fin de Real Thing 1les instruments qui semblent beaucoup plus nombreux que la réalité, s’unissant en canon de proportion au déroulement patient, édifient par strates une herculéenne trame envoûtante et percutante.


Attention, si vous aimez le sucre classique et lénifiant façon Ibrahim Maalouf (Wind : du spécial Télérama ou comment parodier la BO « d’Ascenseur pour l’échafaud » revue par Morricone), passez votre chemin, si vous aimez les puzzles complexes qui même une fois assemblés forment un figure abstraite, foncez sur ce disque !

Tout ce que je décris ici ne vaut que sur un système de reproduction particulièrement expressif ! J'ai écouté partiellement ce disque aujourd'hui sur un ensemble plus banal quoique coûteux (en test chez nous) et je n'ai pas tout compris de ce que j'ai ressenti dans les lignes ci-dessus !

Pour les amoureux de son, la captation est très réussie, la pâte sonore précise et vigoureuse, seule la mise en espace est factice, mais somme toute créant une scène imaginaire qui permettrait à la batterie de se faufiler un peu partout entre les autres musiciens, ce qui correspond parfaitement au jeu.
 

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Côté classique, je vais enfoncer une porte ouverte :


Arcadi Volodos joue Frederico Mompou.


Ce disque adulé de partout est magnifique de bout en bout, tissant un portrait quasi-debussien pour une musique si absolument originale, pas réellement impressionniste, mais évocatrice de sentiments contradictoires, explorant les méandres de l’esprit humain, que Volodos distille avec une sensibilité frémissante, subtile, raffinée, un langage proustien, un univers poétique positif, répandant une pluie de timbres, déployant une précision rythmique ciselée de retenue, en humour, en délicatesse, c’est tout simplement beau, sans éclat inutile, sans le début du commencement d’une fioriture, d’un effet gratuit, d’un excès pondéral, c’est aussi léger que le bruissement des élytres d’un sphinx colibri !
 

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Bon, histoire d’être un peu moins raccord avec l’actualité, je vais vous parler d’un disque un peu plus ancien, à savoir le superbe programme choisi par Patricia Kopatchinskaja, que par commodité technique je désignerai par PK dans la suite, accompagnée de Peter Eötvös et le Frankfurt RSO.



Programme Bartok, Ligeti et Eötvös !


Un parcours très très pertinent et enthousiasmant, autour d’un berceau géographique commun, les Carpates !

Annonçant le caractère effrayant des trois œuvres, le Bartok est chargé de mélancolie dans ses grincements, ses plaintes, ses cris de tristesse et ses sursauts rythmiques douloureux par la fougue incendiaire et la liberté sous contrôle de PK, qui déroule l’épreuve avec la décontraction souriante qu’on lui connait, soutenue par un orchestre qui accepte de suivre l’engouement de la gamine, un chef sous le charme, d’une subtilité idéale pour illuminer l’œuvre d’harmonies évanescentes et d’un lyrisme nerveux. Liberté, certes, accompagnée de volupté et de quelques égarements de romantisme, certes, mais qui jamais ne nous éloignent de Bartok, ne paraissent incongrus, et révèlent bien au contraire une clarté du discours qui retire à l’opus cette gangue d’inaccessible distance qui alourdit ou cérébralise bon nombre d’interprétations renommées.

Le « concerto » démembré et halluciné d’Eötvös, Seven, est vraiment bien foutu, évite les facilités codées d’une musique contemporaine à répétition dans ses manies de cluster théâtraux pour au contraire proposer des espaces surprenants entre désolation et dévastation fondés sur des cadences éparses, des jeux de timbres et de vide insufflant une poésie noire, bancale mais poignante à cet hommage macabre.


Pourtant, le zénith est atteint par le concerto de Ligeti pour violon et orchestre de chambre, cinq mouvements d’une fantaisie peut-être burlesque, déroutante sans austérité, même très digeste, pétant de couleurs sombres laminées de vitriol, de contorsions malignes, audacieuses et prégnantes, d'humour grimaçant construisant une harmonieuse bâtisse faite d’immatériel et de matériaux incongrus et discordants où parfois on croit reconnaître de ces pierres déjà vues et qui ne ressemblent à nulle autre. S’immergeant dans une série de tableaux complexes, hallucinants, enragés, de bacchanales saugrenues, les musiciens nous accompagnent dans une peinture déjantée d’harmonies nouvelles et magnifiques obtenues en partie par l’interférence entre instruments accordés et désaccordés qui déploient devant les ténèbres de fond des salves d’espoir, de refus du destin, telles ces notes fusant dans la cadence infernale du violon solo !


Merci à PK, que nous avons admirée pour son ardeur, sa sensibilité, son enthousiasme superlatif, sa générosité sur scène, de nous proposer un programme riche, original et rare, et de le magnifier de bout en bout !


Le son du disque est un peu déroutant, un peu hifi, d’une précision et d’une présence artificielle, nous plaçant dans une position improbable, à une distance de l’orchestre qui n’a pas de sens et qui de fait, synthétise un peu la dynamique, mais au moins est-ce cohérent et propre à défaut d’être vraisemblable.
 

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La bizarrerie (je me trouve gentil soudain !) du mois maintenant :

Fauve : blizzard.


Mouais, ça ressemble encore à un pur produit de mercatique, ce truc, ce collectif créateur...
Woodkid aurait-il lancé une mode de produits branchouillés calibrés pour public de nantis béotiens qui achètent les Prix Goncourt pas pour les lire mais en exhiber le macaron dans la jolie bibliothèque gris taupe ?

Car la pochette est accrocheuse, un logo nickel ( symbole d'inégalité ? Quelle farce ! ), efficace donc racoleur, qui peut se décliner facilement, et la conception est axée sur une complainte, las tournant vite à l'incongrue contestation bourge d'un jeune homme épargné par la vie, dégoulinant d'une morale « hyper » profonde façon le grand philosophe Patrick Bruel, positionnement bobo qui rappelle en pas drôle ce que pastichaient les Inconnus avec « Auteuil Neuilly Passy ».


Musicalement, que dire ? Ce n’est pas vraiment mauvais, la trame de fond présente une forme d’élégance, la moelle sonore n’est pas honteuse mais la scansion pseudo-revendicatrice, le débit agité du… Du quoi ? Du narrateur ? Parce que ce n’est ni rap, ni chant, ni slam, ni réelle déclamation, bref ce trépignement de colère avec les petits poings levés « Ouuaieuh, la vie c’est PPas juste et les hommes, y sont Mééchants ! » est vite énervant, la voix de lycéen du 16ème qui se révolte en arborant un T-Shirt NTM sous une veste Yamamoto fatigue par son rien alors que, surpris par les rares instants un peu lyriques, on se demande bien pourquoi ce gringalet de l’octave ne s’est pas lancé à chanter tout le long, c’est plutôt mieux !

A cause du débit, peut-être. Oui, ben simplifie le texte, on comprendra aussi bien.

Le texte donc ? Sans doute l’intention générale est louable, porteuse d’une évidente bonne volonté compassionnelle et, de ce point de vue, il y a des passages habilement ficelés, mais si peu spontanés ; car le côté bon élève qui emploie des gros mots pour faire peuple ne vole quand même pas bien haut, voire tombe à plat en basculant dans le vulgaire par la sélection spécieuse d’un vocabulaire censé choquer et qui ici fait rire où on est quand même loin d’une revendication rap de lutte des classes.
 

A ranger dans la discothèque dans la même catégorie que Marc Lévy (ou Guillaume Musso) en littérature ?
 

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J’aime bien le dernier album de l’énigmatique Shannon Wright, trop souvent renvoyée dans l’ombre de la géniale PJ Harvey, de l’insaisissable Cat Power ou la rebelle Patty Smith : In Film Sound, jailli sur les chapeaux de roues par un uppercut fiévreux au son crade, sait aussi basculer vers une ballade en pentes raides ou des apesanteurs faussement paisibles d’une sophistication démesurée et désarmante dans la production si crue de la dame.
Dans le « même » style steak tartare, j’aime bien l’album franc du collier des quatre filles de Savages, Silent Yourself, post-punk pêchu, très rock, énergique et tranchant, ça envoie du bois, c’est brûlant mais pas violent, un son brut mais travaillé, avec un parti pris de production soigné qui s’affirme par un positionnement particulier, comme un peu en retrait dans la réverb, de la voix de Jenny Beth ; j’aime bien le dernier Depeche Mode, Delta Machine, pas franchement imaginatif ni novateur et cependant insolite ; très agréable à savourer, l’album se dévoile lentement au travers des sonorités propres à ces éternels charmeurs qui, probablement parce qu’elles s’articulent autour de thèmes blues, contournent habilement l’autocopie, voire renouvellent la ferveur du groupe dans une continuité rassurante arc-boutée sur la voix de Dave Gahan qui sera sans doute immortalisée au panthéon de la pop. C’est quand même bien meilleur que les précédents et notamment Playing the Angel.


Einstürzende Neubauten Lament, Keith Jarrett Survivor's Suite


22 novembre 2014

 

Einstürzende Neubauten : Lament & The Survivor’s Suite de Keith Jarrett.

Par Alain

 

Einstürzende Neubauten  (littéralement « nouvelles constructions en effondrement » mais je préfère l’idée de « ruines nouvellement construites ») est un groupe allemand (oh ?) de musique expérimentale à tendance industrielle, fondé en 1980, et qui s’est d’abord caractérisé par des sons très, comment dire, concrets ?, dus à l’utilisation d’« instruments » fabriqués par les membres du groupe, percussions diverses ou autres obtenues à partir du recyclage de matériaux peu orthodoxes, tubes de fer ou de PVC, caddys de supermarché, tuyau de clim, perceuses ou marteau-piqueur.

Mais au-delà de cette anecdote technique, le groupe a produit une musique anti-conformiste, fascinante, navigant de phrases heurtées à de longue séquences legato répétitives, des sonorités pures ou herculéennes inventant un univers très engagé sans équivalent direct et à tous points de vue puisque le groupe a flirté du côté des mouvances anarchistes, prenant souvent une distance ironique à l’art (Silence is sexy), structurée par la voix voluptueuse, gutturale ou nasale, c’est selon, expressive et solide d’un des leaders, le dandy Blixa Bargeld (c’est pas son vrai nom) qui, soit dit en passant, a aussi accompagné Nick Cave à la guitare dans les Bad Seeds pendant 20 ans.

Lament est semble-t-il une commande dans le cadre des célébrations de la guerre 14-18.
Les musiciens d’EN, après avoir hésité, se sont emparés du projet avec une abnégation totale, et le résultat est intense, intelligent, captivant, épuisant, impliquant, hypnotisant…

Sans doute les fans de la première heure ne s’y retrouveront pas complètement, mais qu’importe, chaque morceau est un univers additionnel dans une mappemonde cohérente de la folie destructrice ; ainsi l’introduction évoque l’abomination de la machine de guerre par une agglomération bruitiste de grincements et torsions métalliques qui vont violemment crescendo, cheminant comme un incontrôlable rouleau compresseur chthonien, confus et impitoyable, broyant l’humanité sur son passage, l’ascension irrépressible d’une sauvagerie fracassante glaçant le sang…


Sans rentrer dans le détail, cet oratorio figuratif superpose les styles, incluant des figures anciennes telles que le lamento ou le motet, les ambiances, les langues et langages, allemand, anglais, néerlandais, ainsi le second morceau, mixture d’hymnes nationaux en plusieurs dialectes à la fois drôle et provocant.
Le texte mélange des litanies d’origines diverses, lettres du front, messages enregistrés, tout fait ventre à une « magnifiquement crépusculaire» pantomime à la fois baroque et poisseuse, qui prend aux tripes, interminable et douloureuse, sans pourtant négliger les grincements de l’ironie brechtienne.


Ainsi cette sorte d’horloge mystérieuse qui égrène les 1500 et quelques jours de guerre en accélérant jusqu’à tourner folle sous les jalons temporels au rythme des atrocités scandés par les voix féminines et masculines annonçant les années, les pays impliqués, les champs de bataille qui dessinent une étrange carte boréale nous rappelant avec une froideur journalistique, mécanique, implacable, l’horreur qui a engloutit tant de nations dans un maelström sanglant.
Ou encore cette longue plage dont l’introduction brumeuse ciselée par un instrument à percussion si intelligemment maîtrisé évoque une bataille vespérale reculée, des tirs sporadiques, cette sensation que le front n’est jamais loin, accélérations fugitives des échanges de coups de feu, un canon de campagne parfois peut-être, invoquant avec un talent fou et une simplicité éloquente le ressenti probable de cette guerre pour beaucoup, le sentiment étouffant, épuisant, affligeant, que la bataille rode, dans un champ trop proche, écho menaçant en permanence, sauvagerie insidieuse, impalpable, invisible, en approche feutrée, promesse d’abîme.

Il y a le morceau titre, Lament, en 3 parties, immédiatement émouvant, sans fard, sans exagération, une scénographie simple et lancinante, une histoire ponctuée d’éclats ferraillant, un chœur mêlant des voix diverses en un canon mouvant, le temps suspendu, un thrène sans mot qui vogue du côté de l’universel sacré des limbes (repris de Perpetuum Mobile ?), un intermède cinglant évoquant à nouveau la machine de guerre et l'écroulement vers l'enfer et le final Pater Peccavi, construit sur le motet du même nom composé au 16ème siècle (Jacobus Clemens non Papa) sur lequel ont été greffés des enregistrement de prisonniers de guerre sur cylindres de cire, là encore un instant perturbant, déstabilisant, dérangeant…

Il y a aussi cette performance extravagante et si percutante de Blixa Bargeld animant un texte de Joseph Plaut, jeu d’acteur sidérant d’ironie, austère et mordant, usant de l’expressionisme outré d’un opéra de Kurt Weill et se terminant sur les cris « Hitler, Hitler ! », pour apostropher toutes les nations complices d’un conflit ô combien meurtrier qu’elles ont par cette guerre et la gestion funeste de la suite contribué à créer l’abomination ultime, l’apocalypse, le triomphe du mal, le mouvement perpétuel de la barbarie…


Lament est une œuvre pure, c’est gonflé, c’est assumé, c’est un véritable devoir de mémoire dans sa plus grande noblesse, c’est dramatique, c’est beau comme hélas parfois l’horreur peut le devenir quand elle est peinte par des artistes supérieurs !

 


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Keith Jarrett, the Survivor’s suite


ECM 1976


Suite en deux parties composée par Keith Jarrett, enlevée par Keith Jarrett (piano, saxo, flûte, célesta), Dewey Redman (saxo ténor), Charlie Haden (contrebasse) et Paul Motian (batterie et percussions)

 

Bon d'accord, 1976, on n'est pas dans la nouveauté…


Mais avouez que « the survivor’s suite » après la célébration de la guerre 14-18, ça a du sens.


En outre, pourquoi devrais-je m’interdire de parler de disques un peu anciens après tout ?


Ancien mais pas daté.


J’ai ressorti le vinyle pour le présenter à notre ami grand spécialiste du jazz, celui qui écrit des chroniques exotiques dans nos pages, qui à ma grande surprise ne connaissait pas l’œuvre en question.
J’ai installé la galette sur l’Acoustic Solid Wood MPX (préamp phono Vida Aurorasound, ampli By staCCato, enceintes Living Voice, câbles Absolue C) et nous avons savouré, dévoré en symbiose l’opus majuscule du début à la fin, sans un mot ou un commentaire mais en discernant bien que nous partagions une émotion essentielle.

The Survivor's Suite est un chef d’œuvre souverain.
Dans mon monde d’élection passionnelle, c'est « Le » Keith Jarrett, celui qui a relativisé quelques-uns des nombreux autres, celui qui a placé si haut la barre de ma perception du jazz que j’ai eu du mal à trouver mon bonheur ailleurs dans ce « genre » souvent autocélébré par une répétition navrante de codes fatigués.
Et probablement le disque de jazz, si c’en est, que j’ai le plus écouté à travers les années.

Après une intro mystérieuse, exotique et lancinante à la flûte à bec basse (jouée par Jarrett), percussions et contrebasse, commence le cœur du voyage fusant et indistinct de cartes postales allogènes, animées et féeriques ; et pas un instant l’élocution comburante d’une méditation éveillée ne faiblira, l’imagination, dopée par l’alliance de musiciens au-delà de la connivence, ne cessera d’asséner l’enchantement primitif au cours des deux plages de cette suite époustouflante au sens littéral du terme, envoutante, prenant à la gorge au plexus au cœur, conduisant l’auditeur dans les détours d’une ballade intrépide et absconse à travers toutes formes d’excitations, tourmenté, illuminé, irradié, secoué, étourdi, enivré, abasourdi, de couleurs, de sensations exquises, de contrées réelles ou inventées.

Fresque dense, touffue, coloriste, labyrinthique aux rythmes et enluminures variés, la Suite ondule de l'âpreté à la poésie, du sombre au lumineux, des enchantements de l'orient à la démonstration conceptuelle de l'occident via des transitions imperceptibles, des variations délectables en pure sensation comme l’eau d’un chaud orage d’été s’écoulant onctueuse des cheveux sur le visage, le cou, la peau, sensualité tourmentée stimulée par quatre artistes au zénith de leur verve.

Dewey Redman, au saxo ténor d’une esthétique si particulière qu’on se demande vraiment pourquoi ce musicien si intense sur cet opus hors norme, est trop rarement considéré à sa juste valeur, ici revisite allègrement toutes les influences, les essences, les styles avec une aisance tranquille et une beauté sonore, une dextérité sereine et un phrasé solaire d’une rare souplesse, alternant murmures sensuels et éclats barrés parfois abrasifs du free dans un même élan, des fulgurations qui s’enchainent sur tous les tons, les cadences, les envolées, et un porté de notes si singulier qui explique peut-être qu’après le quatuor américain, Keith Jarret formera son quatuor européen avec Ian Garbarek.
Jarrett, que ce soit à la flûte, au saxo et évidemment au piano, brille de toutes ses flammes, difficile de séparer sa vaillance animée, sinueuse ou piquante, mystique en quelques instants d’illumination inénarrable, de celle de Dewey Redman tant les errances sidérantes des deux musiciens se couronnent, se poursuivent, s’entrecroisent, s’illuminant l’un l’autre, un enchaînement superbe de liberté féconde, flamboiement d’une musicalité sans un instant de facilité, passages d’une architecture végétale, florale, minérale, cérébrale et animale complexe, enchevêtrement de puissance ignée et de flux d’une légèreté aérienne divine…
D’ailleurs, on ne peut séparer aucune des prouesses des quatre musiciens tant elles s'interpénètrent magnifiquement, un sommet de l’Interplay cher à Bill Evans : Paul Motian, très en verve et évitant tous les codes du genre, garnit tous les espaces libres, sa batterie aux timbres si reconnaissables chante et danse, tisse des ornements exotiques dans une lancée au moins aussi lyrique que ses trois complices, virevolte sous les roulés d’un fruité frissonnant ou les frappés glissés bâtissant en volubilité fourmillante une structure rythmique en évolution permanente, Charlie Haden détaché dans un tourbillon d’idées et de teintes, de nuances, de boisés sublimes, tourne, valse, groove autour du tempo, nous emportant dans une chorégraphie funambulesque qu’on aimerait ne jamais voir s’arrêter…
Et puis, il y cet instant de poésie pure, cette excursion frémissante où le temps arrête sa course, Charlie Haden en état de grâce, accompagné par le célesta tout en délicatesse angélique de Jarrett, nous maintient suspendus sur la lisière du vide à chaque note posée d’une inspiration vibrante, si sensible, oblongue, directement liée au cœur, la beauté du boisé sur un sillon de velours, pour nous retenir par la suivante, précipices oniriques qu’une Fée Clochette nous aide à franchir en apesanteur.

The Survivor’s Suite est l’expression adamantine d’un art atemporel, un classique aristocratique, bien au-delà des genres, qui ne subira jamais la moindre ride car chaque époque lui apportera son éphémère perception.

 


ETE : sad and beautiful, par Pierre-Yves DB


Sad and Beautiful

 

 


Andy EMLER piano
Claude TCHAMITCHIAN contrebasse
Eric ECHAMPARD batterie

Label La Buissonne

Par Pierre-Yves dB

 

 


 

Sur la table, une page blanche, immaculée, vierge de toute cicatrice, ignorant les lignes et  leurs secrets…

Plus loin, mais pas trop, la boîte à mots où l’on pêche au hasard le tout venant qu’il faut, à force, triturer un peu pour l’adapter à ce qu’on a tiré de la boîte à songes posée juste à côté.

Comme par un fait exprès, certains mots retravaillés, reconstruits avec application, ont une propension malsaine à se carapater, à se replacer n’importe où, de préférence dans les coins les moins visibles, les plus sombres et ça provoque un sacré désordre.


A portée de main, la boîte à signes divers : guillemets, tirets, parenthèses, cédilles, accents graves et drôles, circonflexes, génuflexes, virgules, points virgules, points tillés, points tout court, doubles, triples, stratégiques, points d’exclamation, d’interrogation, d'opination du chef, de suspension, de chute, de vue, de côté, d’orgue, de ralliement, embonpoints, bons points, mauvais points, points à point, points à point nommé, contrepoints, pointsalaligne, pointsfinals…

Et encore, la boîte à citations dont il ne faut guère abuser sous peine d’avoir l’air plus crétin que cultivé.

Et encore encore, la boîte à locutions du genre « et cetera » que l’on utilise à tours de bras dans tous les contextes, que l’on met à toutes les sauces, indiscutablement devenue une propriété de langage très chère aux mass médias et présentant l’énorme intérêt de n’en avoir aucun.

Donc deux boîtes à éviter si possible.

 
PERNAMBOUQUE

Un lieu magique situé quelque part au-delà des îles. Petite terre circulaire en forme de dôme léger, sur laquelle se succèdent, dans sa partie la plus basse, le Bairro Triste et, dans sa partie plus élevée, le Bairro Belo. A ce qu’on dit, les habitants du quartier triste sont souvent joyeux et ceux du beau quartier quelquefois tristes. A ce qu’on dit, ce serait comme ça depuis toujours.  


Bercé par les alizés, c’est le pays où poussent les archets.

Curieusement, les archets les plus longs, pour violoncelle et contrebasse, ne prennent racine et croissent que dans le Bairro Triste (J’ai interrogé Monsieur Tourte sur cette bizarrerie sans avoir de réponse), alors que ceux pour violon et alto on les trouve dans les deux quartiers. Peut-être est-ce une affaire de climat, mais allez savoir…


Sur les hauts de Pernambouque, il y a un endroit dénommé « Elégances ». Un genre de kiosque ouvert à tous, où l’on peut converser, boire un coup, même faire de la musique en se projetant sur le bleu et le blanc du ciel.

Ce jour là, Andy, Claude et Eric se retrouvent pour échanger des impressions, des humeurs, des doutes et des rêves. Comme le premier est pianiste, le second contrebassiste et le troisième percussionniste, ce sont des voix de bois, de métal et de peaux qui s’enlacent, s’entremêlent, se fondent, portées par la chair et le crin.


D’abord l’archet s’aventure sur la corde longue, manière d’arlequin équilibriste le nez dans les nuages, un pas en avant et un pas en arrière, figure à ravir le public oublieux de la plainte. Tout se joue sur les écarts, les résonances natives, les transparences juste ébauchées.

Après, c’est comme si une petite pluie, assez douce au début, brumisait l’âme avant de se muer en cataractes tellement lourdes et denses qu’on pourrait presque les malaxer, les pétrir. Réflexe de jardinier instinctif ayant la tête ailleurs.

Clair-obscur sur fond d’octaves bruissantes, se déclinant en spirales volubiles, en accords métisses jusqu’au hurlement.

Retour de l’arlequin triste précisément là où l’archet hésite et finit par s’évanouir au cœur de ses myriades.


- Arlequin trismégiste, Apollinaris genetrix, à la fois père et mère des étoiles -

Quelques poses rythmiques, très étudiées, de gymnastes ou de danseurs en noir et blanc passant vite sur un vague paysage.
La beauté innée des gestes se vit en consonances, en échos qui perdurent au-delà du gris. Comptine susurrée, à peine osée.
Petite suite en valse esquissée, tendre et fragile dans sa superbe.
Le féminin s’inverse au masculin.  

Réminiscences du vol tranquille des oiseaux amoureux du large.
Discussion à bâtons rompus, rompue par l’archet/arlequin pourpre qui glisse et glisse…
Se relèvera-t-il ?
Paroxysme du frénétique fantasmé et affirmation des genres.
De toute façon, c’est une histoire faite de ruptures, de revirements, d’apaisements endormis, de plaies et de bosses.


Elégances asymétriques qui nous effleurent comme le parfum d’une femme, pourvoyeuses de chimères dans un décor de spleen.
Elégances passagères, illusoires, nous gravant dans l’esprit le désir de leur renaissance.
Elégances amères aussi, hantées par l’arlequin triste quand l’archet se fait instrument de la révolte des hommes.

A ce qu’on dit, à PERNAMBOUQUE ou ailleurs, le beau est parfois triste et le triste parfois très beau.

A ce qu’on dit, ce serait comme ça depuis toujours.           
 


Farewell John


3 juillet 2013

 

ONPL dirigé par John Axelrod pour son dernier concert au titre de Directeur Musical et, compte tenu de l’ambiance entre l’orchestre et le chef, possiblement son dernier tout court.


Programme Wagner (Richard) et Carl Orff.


Les mauvais esprits y verraient évidemment un programme célébrant une sale période de l’histoire mondiale et donc une évocation peu subtile des rapports tyranniques entre un orchestre et son chef, tout en se demandant qui est le tyran. Mais pas moi, ça n’est pas mon genre.

 


Chevauché des Walkyries pour commencer.

Tiens, curieux, on ne m’avait pas dit qu’il existait une version sans les hélicoptères et les vierges hystériques qui crient très fort !

Oui, d’accord, je suis taquin.

Bon, proposé comme ça, un peu abruptement, cet extrait bodybuildé d’un opéra majeur devient un peu une scie pas vraiment bouleversante (et qui donne un peu raison à Woody Allen*), mais la proposition de Mister John se tient, nerveuse, rapide, puissante, je regrette un peu que la pluie des violons équins manque des effets vertigineux qu’osent les plus grands, de même que les cordes au sens large soient encore submergées par les cuivres malgré un avantage numérique avéré. Rien de rédhibitoire.
Une page d’orchestre foisonnante jouée avec brillant et précision.


Ensuite la Mort d’Isolde, ou Yseut ou comme vous voulez.

Début absolument superbe ! Le tapis de cordes ronronne magnifiquement, la tension s’installe idéalement, les tenues longues et croisées parfaitement agencées et le premier très lent crescendo est délicatement maitrisé, l’unité de l’orchestre rassure, la beauté sonore enfin au rendez-vous, c’est majestueux, frémissant, émouvant !

Bon, ça se gâte un peu ensuite et quelques flottements au milieu de cette homélie admirable rappelle que nous sommes à Nantes face à l’ONPL.
Pas grave, Axelrod reprend la main très vite, la battue ( très élégante, y avais-je jamais fait attention ? Ah oui, il n'utilise plus la baguette ! ) resserre les rênes conduisant avec gravité vers la fin tragique, certes pas aussi somptueuse que la première ascension, qui nous renvoie quand même à cette douleur paradoxalement triomphante ( Tranfisguration ! ) d’une femme emblématique du sacrifice amoureux !

L’inexcusable sonnerie d’un portable vient hélas couper la note finissante qui aurait dû précéder un beau silence…

 

Puis arrive le gros morceau ( il y a encombrement sur la scène, entre un orchestre pléthorique, un chœur complet, un chœur d’enfant et 3 solistes ! )

 

Carmina Burana de Carl Orff, cantate scénique profane et gaillarde, polyphonie dans sa plus simple expression mais orchestration euh… flamboyante ?

 

John Axelrod comme souvent amorce le O Fortuna comme un Grand Prix, mais l’option se défend évidemment !

La mise en place est impeccable, le chœur tiendra pendant toute l’œuvre les promesses du début : somptueux, limpide, enjoué, engagé !

Les tempi rapides sont rapides. Les tempi lents sont… rapides ! Enfin pas vraiment mais, quand même, je regrette que les quelques passages assez élégants d’une œuvre plutôt éléphantesque manquent de nuances, de contrastes, mais bon, l’ensemble est solide, pas de fausse note, un maintien de la cadence sans faille ; à défaut du raffinement (vous me direz, sur Carmina Burana… Pour autant, Jochum Prévin, Shaw, Mehta l’ont réussi !) on a le spectacle et je suis un peu affligé de constater qu’il faut en arriver à une pochade difficile (Carmina Burana) et les adieux de John pour que l’orchestre donne l’impression d’être vraiment uni, en place, chatoyant et heureux !


Interventions remarquables de joie paillarde de Thomas Mohr, baryton truculent, plus dans la comédie que dans la justesse, cautionnées par les sourires que le ténor décoche sans compter aux foucades de son collègue !

Agustin Prunell-Friend, le ténor en question, est tout aussi engagé, détimbrant à loisir pour atteindre le fausset grivois écrit par Orff, c’est casse-gueule, mais très réussi.

Myrto Papatanasiu (dans l’ordre d’apparition), soprano, est moins souriante (et si belle), plus austère, mais délivre le travail avec sincérité, une voix ferme et animée, un aigu qui corne un peu dans les passages difficiles, balayée par une impressionnante tenue de note sans la moindre perte de densité en dépit d’un quasi murmure ! Stupéfiant !


Final puissant, qui, à l’image de tout ce qui a précédé, est porté avec panache, la cadence a été soignée de bout en bout, les balancements rythmiques irréprochables (c’est quand même un des points forts de John), et les élans fougueux quasiment jubilatoires !

Tonnerre d’applaudissements. Faut dire qu’avec une programmation de ce genre, il n’y avait pas beaucoup de risque, mais la démonstration a vraiment été éclatante.


On arrive alors au moment de vérité où, après les longues salutations d’usage, John, en communicateur formé aux Etats-Unis, tend le bouquet de fleurs à une enfant puis, décidé sans doute à donner une petite leçon à l’orchestre en imposant un record probable de durée d’applaudissements, histoire de dire que son public le regrette déjà ( et ça, on ne saura jamais… ), entreprend de serrer la main de chacun des musiciens !

Heureusement qu’il nous a épargné les choristes, on est vieux quand même, on fatigue vite.


Le geste de John Axelrod est un peu emphatique, certes, provocateur probablement, mais pour autant, si on est content de voir que certains musiciens sont émus de l’adieu, je tiens à dire à ceux qui ont boudé le geste, quels que soient vos griefs, quel que soit votre talent, que c’est aussi un affront au public, qui, dois-je le répéter, via ses tickets, abonnements et impôts, représente quand même votre gagne-pain !


*vous ne connaissez pas la citation de Woody Allen ?

Il y en a une autre, dont j’ai oublié l’auteur et qui dit en gros : l’orchestration de Wagner, c’est écraser une mouche avec un rocher.

Je ne suis pas d’accord ! Mais alors pas du tout !

 



Folle Journée 2014


2 février 2014


Une nouvelle édition de la Folle Journée vient de s’achever.

Le thème ?

Des Canyons aux Etoiles ou l’Amérique au sens large.

Je n’ai certes pas pris beaucoup de concerts cette année, emploi du temps oblige, mais je suis très satisfait de ma sélection après coup.


Je vous la détaille dans l’ordre chronologique, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.


Premier concert pour moi, le Quatuor Tana, (connais pas…), nous a présenté deux œuvres radicalement différentes :

Elliot Carter : Quatuor n°5.


Le premier violon nous explique qu’on peut assimiler les différentes variations de l’œuvre à ces instants, lors des répétitions, où chaque musicien s’immerge dans sa pensée, sa concentration, ses doutes, n’écoutant pas forcément ce que font ses collègues.

Mouais, bof.  Je ne crois pas que ce soit essentiel. Or, ce genre de mode d’emploi détourne probablement de l’essentiel, la force propre de l’opus qui, ici, est absolue, s’auto suffit sans verbiage.

Pièce âpre, radicale, violente parfois, rarement douce, bigarrée de fulgurances, éclats, clusters, cris ou miaulements parfaitement cadencés, inattendus, sans la moindre redite, on chevauche à cru sur les timbres des instruments, qui parfois saturent tant ils sont éprouvés par l’exercice…

C’est passionnant même si, ayant un peu oublié l’œuvre, je me demande si les membres du Tana sont capables d’autre chose que de scier leur manche !

Eh bien oui ! Ils le prouvent dans le Quatuor n°3 de Philip Glass, dit « Mishima », où, en total contraste avec leur précédente offre, les musiciens ne sont que ductilité, souplesse, élégance, raffinement du boisé et des couleurs, douceurs élégiaques, ils nous emportent dans cette fascination répétitive et pourtant si variée, ne s’attardant jamais sur aucune des manies glassiennes, assumant la pure beauté, sans exagération sans afféterie, au premier degré de la plastique comme ils l’étaient précédemment du grincement.


Superbe, avec en prime le spectacle d’un alto un peu tendu, à la recherche permanente du soutien des autres…
Ah oui, petite particularité : les musiciens suivent leur partition sur des I-Pads dont le défilement est commandé au pied ! Amusant.


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Le Trio « Les Esprits » nous propose du Bloch et du Stravinsky.


Trois Nocturnes pour le premier et Divertimento pour Violon et piano et la Suite italienne (d'après Pulcinella) pour le second.


Adorable, très racé, subtil, particulièrement le piano d’Adam Laloum, un artiste à suivre décidément, ce soliste magnifique prouve ici qu’il est aussi un chambriste exemplaire, ne s’autorisant jamais à prendre le dessus préférant couler des ondes sinueuses, voluptueuses, sous les élans de ses collègues, que ce soit en trio ou en duo, un chouette programme, des musiciens qui racontent l’essentiel avec une plénitude totale, une douceur constante, même dans les fusées stravinskienne, de la musique simple et directe, formidable !

Une violoniste audacieuse parfois légèrement dépassée par l’œuvre mais s’en sortant magnifiquement et avec le sourire : Mi-Sa Yang.
Un violoncelliste un peu plus académique, au son pas toujours superbe (l’estrade ?) mais équilibrant adroitement verve et effets : Victor Julien-Laferrière.


Puis, un concert que nous (euh, j’ai ?) choisi pour l’artiste plus que pour le pro-gramme : Nicola Benedetti (écoutez ses Szymanowski !) joue le concerto pour violon de Korngold accompagnée par Kantorow et le Sinfonia Varsovia.

Mouais…

La belle ne manque pas d’allure (c’est le moins qu’on puisse dire), ni d’aplomb, elle impose une sureté du trait splendide de justesse et plasticité, hélas un peu au service de pas grand-chose, et pas aidée par un orchestre aux sonorités incritiquables mais dépourvu de passion et un chef pas vraiment impliqué non plus.

Bon le concerto n’est pas une œuvre inoubliable mais quand même, certains en ont tiré mieux, Heifetz, Korcia par exemple.

La scie inutile « La liste de Schindler » sera pire, où vraiment seule l’autorité naturelle de la magnifique Nicola (qui, comme son nom l’indique, est écossaise) évite l’ennui total.

Aucun autre intérêt, une artiste probablement de haut vol s’éreintant sur de la variété.


Suivra un « Americain à Paris » sans ferveur, le seul américain des années 20 qui n’a pas le sens du rythme apparemment, c’est gentil mais totalement dépourvu de la moindre idée de ce qu’est le swing, comme un choc insurmontable de culture !


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Quatuor Pražák,

Juliette Hurel, flûte,
et une pianiste que je nommerai pas,

nous ont proposé du Martinu :

Une sonate Flûte / Piano que je ne connaissais pas et que je ne connais toujours pas car, en dépit des tentatives insistantes d’une flûtiste probablement nuancée, nous avons eu droit à un tournoi de chevaliers en armure, le piano oscillant entre forte et super trop forte tout le temps, et à une allure de TGV, contraignant la délicate Juliette à transformer la flûte en biniou.

J’ai failli hurler à la dame au piano qu’elle n’était pas toute seule, « regarde, sur ta droite, il y a une flûtiste souriante qui essaye la poésie dans ce fatras mécanique »…

Bon, on aurait pu lui accorder le bénéfice du doute, supposer que ces deux dames n’avaient pas réussi à se caler lors des trop brèves répétitions

Le problème est que la charge de cavalerie allait recommencer en agressant un Quatuor Pražák bien trop élégant pour cesser de sourire, même si on sentait une certaine crispation du côté de l’alto et des grimaces de souffrance du second violon qui prenait quelques méga décibels dans les oreilles.

La matrone s’est un peu calmée dans le second mouvement, l’adagio de fait plutôt beau. Pour autant pas un instant de phrasé dans les tambourinages de la pianiste et on ne peut accuser l’instrument qui la veille sous les doigts d’Adam Laloum n’était que malléabilité et pluie de timbres.

C’est d'autant plus regrettable que, dans les rares instants où le piano n’a pas de place, tout se détendait soudain et on retrouvait le plaisir à frémir sous les caresses de cette superbe machine à musique parfaitement huilée qu’est le Pražák, perfection du jeu, du ton, des variations exquises, proposant une option suave à une œuvre que l’on peut connaître moins lumineuse, pour ce que j’ai pu en deviner sous le bombardement du piano.

Suis sorti en colère, pestant bruyamment au grand dam de mes compagnons d’infortune qui étaient moins agacés que moi et m’exhortaient au calme, non, certainement pas !…
… Et nous avons rejoint la salle 800 places pour un concert qui, fort heureusement, était irréprochable autour d’un programme pourtant pas évident :


Orchestre de Pau Béarn (c’est drôle, ça ne sonne pas comme Philharmonique de Berlin, ou Chicago Symphony Orchestra…) dirigé par Fayçal Karaoui.

Dutilleux, Métaboles


L’évolution des phrases, lente, en fondu-enchaînés, restructurant patiemment et labyrinthiquement des paragraphes musicaux sinueux est à la fois foisonnante, colorée, privilégiant tour à tour les différents pupitres pour exploser dans un regroupement final triomphant, exprimant un art des variations consommé en une sorte de vaste concerto pour orchestre magnifiquement servi par une phalange dont on sent qu’elle prend un plaisir fou à jouer devant nous.


Bon, on se coltine à nouveau La Liste de Schindler, aussi inutile que la première fois, si ce n’est qu’il est intéressant de constater une différence d’approche radicale : ici la partition de violon est confiée au premier violon qui, n’ayant évidemment pas l’autorité naturelle, la profondeur de son et la richesse vibrante de Nicola Benedetti, préfère se fondre dans un orchestre nettement plus inspiré, plus mouvant, émouvant que la veille, rendant la page plus supportable.


John Adams ensuite : the chairman dances.


En un mot, c’est jouissif !

Karaoui entre dans le vif du sujet dans un balancement rythmique idéal, swinguant à souhait pour ce parcours touffu, incisif, original, parfois difficile mais si entraînant, si immédiatement parlant, n’ayant pas peur de tourner autour de la note, sourire, déambuler dans cette partition ingénieuse qui, comme souvent chez les américains, est plus compliquée qu’elle en a l’air (pas la liste de Schindler toutefois).

L’orchestre exulte, ose, joue les contorsions successives nécessaires avec une aisance concertante, bravo, vraiment, d’autant que la barre restera haute dans la pièce suivante du même Adams, Short Ride in a Fast Machine

Un vrai moment de bonheur, une musique luxuriante et positive dans une salle dont l’acoustique très mate (j’adore) met l’orchestre à rude épreuve, nous reliant directement au timbre, au grain, à la matière, sans réverbération arrangeante, mais permettant aussi des forte hallucinants sans aucune fatigue ou crispation et en conservant une lisibilité rêvée de chaque instrument.



Puis, après un rapide sandwich servi par une version blonde et un peu schématisée de Salma Hayek (je scénarise un peu le déroulement de la soirée) vient le gros morceau (à 22 h 15 ! ) de l’année dans la même salle :


Messiaen : Des Canyons aux Etoiles


J-F Neuburger, piano
T Némoto, cor
D Ciampolini et F Jodelet, percussions

Orchestre Poitou-Charentes (pas un nom super glamour non plus mais ils ne nous ont jamais déçus !) dirigé par Jean-François Heisser (et son accablement permanent) qui ne nous a jamais déçus non plus, c’est le moins qu’on puisse dire !


Comme le titre l’indique, l’œuvre brosse une lente (1 h 45 !!!) élévation des Canyons vers les Etoiles en passant par des chants d’oiseaux si chers à Olivier Messiaen.

Il faut réussir à pénétrer cette œuvre difficile d’un coloriste qui semble refuser la composition et la mélodie par un jeu obscur et en trompe-l’œil de teintes, de redites, de retours, de fluctuations, de reflets dans des miroirs, mais assez vite je crois, on entre en transe dans ce flux et reflux bâtis de répétitions qui n’en sont jamais vraiment, des cellules dont l’ordre, la structure et les tons s’entrecroisent, se choquent, se dissimulent sous quelques leurres qu’on aimerait parfois entendre plus longuement, ponctués d’interventions époustouflante de violence et de subtilité d’un piano puissant et d’une intervention émotionnellement chargée d’un cor qui varie les couleurs, les effets, descendant parfois vers la frontière floue de l’inaudible avec une sensualité primale.

Cette déstructuration et répétition apparentes de blocs touffus hypnotise, lamine le cerveau, anéantie toute résistante et s’imprime dans les neurones pour le reste de la nuit.

Œuvre éprouvante, elle ne craint pas les effets de science-fiction, certes un peu datés, pour nous guider dans un labyrinthe mystique d’une force dérangeante.

Un chef d’œuvre sculpté avec minutie par des musiciens concentrés, généreux, inspirés, manipulés par un Heisser décidément toujours aussi méticuleux, précis, sombre aussi, un corniste humble et un Neuburger d’une totale dévotion à la musique.


Un moment très très rare, probablement unique dans une vie.

On sort de l’épreuve éreinté, bousculé, épuisé comme après un vol dans les étoiles je suppose.
Merci à la Folle Journée pour cet instant-là au moins.



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Dimanche, je vais devoir raccourcir un peu ma journée, un agréable rendez-vous me privant d’un concert et la paresse d’un autre.

Bon début, et même jubilatoire, au Lieu Unique en compagnie des gamins de l’ensemble régional de percussions des Conservatoires de Nantes, La Roche et St-Nazaire qui vont oser des arrangements survoltés de Frank Zappa.


Une formation à géométrie variable de 11 à 13 percussionnistes changeant fréquemment de postes parmi les 27 sur scène, marimbas ou xylorimbas, xylophones, bref des idiophones divers, glockenspiels, timbales, cloches et cloches tubulaires, une batterie et j’en oublie pour nous asséner un discours solide, varié, jonglant avec parfois quelques ratés dans les variations rythmiques délirantes et farceuses de Zappa, ça dérape un peu certes, mais c’est si sincère, si authentique, si riche et si vigoureux qu’on s’en fout complètement, c’est un moment de partage et de bonheur entre les gamins un peu rougissants et un public venu ici pour s’amuser !

Je regrette qu’ils n’aient pas tenté the Black Page, mais je comprends aussi pour-quoi : c’est une page probablement trop exigeante pour des jeunes batteurs, même vaillants.

Voilà : du divertissement brut, uppercuts balancés par des gamins s’amusant d’une musique pourtant ardue, magnifiquement adaptée car ne trahissant pas le grand Zappa, certes iconoclaste et ravageur mais musicien d’exception, perpétuant au contraire sa mémoire avec panache.


J’ai laissé passer Anne Gastinel et Claire Désert, j’ai sans doute eu tort mais la cause était joyeuse.


Puis rendez-vous de nouveau au Lieu Unique, dans une petite salle, pour la suite et fin en ce qui me concerne.


Un curieux dispositif nous attend sur la scène, 6 chaises pour un quatuor, des tam-tams (ou des gongs, je ne vois pas bien dans la foule), des verres d’eau, des micros.

Entrée du Quatuor Diotima, ils sont bien sympathiques, simples.

Je les avais vus à Paris, dans le si beau théâtre des Bouffes du Nord, où ils avaient joué le quatuor inachevé en cours d’achèvement de Boulez (d’une force inouïe soit dit en passant…) et le dernier de Beethoven.

Sur le programme est inscrit Steve Reich mais le jet d'acide qui nous assaille comme une lame de tronçonneuse à travers le crane, c’est du Crumb pur jus !

Black Angels.

L’œuvre ne débande pas une seconde.

Je ne sais pas quel est le mot pour désigner ce qui plus cru que cru, mais la première partie de ce morceau de bravoure l’est sans doute ! Les instruments sont torturés, triturés, les sons saturés par des effets de micros et de chorus électroniques, retournés aussi parfois pour jouer (la jeune fille et la mort ?)  manche en bas (des résidus de surréalisme ?), les arches frottent les tam-tams, les harmonicas d’eau, des tubes de verre ou des dés à coudre heurtent les cordes, des maracas, des chiffres ou borborygmes murmurés ou criés dans les micros des violons…

C’est d’une audace exploratrice et expérimentale sans limite, c’est absolument ahurissant, en invention permanente, c’est formidable, prenant, poignant, provocateur, incisif, au point que les épisodes murmurés (instruments retournés) sont apaisants et sensibles, trop brefs, un répit d’une poignée de secondes dans cette guerre inhumaine.

Diotima joue la partition très très difficile avec sérieux mais sans aucune posture, aucune de ces mimiques parfois ridicules d’une concentration plus jouée que réelle, rien ne nous sépare de la crudité d’une œuvre qui parle d’hélicoptères au Vietnam...


Suit l’adagio de Barber dans sa version réduite…

C’est vraiment pour sacrifier au genre. Diotima nous propose une version bien faite, dans un vibrato sensible, un tempo lent, une réserve bienvenue, mais après Crumb c’est, euh, comment dire… Plat ?


Puis après une longue et intéressante explication de la suite du programme par l’alto, vraiment très aimable, sobre et enjoué, commence le Reich : Different Trains.


Mélange des musiciens en live avec une bande son construite autour d’interjections de voix dont celle de la nounou de Reich et d’un enregistrement de parties entières pour quatuor à cordes, cette œuvre majeure qui passe de l’enfance de Reich traversant les Etats-Unis à la Shoah et l’exil des survivants vers les Etats-Unis, est racontée par Diotima avec une sensibilité constante, une intelligence et une probité idéales, présentant habilement les évolutions rythmiques et coloristes d’une page en mouvement perpétuel… Aussi, nonobstant la mauvaise qualité de la sono, est-ce beau à pleurer, un instant de perfection et de cœur.



Je choisis de m’abstenir du dernier concert dont j’ai le billet en poche, préférant rester sur cet instant supérieur.

D’un programme que j’avais craint un peu palot à l’annonce du thème de l’année, j’ai eu le bonheur de traverser quelques beaux paysages de la créativité contemporaine, où nous ont été épargnées les inutiles redites d’une musique faite de clusters et d’idées éculées (Kernis ?) pour au contraire nous présenter des univers aussi forts les uns que les autres mais très différents, très personnels, très novateurs de musiciens à l’identité unique tels Messiaen, Carter, Reich, Glass, Crumb, Zappa, Adams, Dutilleux !


Des instants de musique rares et inoubliables !


Bravo et merci.


Au lieu de nous refaire une année baroque, peut-être une année sans thème, une année libre, ou une année dédiée aux contemporains de toutes nations, mmmhhhh ?


Folle Journée 2017


6 février 2017

 

Les Folles Journées 2017 dont le thème était LE RYTHME DES PEUPLES

 

Vaste programme.

J’ai personnellement trouvé qu’un aussi beau thème avait été un peu sous-exploité et que la programmation s’était égarée dans quelques complaisances, mais j’admets aussi la difficulté paradoxale de devoir ratisser large en audience et musiques et artistes.

Et puis je suppose que la jauge finale donne raison aux organisateurs.

J’ai toutefois l’impression d’une légère baisse de régime et d’humeur, y compris dans les équipes et les couloirs, les coursives. Problèmes politiques entre mécènes et organisateurs ?

Petite année pour moi, en quantité de concerts au moins, j’ai eu un peu de mal à pointer des instants qui auraient pu m’intéresser, exercice d’autant plus compliqué que je dois respecter les horaires du magasin.

 

Premier concert le samedi soir, dans la salle 800 places que j’aime beaucoup :

Percussions japonaises, par Eitetsu Hayashi et l’ensemble Fu-Un no Kai.

L’art du Wadaiko à son sommet !

Dès l’entrée dans la salle, on est immédiatement fascinés par ces grands tambours, trois taïko(s), deux Nagado Daiko disposés sur la scène encadrant un énorme Odaiko (euh...).

Les cinq percussionnistes, en tenue traditionnelle revisitée, entrent dans la pénombre portant leur Okedo Daiko et commence un spectacle total: sonore ou visuel, musical et scénographique ; il sera envoutant de bout en bout. La complexité musicale, par les types d’instruments, les timbres, les rythmiques, les enchaînements abruptes, initiés ou ponctués par des exhortations vocales diverses, de murmures à cris, qui rapprochent cette science des arts martiaux, tout autant que la chorégraphie très souple et gracieuse des percussionnistes, ne laisse pas un instant de répit.

La précision et la minutie des quatre condisciples de Maître Hayashi sont fascinantes, résultat d’une discipline extrême, permettant à ces percussions très riches des variations dynamiques incroyables, du bruissement du vent à la déflagration du tonnerre, offrande à un panthéisme poétique et expressif d’une grande intensité physique et spirituelle.

La prise de possession de l’espace, les ancrages au sol des artistes sont époustouflants, particulièrement lorsque Hayashi assaille son Grand Tambour dans des gammes de puissance et couleurs infiniment déclinées, révélant la nécessité d’une santé athlétique (et une impressionnante musculature, partagée par les disciples) pour frapper comme à coups de haches parfois la peau tendue sur la barrique géante, les bras levés pendant plus de dix minutes et en faisant sur certains impacts reculer l’instrument qui doit peser au bas mot deux cents kilos et je crois que je vise bas.

Au-delà de la beauté musicale, de la plasticité de l’ensemble, comment ne pas être admiratif de la performance physique des interprètes, avec une mention pour Mikita Hase, dont l’ampleur des gestes, les positionnements de tête, les aphélies chorégraphiques sont des plus élégantes.

Ici le rituel offert à un autel de nature et tradition est parfaitement respecté, évitant l’écueil de certaines représentations pour touristes et je retrouve le plaisir et la fascination que j’avais éprouvés la première fois que j’avais assisté à telle démonstration dans la cour d’un temple au Japon il y a, ouh là… plus de trente ans, avec ici un contraste accru entre la grâce et la violence du fait de vivre cette musique « indoor » et une particularité dont je n’avais pas le souvenir dans ce genre de musique : la sensualité d’un swing captivant.

Est-ce l’évolution d’un art remontant à si loin qu’il a précédé tous les autres dans sa matière formelle et figée ?

 

Un très grand moment ! Un souvenir fort pour longtemps.

 

Quatuor Psophos ensuite, nous proposant deux œuvres radicalement différentes, à savoir le Quatuor n°2 opus 56 de Szymanowski et des extraits du John’s Book of Alleged Dance de John Adams que je ne connais pas.

 

Superbe opus de Szymanowski, l’œuvre est ici magnifiquement servie par des musiciens sachant parfaitement opposer l’alacrité sombre d’instants forts et modernes osant la dissonance et l’arythmie à d’autres d’une mélancolie accablante en ouvrant toujours sur un paysage de timbres d’une grande beauté. Formidable ! L’entente entre les musiciens est souveraine et l’équilibre des expressions absolument idéal, l’œuvre bien sûr, mais aussi la mécanique huilée d’un groupe complice et soudé.

Le John Adams me passionne moins ; amusant, sautillant, très typé, soit, mais je me prends moins au jeu, sans que le Quatuor Psophos y soit pour quoi que ce soit. Rien à reprocher à leur belle performance.

 

Enfin, samedi soir tard, après une belle cavalcade dans les couloirs pour atteindre le grand auditorium où nous attend une succession de scies populaires qu’on connaît parfois par cœur sans se souvenir où et quand on les a entendues, proposées par l’Orchestre (et le Chœur) National de Lettonie (dont quelques musiciens sont venus me rendre visite au magasin jeudi matin, très sympathiques !) sous la direction de leur chef, Andris Boga, un jovial bonhomme qui transmettra sa prévenance débonnaire à ses interprétations détendues et enjouées.

Mais le long spectacle commence par une œuvre pour percussions proposée par un ensemble de musiciens à géométrie variable baptisé AdONF (très drôle), écrite par l’un d’entre eux, Didier Benetti.

Oui, bon… Le problème, c’est qu’on sort de l’hallucinant et poignant spectacle des japonais dont la méticuleuse discipline renvoie ce sympathique quartet au rang d’amusement, d’autant que l’œuvre, plutôt intéressante, est jouée sans le début du commencement de swing… On écoute sans déplaisir évidemment, les cheveux blonds et défaits de la dame illuminent la scène, soit, mais mon épiderme vibre encore de la perfection du début de soirée…

Puis commence la succession des « tubes » du classique qui sans doute ont pour but de bien expliquer le thème de l’année, « Le Rythme des Peuples », excellente initiative donc que de rassembler des pièces d’horizons divers, mais dommage dans ce cas de ne pas avoir inséré une page de Bernstein par exemple.

Allons-y :

- Saint Saëns, Bacchanale de Samson et Dalila, interprétation diserte et voluptueuse, soulignant avec saveur le mélange allègre d’influences exotiques bariolées, de l’Espagne au Maghreb, et révélant un orchestre joyeux, parfaitement synchrone et luisant de belles couleurs.

- Du même Saint Saëns, un Rondo capriccioso pour violon et orchestre un peu moyen, sans doute parce que Alexandra Conunova plante quand même dans nos nerfs fatigués des banderilles de fausseté à divers instants très exposés alors que, paradoxalement, elle franchit en toute aisance les passages virtuoses. Il semblerait que cette soirée dite de « répétition » ait été suivie le dimanche d’une représentation idéale.

- Khatchatourian (ne boudons pas le plaisir, ce sont des hits qu’on ne nous propose pas tous les jours) ensuite : la Valse célébrissime de Mascarade et la Danse du Sabre (Gayaneh ? J’ai un doute…). Ici aussi, une cadence endiablée, une exaltation communicative, des teintes éclatantes, un bonheur partagé, et ce moment très bref de calme dans la danse, porté par un saxophone anachronique, eh oui, j’avais oublié précisément ce « paradoxe » culturel !

- Liszt, une Totentanz majestueusement servie par Nelson Goerner au piano, une frénésie musicale rugissante, redoutable de virtuosité, de nerf, de cœur, j’aime décidément beaucoup ce chef débonnaire et « son » orchestre dont on sent à chaque instant le plaisir de faire plaisir.

- Brahms, des Danses Hongroises prise avec distance, un brin de plaisanterie, plus Tex Avery que Brahms et c’est une excellente idée de garder le sourire, trouver des glissements rythmiques, accentuer une phrase, en rajouter un peu pour dans les mesures suivantes contenir le ton, lui donner par contraste une grâce délicate, procurant de forts moments de bonheur épicurien encore.

- Et, pour finir, Borodine, les danses polovtsiennes, prises, comme tout le reste d’ailleurs, à un rythme d’enfer, éclatant de couleurs, de teintes mordorées, d’éclats de bijoux, tout brille ici, cordes, bois, cuivres, percussions et le chœur n’est pas en reste. La puissance déchainée n’empêche pas l’orchestre d’imposer des nuances tonales superbes, des gammes de couleurs de pastels à intenses…

Quitte à donner dans la musique de variété, il fallait aller jusqu’au bout : l’Orchestre de Lettonie ne s’en est pas privé, allant même jusqu’à nous offrir l’introduction de Carmina Burana en premier bis et une reprise d’une Danse Hongroise en second.

Générosité, détente, humour et talent au rendez-vous ce soir, ramenant à l’esprit premier de La Folle Journée, faut-il les Lettons pour le rappeler ?

 

Dimanche, deux concerts seulement.

Nouveau rendez-vous avec AdONF.

Passé un Tombeau de Couperin arrangé pour xylophones joué par 3 percussionnistes deux hommes et une (jolie) femme (la dame blonde d’hier soir mais dont cette fois les cheveux sont relevés), pas vraiment passionnant, qui semble surtout un moyen pour les musiciens de sortir l’instrument de ses carcans mais n’apporte pas grand-chose à l’œuvre, nous aurons droit à des moments de musique voguant de :

- élégant : Toccata d’Anders Koppel, à

- drôle et original : Musiques de Table de Thierry de Mey où 3 compères (pas tous les mêmes qu’au début) deux hommes entourant la (jolie) dame dont nous ne connaissons pas le nom, assis devant une table en bois, vont nous « jouer » avec beaucoup de concentration mais sourire aux lèvres une performance ardue composée de frottements, coups d’ongles pointés et diverses frappes de la paume ou du dos de la main dans des combinaisons complexes, cocasses, impressionnantes, en suivant scrupuleusement une partition que j’aimerais bien voir pour admirer les signes utilisés.

- entraînant, agile et pour le compte empreint de swing : Trio per Uno de Nebojsa Zivkovi, performance à trois encore (dont la dame) autour d’une grosse caisse bordée de diverses petites percussions, caisse claire et idiophones. Chouette

- amusant, exigeant et décontracté avec une dernière œuvre pour claquements de mains à rythmes croisés enlevée dans la bonne humeur et la complicité car la dame semble varier ses frappes sans doute pour éviter la douleur, au grand amusement de ses camarades.

Ça aussi, c’est le ton de la Folle Journée : on ne se prend pas nécessairement au sérieux, on partage tout, on participe. Bravo et merci pour ce moment de gentillesse et générosité.

Et pour finir, Olivier Charlier au violon, Nicolas Baldeyrou et Emmanuel Strosser nous ont interprété :

- Stravinsky, L’histoire du Soldat, qui s’appuie idéalement sur un violon grinçant ne nous épargnant pas quelques erreurs de justesse toutefois, une clarinette virevoltante et un piano harmonisé un peu rond pour cette œuvre où on l’aurait voulu plus percussif mais c’est aussi le jeu à jouer sur ce genre de manifestation où l’interprète ne choisit pas forcément son instrument. Le jeu de Strosser cependant est à la fois guilleret et justement mutin.

- Bartok, Danses populaires, le violon reste un peu trop sur le crin, ce qui est moins justifié ici que dans le Stravinsky et accentue le contraste entre violon et piano enterrant un peu ce dernier. Dommage

- Leo Weiner, deux pièces pour clarinette et piano où je vais regretter que l’aspect « tzigane » ou en tout cas folklorique ne soit pas totalement assumé, certes au profit d’une virtuosité incritiquable, mais à laquelle manque l’étincelle rustique qui transformerait la performance en plaisir fort.

- Bartok, Contrastes pour violon, piano et clarinette, où là au contraire tout est parfaitement à sa place, une œuvre majeure de Bartok, difficile, ardue même, brillante, d’une inventivité de tous les instants, flamboyante, colorée, et exigeante, un instant de génie musical sans concession à la facilité que les trois musiciens vont enlever dans une ardeur irréprochable.

Une excellente façon de clore une année en demi-teintes.

 


Journal intime : extension des feux


JOURNAL INTIME

Extension des feux


Par Pierre-Yves DB


Label NEU KLANG

Compositions de Frédéric GASTARD

Journal Intime Trio

Sylvain BARDIAU - trompette
Frédéric GASTARD - saxophone basse
Matthias MAHLER - trombone

&

Marc DUCRET - guitare
Vincent PEIRANI – accordéon  


Au seul aperçu du titre de l’album « Extension des feux », dernière création de JOURNAL INTIME, j’imaginais Fred GASTARD en bleu de chauffe, arc-bouté sur son saxe basse tel un Vulcain moderne, rugissant des volutes de braises et de cendres mêlées, allumant partout des incendies plus ou moins volontaires avec une jubilation non dissimulée.

Souvenir assez prégnant des concerts de TOWER 1 et de TOWER-BRIDGE, formations organisées par Marc DUCRET, où il instillait jusqu’à l’overdose un groove incandescent, expression de son sens phénoménal du tempo et de l’accentuation.
Dans la confrérie des lanceurs de pétards, Matthias MAHLER, acteur très actif de ces deux aventures, n’était pas en reste, capable lui aussi, j’en atteste, d’enflammer n’importe quel pupitre de soufflants et son voisinage immédiat.

A 1ère vue donc, il devait s’agir ici d’un authentique brûlot, pour peu que Sylvain BARDIAU, Marc DUCRET et Vincent PEIRANI aient de leur côté décidé de mettre le feu aux poudres. Ce que tout laissait présager…    

Voilà, je m’installe, une bouteille d’eau à proximité, faute d’extincteur, pour parer au risque d’être consumé sur place et je lance l’écoute en espérant arriver intact au bout des trois suites proposées (encore 3, c’est une manie).


Orage à Tonnerre (ça promet)
      
Introduction en forme d’ouverture cuivrée, d’une étrange beauté, déclinant sur un ostinato de métal (anches de PEIRANI) et finissant par un léger grondement évocateur d’inquiétude.
Lente mélopée mariant guitare et trompette sur une trame d’orgue tenu à six mains (accordéon -trombone - saxe). Sentiment d’attente quasi intimiste.
Emancipation des teintes dominées par la flamboyance du cri. Jeux de répons comme des éruptions/éructations chavirant dans un vertige de boucles furieuses.
Bégaiements d’odeurs sur fond de marche clopinante qui accélère et accélère jusqu’à trouver le tempo.
Groove ponctué des rires de la cohorte avant qu’elle reprenne haleine dans un rêve de silence. 



Chroïd

Entrée du derviche au cœur du cercle processionnel fiévreux et entêté, au bord du collapsus. Final somptueux du 1er mouvement.
Successions anarchiques d’espaces et de haies dans un ciel de lave. Fanfare égarée à la recherche de l’accord parfait qui, une fois découvert, se désagrège.
Chœur vaguement soul plein d’échardes. Alternances rage/douceur en jeux d’aller-retour. Funk incantatoire balbutiant un passé futur dans la langue des étincelles.

Les 38 Lunes

Balade impressionniste dans l’Eden multicolore, obsédée par le réveil de la bête. Course éperdue s’achevant en farce racontée en même temps par plusieurs voix et laissant des traces rituelles en forme de tâches orange.
Instants où la musique se fait matière qu’on étire, qu’on triture. Quand le rythme-vie naît du souffle, phrases modulées comme des éclats de chant, en écarts découpés à la lame de l’indifférence barbare.
Effleurements et fuites, retrouvailles sur fond d’obscur. Paix très fragile, très…  


50 minutes plus tard, ou à peu près.


Je n’ai pas vu le temps passer, pas un moment de fléchissement, passionné de bout en bout…et physiquement intègre, enfin il me semble.

J’hésite à utiliser ce terme, tellement galvaudé ces jours-ci : polymorphe.
Il m’apparaît pourtant parfaitement définir un « son d’ensemble » qui serait comme l’empreinte de ce JOURNAL INTIME augmenté (DUCRET + PEIRANI).
La fusion (dans tous les sens) est évidente. Si l’ouvrage porte bien la signature de Frédéric GASTARD, l’implication de ses partenaires dans la réalisation globale du projet est telle qu’on jurerait qu’ils ont tous le même ADN.

Comme quoi, parfois, le talent se mesure au taux d’humilité.

Pas d’explosion brutale, outrageusement annoncée ou mise en scène par un quelconque monsieur Loyal se trompant d’endroit et d’époque.
La liberté engagée et revendiquée hors des chapelles brille de ses propres feux sans jamais avoir à se réclamer d’une mouvance ou d’un genre.
La granulation des timbres, le chatoiement des reflets et des couleurs, les subtiles textures harmoniques et rythmiques, la richesse des variations, la puissance des intentions, l’urgence des propos s’articulant en mots-notes comme autant de flashes, l’évidence des climats superposés, les nuances habitées s’expriment sans fard et viennent percuter un monde chloroformé par les vaines redites.  

« Extension des feux » à comprendre aussi, peut-être, comme devenue possible par l’abolition des barrières, des frontières inventées de toutes pièces.
Les lueurs intérieures cheminent alors et se propagent au gré des contrepoints pensés en autant de passerelles reliant les images aux songes.  
Certes, les sentiers empruntés ne sont pas faciles et s’arrêtent souvent net au bord du précipice. Pourtant on ne ressent aucune frustration tant la rupture est elle-même partie du verbe et participe au charme, comme le soupir, comme le non-dit, comme la pause après le geste.    


Chapeau bas, messieurs et un immense merci.    
 

une clémentine inoubliable


Novembre 2010

 

La flûte enchantée par René JacobsNIN et Johnny CashDM Sith


Par Alain

 

Ce n’est pas si fréquent qu’une jeune femme seule pousse la porte des magasins de hifi.


Hélas.

La technique ne les intéresse pas, dit-on. Je ne sais pas, c’est possible. Le matériel surement pas pour la plupart en effet, ce en quoi elles ont bien raison : ce n’est pas intéressant. Seul le résultat devrait compter.
Pour autant, peu de jeunes femmes admettent qu’il est nécessaire quand même d’avoir un beau système de reproduction pour comprendre la musique ou, à tout le moins, ne pas trahir le sens voulu par l’interprète. Je les aime beaucoup (les femmes… ah oui les interprètes aussi, surtout quand ce sont des femmes !), mais je ne suis pas forcément toujours d’accord avec elles. Même si je déteste les généralisations…


Donc, s’il est rare qu’une jeune femme pousse la porte d’un magasin de hifi, c’est encore plus rare que ce soit une très charmante demoiselle !
Suis-je avare... Une jeune femme craquante à faire douter un bataillon de moines !


- Et Mozart alors ?
- Ça vient, ça vient !


Ce n’est même pas moi qui l'ai accueillie, cette vertigineuse demoiselle (vraiment très grande !) accompagnée d'un tout petit chien, elle qui m’a ému, mais mon vieil ami qui vient tous les jours me donner un coup de mains ou partager des instants de musique....


Lui :
Il est mignon votre... euh... Votre... euh...
Elle :
Un chien, c'est un chien !
Lui :
Ah oui, euh...
Elle :
Ce n'est pas un rat ! Un tout petit chien, certes, mais pas un rat !
Lui :
Ah, hum, oui, bien sûr... Évidemment... Hum...


... Et qui a aussi été ému !
Avant moi, donc.

Aussi et inévitablement, parce que nous les mecs on ne se refait pas, quand il s’agit de proposer un système à une jeune femme fine, drôle, très séduisante et d’un mètre quatre-vingt cinq au bas mot, accompagnée d'un délicieux toutou, évidement, on en fait trop.
C’est sa faute aussi, pousser la porte en disant : « je viens chez vous parce qu’on m’a dit que vous êtes les meilleurs », bon d’accord, c’est vrai ! Mais c’est pas des trucs à nous dire…


Pas à moi !


- Et Mozart alors ?
-  Ça vient, ça vient !


Bref, quand après quelques disques déjà assez inhabituels dans les choix d’une jeune femme de… moins de trente-cinq ans en tout cas, la demoiselle superlative (et si jolie et si drôle et si… oui bon, ça suffit) déclare soudain :


- le prochain morceau, si ça ne vous ennuie pas (elle est exquise !) sera de Johnny Cash.
- Ah bon ?
- Euh… oui… Ça pose un problème ?
- Non non, je suis juste un peu surpris : je ne me serais pas attendu à ce que vous aimiez Johnny Cash, pas vraiment de la musique de votre génération.
- En fait, je ne connais pas Johnny Cash, c’est seulement un morceau que j’ai entendu à la radio et qui depuis me bouleverse à chaque fois que je l’écoute…


Et là… Ben oui, c’est là qu’on ne peut pas s’empêcher de frimer, briller, pavoiser ! Une ouverture enfin :


Ah, alors il doit s’agir de Hurt, n’est-ce pas ?


Effet garanti !!!


- Euh… En effet, comment le savez-vous ?
- Bah, s’il ne doit y avoir qu’une chanson de Johnny Cash quand on n’est pas spécialiste, c’est probablement celle-là… Ma préférée !
- Vraiment ?
- Oui, sans aucun doute, ne serait-ce que pour son histoire !...
- ...
- Connaissez-vous l’histoire de ce titre ?
- Non…
- Voulez-vous que je vous raconte ?
- Avec plaisir !


Pas un truc à me dire non plus !


Alors je me lance, explique, pérore : derniers enregistrements de Johnny Cash gravement affaibli, produits par Rick Rubin, producteur de Rap et de Metal, avec qui JC va sortir la série American Recordings, majoritairement faite de reprises, dont American IV : the man comes around, au sein duquel on peut entendre : Personnal Jesus de Depeche Mode et…
… Hurt de Trent Reznor
… Qui sera aussi le point d’orgue de la magnifique compilation posthume de JC : Unhearted !


Je raconte à la demoiselle majuscule qui est Trent Reznor, ce perturbateur du rock indus gothic ou plus précisément du Métal indus, via Nine Inch Nails dont les lecteurs de cette chronique ont déjà vu parler (ben oui !) et savent que je suis total fan !


- Et Mozart alors ?
- Ça vient, ça vient !


Je relate mon amusement teinté de dépit (je raconte bien, non ?),  le jour où, au cinéma, je m’aperçois que la chanson en question, chantée par Johnny Cash, est exploitée par Nike, ou la capacité de récupération par le système de deux rebelles caractérisés !


Alors nous écoutons ensemble, très émus, la superbe et très désarmante version de Cash
… Je vous la recommande, c’est une chanson de référence, vraiment…


Je suis comblé de cet instant et remercie la demoiselle singulière de m’avoir fait redécouvrir cette chanson par Cash, ses derniers albums, même si ce n’est pas ma culture naturelle… La voix de ce grand chanteur - une icône de la country, du folk, rockabilly, blues, que sais-je encore ? – tremble, vibre ; faible, épuisée, incantatoire, elle est si chaude, si évocatrice, si puissante en un sens. I’ll find a way dit la dernière phrase, une phrase qui pourrait être d’espoir, ou une façon de dire à celle qu’il a tant aimée : je vais te retrouver… Un grand moment de musique !

La plus belle chanson du siècle dira un animateur allumé sur France Musique quelques semaines plus tard.
Ça me permettra de m’apercevoir de quelques infimes changements de textes entre la version Reznor et la version Cash


… écoute suivie – avec accord empreint de curiosité de la noble demoiselle - de la version apocalyptique de NIN


La vraiment très jolie demoiselle acceptera alors (et appréciera sincèrement, avec des mots qui ne mentent pas !) de découvrir un titre plus… euh… vertigineux, extrait du même album, The Downward Spiral (cf plus bas), en l’occurrence : Eraser


Je suis secoué parce que ce partage en musique n’est pas si fréquent, pas sur cette musique-là, offensive et déchirante, pas avec une inconnue, pas venant d’une inconnue…
Un beau moment. Il n’est pas si fréquent que j’ose Nine Inch Nails dans mes présentations.
Puis la demoiselle sortira à ma grande surprise la B.O.F de West Side Story !


Ah bon ?
- Euh… oui… Ça pose un problème ?
- Non non, je suis juste un peu surpris, je ne me serais pas attendu à ce que vous aimiez ce…


Je me répète ??? Oui !
Mais quand même, je lui ai raconté la belle version tardive par Bernstein lui-même, un cadeau de Deutsche Gramophon, les prises de bec avec Carreras…


Parce qu’il fallait bien que je continue d’essayer de briller…


Voilà : de beaux instants de communion, la vertu qui brise la passivité parfois égoïste de l’écoute de la musique.
Bon, la superlative demoiselle a sans doute une vie, elle a choisi une fort jolie chaîne , (pour ses qualités musicales en tout cas !) et, après son départ me restera la musique…


Allez, soyons sérieux, parlons-en de la musique :


Ah ! Mozart enfin, et sans aucun lien avec ce qui précède, au détail près de l’enchantement !
Une Flûte Enchantée donc ?


Comment ? Il va nous parler de cet opéra bavard (et, hum un rien misogyne et raciste, non ?), loin d’être le meilleur de Mozart en plus ?


Oui !


Dans la récente et rafraîchissante version de René Jacobs chez Harmonia Mundi.
Daniel Behle, ténor, est Tamino, Marlis Petersen, soprano, est Pamina, Daniel Schmutzhard, baryton, est Papageno, Sundae Im, soprano, est Papagena,  Anna-Kristina Kaappola, soprano, est la Reine de la Nuit, Marcos Fink, baryton-basse, est Sarastro, etc…


On le voit, pas de stars à l’affiche, et c’est tant mieux : on sent une troupe rodée donnant beaucoup de joie de vivre à une œuvre qui est quand même un peu une scie et qui, débarrassée de tout combat d’ego(s) de stars, laisse la place au pur bonheur d’écouter Mozart «comme si on y était !».


Ici pas de coupes amaigrissantes dans les longs dialogues et pourtant ça glisse tout seul dans l’oreille et le cœur, musique sautillante, chants enjoués, dialogues quasi lyriques, c’est revigorant et riche et facile et léger ; sans doute les bruitages amusants et quelques interventions musicales dont je n’avais pas souvenir n’y sont pas pour rien.


La vivacité, voire l’urgence de l’ensemble participent évidemment de l’expressivité générale autour d’un orchestre ardent, coloré, animé, énergique et délicat à la fois, un orchestre décidément magnifique au son particulièrement extraordinaire et transparent ici ! Le piano-forte qui vient lier l’ensemble de l’œuvre est surprenant mais très agréable, renforçant cette impression délicieuse de baigner dans un instant d’histoire.
Un coffret luxueux, à la présentation soignée et la documentation fournie (de ces choses qu'on perd en téléchargeant des fichiers), une prise de son précise, lumineuse et dynamique (quelques minimes duretés sur un système vraiment transparent peut-être ?) font de cette production une sorte de référence !
Bon, je n’ai sans doute rien dit d’autre que les critiques officielles, mais j’en avais envie.


Allez, changement de genre.


DM Stith, Heavy Ghost.

Les connaisseurs vont se moquer : c’est paru il y a quelques mois déjà. Ouais, certes, mais ça ne retire rien à la qualité, n’est-ce pas ? Je vous parlerai du dernier Tricky ou de Timber Timbre plus tard.
    
Un album varié et pas toujours facile (d’un américain peu connu), curieux car, comment dire… peu prévisible, erratique, d’une densité noire, une succession d’atmosphères habitées de spectres sombres, Heavy Ghost révèle en outre une voix charnelle d’une qualité oubliée : David Michel Stith.
Un album de chants délicats, profonds et pourtant enrichis d’arrangements sobres en apparence et riches à l’arrivée ; on peut penser parfois, dans des compositions nébuleuses, labyrinthiques, à Radiohead mais sans le côté synthétique, ou à quelques classiques modernes, Chosta ou Britten par exemple.
Textures bigarrées, univers hétéroclites parfois dans un même morceau, une voix accablée survolant le tout, façon Bowie dans l’inclassable Outside, les variations d’orchestration de Stith semblent s’inspirer de sources diverses mais s’en éloignent en quelques mesures pour au final ne ressembler à personne.
Hautement recommandé !

Et puis après avoir évoqué The Downward Spiral de NIN plus haut, il faut bien que j’en parle un peu :


Opus paru en 1994, enregistré dans la maison où Sharon Tate fut assassinée par les disciples de Charles Manson (déjà, ça met dans l’ambiance !), The Downward Spiral est une perle de précision où chaque millième de seconde, chaque souffle, chaque virgule, et surtout chaque couleur sonore a fait l’objet d’une attention obsessionnelle, possiblement cathartique !


Album souvent violent, ténébreux, désespéré, d’une densité de peu d’équivalent et qui ne laisse nulle place à la respiration de l’auditeur dérouté, il raconte le tourment, la douleur et l’enfermement suicidaire, nous engonce dans un univers névrotique, suffocant, sale, et souvent dérangeant, surtout si on se concentre sur les textes.
On y parle quand même de meurtre, de suicide, de sexualité comburante, de l’abyme intérieur, de la mort symbolique de Dieu, de la plongée noire en soi-même dans la dépression et la peur, de la perte de la pureté de l’enfance… Une violence organique donc et non pas dirigée vers l’extérieur, foin de toute apologie meurtrière contrairement à ce que quelques mous du cerveau avaient dénoncé à l’époque…

 

Les sonorités viennent de partout ; le Steinway côtoie sans souci des frappes de guitares abrasives, le disco barré bascule vers l’incantation décollant en vrille, Closer est particulièrement significatif avec son refrain assenant une sexualité provocatrice conduisant à la sublimation de soi : "My whole existence is flawed / You get me closer to God"


Chaque instant de cet album prison, symphonique, rapproche de la déchéance et l’abandon de tout !
Ainsi, The Downward Spiral implose de cris de désespoir et de douleur et conduit pas à pas vers le sublime Hurt, chanson proche d’une ballade (euh… dans la version Cash en tout cas), plus dépouillée, névrosée, évoquant l’automutilation libératrice et l’enfermement dans la drogue…


Bon, raconté comme ça je comprends que ça ne donne pas envie, on est loin de la fraîcheur de la Flûte enchantée par Jacobs et de toute façon ce n’est probablement pas pour le même public.
Mais c’est clairement un album puissant, inventif, léché, au son énorme, obsédant, impliquant, physique et émotionnellement chargé, que personnellement je place sans hésiter aux côtés de mes chers classiques…

 

Bon… Salut et à la prochaine ! Je vais essayer de trouver le temps de parler des derniers quatuors de Beethoven par Tokyo chez Harmonia Mundi, sublimes et ouvrant une modernité remarquable à ces opus tardifs, ou encore les très singuliers quatuors de Viktor Kalabis chez Praga, ou encore «Original Pimpant» d’Emile Parisien, formidable disque de Jazz, parfois un peu âpre ou acrobatique mais novateur et passionnant, une déstructuration des codes où tous les musiciens vont enfin dans le même sens ! Bien foutu techniquement qui plus est !…


La Flûte enchantée, une délicieuse jeune femme, NIN et Johnny Cash


Novembre 2010

 

La flûte enchantée par René Jacobs, NIN et Johnny Cash, DM Sith


Par Alain

 

Ce n’est pas si fréquent qu’une jeune femme seule pousse la porte des magasins de hifi.


Hélas.

La technique ne les intéresse pas, dit-on. Je ne sais pas, c’est possible. Le matériel surement pas pour la plupart en effet, ce en quoi elles ont bien raison : ce n’est pas intéressant. Seul le résultat devrait compter.
Pour autant, peu de jeunes femmes admettent qu’il est nécessaire quand même d’avoir un beau système de reproduction pour comprendre la musique ou, à tout le moins, ne pas trahir le sens voulu par l’interprète. Je les aime beaucoup (les femmes… ah oui les interprètes aussi, surtout quand ce sont des femmes !), mais je ne suis pas forcément toujours d’accord avec elles. Même si je déteste les généralisations…


Donc, s’il est rare qu’une jeune femme pousse la porte d’un magasin de hifi, c’est encore plus rare que ce soit une très charmante demoiselle !
Suis-je avare... Une jeune femme craquante à faire douter un bataillon de moines !


- Et Mozart alors ?
- Ça vient, ça vient !


Ce n’est même pas moi qui l'ai accueillie, cette vertigineuse demoiselle (vraiment très grande !) accompagnée d'un tout petit chien, elle qui m’a ému, mais mon vieil ami qui vient tous les jours me donner un coup de mains ou partager des instants de musique....


Lui :
- Il est mignon votre... euh... Votre... euh...
Elle :
- Un chien, c'est un chien !
Lui :
- Ah oui, euh...
Elle :
- Ce n'est pas un rat ! Un tout petit chien, certes, mais pas un rat !
Lui :
- Ah, hum, oui, bien sûr... Évidemment... Hum...


... Et qui a aussi été ému !
Avant moi, donc.

Aussi et inévitablement, parce que nous les mecs on ne se refait pas, quand il s’agit de proposer un système à une jeune femme fine, drôle, très séduisante et d’un mètre quatre-vingt cinq au bas mot, accompagnée d'un délicieux toutou, évidement, on en fait trop.
C’est sa faute aussi, pousser la porte en disant : « je viens chez vous parce qu’on m’a dit que vous êtes les meilleurs », bon d’accord, c’est vrai ! Mais c’est pas des trucs à nous dire…


Pas à moi !


- Et Mozart alors ?
-  Ça vient, ça vient !


Bref, quand après quelques disques déjà assez inhabituels dans les choix d’une jeune femme de… moins de trente-cinq ans en tout cas, la demoiselle superlative (et si jolie et si drôle et si… oui bon, ça suffit) déclare soudain :


- le prochain morceau, si ça ne vous ennuie pas (elle est exquise !) sera de Johnny Cash.
- Ah bon ?
- Euh… oui… Ça pose un problème ?
- Non non, je suis juste un peu surpris : je ne me serais pas attendu à ce que vous aimiez Johnny Cash, pas vraiment de la musique de votre génération.
- En fait, je ne connais pas Johnny Cash, c’est seulement un morceau que j’ai entendu à la radio et qui depuis me bouleverse à chaque fois que je l’écoute…


Et là… Ben oui, c’est là qu’on ne peut pas s’empêcher de frimer, briller, pavoiser ! Une ouverture enfin :


- Ah, alors il doit s’agir de Hurt, n’est-ce pas ?


Effet garanti !!!


- Euh… En effet, comment le savez-vous ?
- Bah, s’il ne doit y avoir qu’une chanson de Johnny Cash quand on n’est pas spécialiste, c’est probablement celle-là… Ma préférée !
- Vraiment ?
- Oui, sans aucun doute, ne serait-ce que pour son histoire !...
- ...
- Connaissez-vous l’histoire de ce titre ?
- Non…
- Voulez-vous que je vous raconte ?
- Avec plaisir !


Pas un truc à me dire non plus !


Alors je me lance, explique, pérore : derniers enregistrements de Johnny Cash gravement affaibli, produits par Rick Rubin, producteur de Rap et de Metal, avec qui JC va sortir la série American Recordings, majoritairement faite de reprises, dont American IV : the man comes around, au sein duquel on peut entendre : Personnal Jesus de Depeche Mode et…
Hurt de Trent Reznor
… Qui sera aussi le point d’orgue de la magnifique compilation posthume de JC : Unhearted !


Je raconte à la demoiselle majuscule qui est Trent Reznor, ce perturbateur du rock indus gothic ou plus précisément du Métal indus, via Nine Inch Nails dont les lecteurs de cette chronique ont déjà vu parler (ben oui !) et savent que je suis total fan !


- Et Mozart alors ?
- Ça vient, ça vient !


Je relate mon amusement teinté de dépit (je raconte bien, non ?),  le jour où, au cinéma, je m’aperçois que la chanson en question, chantée par Johnny Cash, est exploitée par Nike, ou la capacité de récupération par le système de deux rebelles caractérisés !


Alors nous écoutons ensemble, très émus, la superbe et très désarmante version de Cash
… Je vous la recommande, c’est une chanson de référence, vraiment…


Je suis comblé de cet instant et remercie la demoiselle singulière de m’avoir fait redécouvrir cette chanson par Cash, ses derniers albums, même si ce n’est pas ma culture naturelle… La voix de ce grand chanteur - une icône de la country, du folk, rockabilly, blues, que sais-je encore ? – tremble, vibre ; faible, épuisée, incantatoire, elle est si chaude, si évocatrice, si puissante en un sens. I’ll find a way dit la dernière phrase, une phrase qui pourrait être d’espoir, ou une façon de dire à celle qu’il a tant aimée : je vais te retrouver… Un grand moment de musique !

La plus belle chanson du siècle dira un animateur allumé sur France Musique quelques semaines plus tard.
Ça me permettra de m’apercevoir de quelques infimes changements de textes entre la version Reznor et la version Cash


… écoute suivie – avec accord empreint de curiosité de la noble demoiselle - de la version apocalyptique de NIN


La vraiment très jolie demoiselle acceptera alors (et appréciera sincèrement, avec des mots qui ne mentent pas !) de découvrir un titre plus… euh… vertigineux, extrait du même album, The Downward Spiral (cf plus bas), en l’occurrence : Eraser


Je suis secoué parce que ce partage en musique n’est pas si fréquent, pas sur cette musique-là, offensive et déchirante, pas avec une inconnue, pas venant d’une inconnue…
Un beau moment. Il n’est pas si fréquent que j’ose Nine Inch Nails dans mes présentations.
Puis la demoiselle sortira à ma grande surprise la B.O.F de West Side Story !


- Ah bon ?
- Euh… oui… Ça pose un problème ?
- Non non, je suis juste un peu surpris, je ne me serais pas attendu à ce que vous aimiez ce…


Je me répète ??? Oui !
Mais quand même, je lui ai raconté la belle version tardive par Bernstein lui-même, un cadeau de Deutsche Gramophon, les prises de bec avec Carreras…


Parce qu’il fallait bien que je continue d’essayer de briller…


Voilà : de beaux instants de communion, la vertu qui brise la passivité parfois égoïste de l’écoute de la musique.
Bon, la superlative demoiselle a sans doute une vie, elle a choisi une fort jolie chaîne , (pour ses qualités musicales en tout cas !) et, après son départ me restera la musique…


Allez, soyons sérieux, parlons-en de la musique :


Ah ! Mozart enfin, et sans aucun lien avec ce qui précède, au détail près de l’enchantement !
Une Flûte Enchantée donc ?


Comment ? Il va nous parler de cet opéra bavard (et, hum un rien misogyne et raciste, non ?), loin d’être le meilleur de Mozart en plus ?


Oui !


Dans la récente et rafraîchissante version de René Jacobs chez Harmonia Mundi.
Daniel Behle, ténor, est Tamino, Marlis Petersen, soprano, est Pamina, Daniel Schmutzhard, baryton, est Papageno, Sundae Im, soprano, est Papagena,  Anna-Kristina Kaappola, soprano, est la Reine de la Nuit, Marcos Fink, baryton-basse, est Sarastro, etc…


On le voit, pas de stars à l’affiche, et c’est tant mieux : on sent une troupe rodée donnant beaucoup de joie de vivre à une œuvre qui est quand même un peu une scie et qui, débarrassée de tout combat d’ego(s) de stars, laisse la place au pur bonheur d’écouter Mozart «comme si on y était !».


Ici pas de coupes amaigrissantes dans les longs dialogues et pourtant ça glisse tout seul dans l’oreille et le cœur, musique sautillante, chants enjoués, dialogues quasi lyriques, c’est revigorant et riche et facile et léger ; sans doute les bruitages amusants et quelques interventions musicales dont je n’avais pas souvenir n’y sont pas pour rien.


La vivacité, voire l’urgence de l’ensemble participent évidemment de l’expressivité générale autour d’un orchestre ardent, coloré, animé, énergique et délicat à la fois, un orchestre décidément magnifique au son particulièrement extraordinaire et transparent ici ! Le piano-forte qui vient lier l’ensemble de l’œuvre est surprenant mais très agréable, renforçant cette impression délicieuse de baigner dans un instant d’histoire.
Un coffret luxueux, à la présentation soignée et la documentation fournie (de ces choses qu'on perd en téléchargeant des fichiers), une prise de son précise, lumineuse et dynamique (quelques minimes duretés sur un système vraiment transparent peut-être ?) font de cette production une sorte de référence !
Bon, je n’ai sans doute rien dit d’autre que les critiques officielles, mais j’en avais envie.


Allez, changement de genre.


DM Stith, Heavy Ghost.

Les connaisseurs vont se moquer : c’est paru il y a quelques mois déjà. Ouais, certes, mais ça ne retire rien à la qualité, n’est-ce pas ? Je vous parlerai du dernier Tricky ou de Timber Timbre plus tard.
    
Un album varié et pas toujours facile (d’un américain peu connu), curieux car, comment dire… peu prévisible, erratique, d’une densité noire, une succession d’atmosphères habitées de spectres sombres, Heavy Ghost révèle en outre une voix charnelle d’une qualité oubliée : David Michel Stith.
Un album de chants délicats, profonds et pourtant enrichis d’arrangements sobres en apparence et riches à l’arrivée ; on peut penser parfois, dans des compositions nébuleuses, labyrinthiques, à Radiohead mais sans le côté synthétique, ou à quelques classiques modernes, Chosta ou Britten par exemple.
Textures bigarrées, univers hétéroclites parfois dans un même morceau, une voix accablée survolant le tout, façon Bowie dans l’inclassable Outside, les variations d’orchestration de Stith semblent s’inspirer de sources diverses mais s’en éloignent en quelques mesures pour au final ne ressembler à personne.
Hautement recommandé !

Et puis après avoir évoqué The Downward Spiral de NIN plus haut, il faut bien que j’en parle un peu :


Opus paru en 1994, enregistré dans la maison où Sharon Tate fut assassinée par les disciples de Charles Manson (déjà, ça met dans l’ambiance !), The Downward Spiral est une perle de précision où chaque millième de seconde, chaque souffle, chaque virgule, et surtout chaque couleur sonore a fait l’objet d’une attention obsessionnelle, possiblement cathartique !


Album souvent violent, ténébreux, désespéré, d’une densité de peu d’équivalent et qui ne laisse nulle place à la respiration de l’auditeur dérouté, il raconte le tourment, la douleur et l’enfermement suicidaire, nous engonce dans un univers névrotique, suffocant, sale, et souvent dérangeant, surtout si on se concentre sur les textes.
On y parle quand même de meurtre, de suicide, de sexualité comburante, de l’abyme intérieur, de la mort symbolique de Dieu, de la plongée noire en soi-même dans la dépression et la peur, de la perte de la pureté de l’enfance… Une violence organique donc et non pas dirigée vers l’extérieur, foin de toute apologie meurtrière contrairement à ce que quelques mous du cerveau avaient dénoncé à l’époque…

 

Les sonorités viennent de partout ; le Steinway côtoie sans souci des frappes de guitares abrasives, le disco barré bascule vers l’incantation décollant en vrille, Closer est particulièrement significatif avec son refrain assenant une sexualité provocatrice conduisant à la sublimation de soi : "My whole existence is flawed / You get me closer to God"


Chaque instant de cet album prison, symphonique, rapproche de la déchéance et l’abandon de tout !
Ainsi, The Downward Spiral implose de cris de désespoir et de douleur et conduit pas à pas vers le sublime Hurt, chanson proche d’une ballade (euh… dans la version Cash en tout cas), plus dépouillée, névrosée, évoquant l’automutilation libératrice et l’enfermement dans la drogue…


Bon, raconté comme ça je comprends que ça ne donne pas envie, on est loin de la fraîcheur de la Flûte enchantée par Jacobs et de toute façon ce n’est probablement pas pour le même public.
Mais c’est clairement un album puissant, inventif, léché, au son énorme, obsédant, impliquant, physique et émotionnellement chargé, que personnellement je place sans hésiter aux côtés de mes chers classiques…

 

Bon… Salut et à la prochaine ! Je vais essayer de trouver le temps de parler des derniers quatuors de Beethoven par Tokyo chez Harmonia Mundi, sublimes et ouvrant une modernité remarquable à ces opus tardifs, ou encore les très singuliers quatuors de Viktor Kalabis chez Praga, ou encore «Original Pimpant» d’Emile Parisien, formidable disque de Jazz, parfois un peu âpre ou acrobatique mais novateur et passionnant, une déstructuration des codes où tous les musiciens vont enfin dans le même sens ! Bien foutu techniquement qui plus est !…

 


Liesa van der Aa, Prokofiev par Muti, Schoenberg par Barenboïm, A Perfect Circle


25 avril 2015

 

Liesa van der Aa : WOTH, Prokofiev par Muti, Schoenberg par Barenboïm(s), A Perfect Circle

Par Alain

 

Liesa van der Aa : WOTH.

 

Attention : Monument !

 

Ceux qui lisent régulièrement ces chroniques savent combien j’avais été enflammé par le premier album proposé par la jeune Liesa Van der Aa, alors âgée de 25 ans, Troops, que j’avais qualifié de cathédrale hybride.

Qui a aimé Troops s’y retrouvera aisément dans le deuxième Opus : WOTH, même si le nouveau projet est colossal, grandiose, pharaonique, un ouvrage à la hauteur des Pyramides que la dame évoque indirectement.

Et si profondément humain…

En effet WOTH est l’acronyme de Weighting of the Heart thème unique d’un (triple) album concept inspiré par le mythe égyptien de la pesée des âmes, qui nous raconte le jugement d’une femme (Liesa en l’occurrence qui tient le rôle de la narratrice) dont le cœur et l’âme seront pesés trois fois, exposant ainsi les visages antithétiques d’un individu pris dans les griffes des contradictions qui façonnent l’humanité, le premier Maître de la cérémonie étant Toth, le Seigneur du Temps, pas moins !

Les 3 parties du triptyque - plus difficiles à déterminer quand on télécharge le fichier même pas disponible en HD ni accompagné du moindre livret (gggrrrrr !) -, sont ponctuées par des prologues et épilogues confiés à un vaste chœur, variations autour d’une écriture baroque (le style artistique) qui légitiment l’immense culture de la musicienne par les idées qui s’y bousculent pour ne pas tourner à la pauvre parodie, mais aussi sa capacité de faire fi de tout principe établi, jouant des codes sans jamais tomber dans le granguignolesque bien au contraire, alternant dans un même souffle d’une inspiration Renaissance vers une portion d’Arvo Pärt, ou autre geste contemporaine plus acrobatique encore, et dans un langage qui est indéniablement le sien.

Psalmodies d’extraits du Livre des Morts égyptien, les 42 juges introduisent et concluent donc les 3 chapitres qui vont revisiter à chaque fois les mêmes titres arrangés de façons très variées, mélodies, orchestration, atmosphères, visions troublantes de l’âme, et dans un ordre différent.

1er Chapitre : cœur lourd

Ce premier volet évoque le désir, la volonté, l’ambition dévorante et, par bribes incisives, l’enfance troublée, les peurs et les angoisses et installe d’emblée l’audace visuelle d’un film noir, passionnant, envoutant qui déroule sur l’écran invisible de nos émotions, les peines, joies, frayeurs, passions et plaisirs, réels ou factices.

Partie particulièrement sombre et suffocante, les inventions sonores très indus, renouvelées jusqu’à l’ivresse, pleuvent en rafales lourdes et déchaînées issues du laboratoire de Boris Wilsdorf (qui est aussi producteur d'Einstürzende Neubauten), et font pâlir les meilleures inspirations de Bjork, NIN ou the Swans, …

Cette première partie prend aux tripes par ses scansions bruitistes et engonçantes, novatrices et saisissantes, cet étouffement dans le bitume liquide, oppression biscornue magnifique qui regorge d’une poésie noire, appuyée sur des rythmiques inattendues en évolution pilonnant à coups de marteaux cardiaques parfois désordonnés ou très charpentés la nécessité d’atteindre le sommet, vociférée dans une envolée hystérique glaçante conduisant à la vanité et l’échec les ambitions de toute sorte incluant l’amour, nous renvoient vers nos propres questionnements souvent refoulés sur nos erreurs, nos fautes, le poids du temps et de l’époque déviant nos choix ou espoirs premiers, bref un premier acte où LvdA nous interdit d’entrevoir la paix, en dépit d’une fin de chapitre irisé de pure grâce mystique.

 

2ème volet : cœur léger

Obscure dans son intro (la comptine chantée par une petite fille arpégée de cris des choeurs et borborygmes musicaux, clochettes et carillons comme dans un cauchemar dessinent des images d’un film d’horreur qui fait froid dans le dos), cette deuxième partie troque l’atmosphère accablante du premier acte pour une figure plus solaire en acceptant l’indéfinissable ; elle est en effet plus impénétrable, jouant le mystère sans genre affirmé, laissant la sensation d’un jazz pop troublé ou variant, parfois percuté de passages sur instruments anciens si aisément maitrisés,, langueurs aériennes, pianos nomades, cuivres et bois en échos, une batterie légère apparait soudain pour poser une lente ballade paisible presque lascive, des errances contemplatives, plus apaisées, sans jamais pourtant vraiment quitter la gravité dans les deux sens du terme, à l’exception peut-être d’un angélique titre où le chant erre dans l’évanescence acceptant la mort, c’est tout simplement beau ! Ainsi, les 21 grammes de l’âme vibrionnent, bucoliques, au gré de plages plus longues, structurellement inouies, jamais stables, déployant des trésors d'idées dont on se demande comment elles ont pu être écrites, pensées, apprivoisées, orchestrées d'instruments alambiqués venus de partout à la fois, cultures, époques, matériaux, des chants plus épanouis annonçant l'acceptation de la mort, mais sans bien longtemps quitter la concentration majeure qui amène au jugement.

 

3ème acte : cœur équilibré

Ou l’acceptation, le renoncement à l’individualité, la fusion dans le cœur collectif, le chœur collectif, le chapitre probablement le plus incertain, le plus lumineux certes, mais aussi le plus erratique et insaisissable, ambivalent dans ses rebonds de style, déambulation d’une franche légèreté pop totalement incongrue et faussement joyeuse (toujours cette voix basse) vers de longues aubades jazz à nouveau atmosphériques où le timbre rauque et grave de LdvA impose une élégance folle, et ces chœurs parlant au pluriel où la femme jugée adjoint sa voix sans pour autant donner l’impression que cette conscience collective apporte la paix, le bonheur, rien n’est moins sûr en effet, les contrastes incessants de formes et de tonalités en attestent, renvoyant à l’incompréhension, à l’incertain, pas par les sonorités venues d’outre-tombe du premier acte, mais par l’errance hésitante des contours, le refus d’une ligne continue.

C’est toute la richesse ambiguë faite des contradictions de l’être humain qu’expose Lisa Van Der Aa dans cette œuvre philosophique, luxuriante et équivoque, jamais alambiquée,  que j’ai d’abord écoutée ingénieuse, sidérante et cérébrale pour entrer dans une perception ouvertement émotionnelle dès la deuxième écoute et la troisième et la quatrième…

Car, pour résumer, vadrouillant du baroque à l'électro en passant par l’indus, la pop et le jazz, la jeune flamande (n’oublions pas qu’elle n'a pas 30 ans !) invente, affirme et innove sans cesse une architecture d’anthologie transcendante enchevêtrée, ne laissant pas un instant de répit, de repos, même dans les espaces un peu plus détendus, dérisoires (rares et jamais longs), et grave un album à l’arrivée essentiellement mélancolique, surtout la première partie et curieusement la dernière, mais d’une telle puissance invocatrice et prenante comme un thriller poétique, le film défile sous nos yeux, farfouillant dans nos âmes, inquiétant, entêtant, abasourdissant, rituel ou ritournelle, des enfants chantent des choeurs célestes mais aussi des comptines horrifiques, un travail rythmique d'une intensité et d'une violence physique éprouvantes (sur les Ada de ppfff ce sont des coups au bide répétitifs, presque étourdissants dans la première partie toujours !).

Et mieux encore, la demoiselle réussit la performance de façonner méticuleusement un évident chef-d’œuvre sans jamais aucune posture, sans jamais donner l'impression de se prendre au sérieux nonobstant la majesté de l'ensemble, et même assène l'autodérision dans les instants puissants qui pourraient basculer vers la démonstration ou l'arrogance, ainsi ce formidable passage a-cappella d'un choeur hautain dérivant de la Renaissance vers la comédie musicale accompagnée de permanents rires dérangeants en arrière fond.

WOTH est Un Monument disais-je…

… si vaste et puissant que je me demande comment cette jeune femme a trouvé les moyens de constituer un tel monstre, 80 musiciens ai-je lu quelque part, une production minutieuse, inévitablement régie dans la chronologie abstruse du cinéma - à savoir les scènes tournées dans l'ordre de la présence des comédiens et décors -, engagée et soignée, tissée de couches entremêlées si précisément audibles, un travail de mixage par des doigts d’orfèvre au service de la grande entrepreneuse qui a dû coûter une fortune pour une probabilité commerciale incertaine, un urbanisme musical élitiste peut-être, en tout cas très énigmatique et probablement pas intégralement compréhensible alors qu’il suffit d’accepter de se laisser porter pour qu’aussitôt cette symphonie magistrale parle au cœur, au sang, à la peau, et vous embarque dans un tourbillon angoissant ou souriant ou grinçant, vous fait virevolter dans ses contrastes saisissants, l’intensité conceptuelle entrant alors en prise directe avec l’âme et tournant au pur ressenti : l'abandon mystique devient sien.

Un tel disque ne pouvait sans doute qu'être réalisé à Berlin, la seule ville où l'Underground est un serment direct, pas une contenance de mode décalée, tout ce dont l’artiste belge semble se moquer éperdument dans ses doutes jetés sur partitions.

Du Grand Art tout simplement, immortel comme il se doit, à l’aune de certains grands Requiem.

Et elle n'a pas 30 ans !!!

Vulnicura de Bjork, WOTH de LvdA, la musique conceptuelle, intelligente et en même temps émotionnelle se porte bien en ce début 2015.

 

************************************

 

Petite déception :

 

Prokofiev, la suite de Roméo & Juliette par le Chicago Symphony Orchestra dirigé par Riccardo Muti.

 

J’ai acheté ce fichier HD sur la recommandation du magazine anglais Hifi-News, une œuvre haute en couleurs et contrastes que j’aime beaucoup, c’était tentant.

Le résultat n’est pas exécrable, bien sûr, les timbres de l’orchestre que Muti essaye de dégager le plus souvent possible sont remarquables, la vision est guillerette parfois.

Mais un peu pompeuse le plus souvent, enguirlandée à l’excès, ni russe ni italienne mais viennoise comme certaines pâtisseries un peu trop chargées.

Ornementations parfois minaudantes, passages sirupeux créant des longueurs où Maazel dans son intégrale, nous emballait toujours dans des bondissements festifs ou des horreurs sombres mais si évidentes, si compréhensibles, si naturellement lisibles dans ce récit de passion et de mort. Celle de Tybalt par exemple n’a sous la baguette de Muti aucune dimension dramatique mais se prend les pieds dans un somptueux tapis tissé par un orchestre plus écrin qu’expressif.

Le bonheur du son au moins ? Pas vraiment, car si les timbres sont précis et légers, si la dynamique est démonstrative, la compréhension de la scène est très incertaine, artificielle et d’autant moins excusable qu’il s’agit d’un live sous le label Chicago-resound.

On ne peut décidément pas faire confiance aux magasines hifi pour parler musique, ni son d’ailleurs, c’est déprimant…

 

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Arnold Schoenberg

Concerto pour Violon & Orchestre, op 36 & Concerto pour Piano & Orchestre, op 42

Michael & Daniel Barenboïm, Pierre Boulez

Wiener Philharmoniker

 

Intéressant regroupement de deux œuvres rares enregistrées à quelques années d’écart sur ce curieux disque.

L’opus 36 joué par Michael Barenboïm et dirigé par son père est remarquable et fascinant de bout en bout.

Le père et le fils suivent une voie fusionnelle où le violon, refusant l’apparat, s’intègre au discours général et ne brille pas plus que chacun des partenaires.

J’adore !

Œuvre délicate et parfois abrupte, technique dodécaphonique oblige, les blocs alternent et s’entrecroisent avec une intelligence parfaitement maitrisée par les musiciens, jeux de couleurs et écheveaux sériels, curieuses fantaisies lyriques, ruptures nettes et enrobages sinueux, l’œuvre nous ballote dans un paysage sans formes définies ou repères surs, comme un voyage dans 4 dimensions improbables, c’est un délice de se laisser emporter dans tels méandres, sans avoir besoin de les comprendre, aucune raison de vouloir analyser la pensée complexe de Schoenberg pour goûter cette proposition brute.

L’enregistrement live est une réussite parfaite, précis, une scène sonore cohérente et profonde, le violon se fond impeccablement dans l’orchestre et les débats de timbres définissent une lisibilité irréprochable de tous les acteurs.

Je ne connaissais ce concerto que par Hilary Hahn et Salonen, beau disque également, plus lumineux, Hilary Hahn au meilleur de sa forme prouvait qu’elle avait parfaitement compris l’œuvre et offrait une version plus axée sur la performance étincelante du violon, mais Salonen donnait une tonalité un peu badine à l’ensemble. Recommandé toutefois, d’autant plus que le Sibelius est majestueux.

En revanche sur le disque Barenboim / Boulez, j’ai été moins séduit par le concerto pour piano, possiblement parce que l’œuvre m’a moins porté, donc je m’abstiendrai de parler de l’interprétation.

 

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Enfin pour finir un peu de rock / métal alternatif avec deux disques de « A Perfect Circle ».

 

Un groupe fondé par Maynard James Keenan, un type qui réussit bien ses projets en général.

Ayant récemment, dans le cadre de la conversion numérique de ma discothèque CD (nous en sommes à plus de 3500 disques soit un peu plus de la moitié je suppose… C’est long et fastidieux mais utile) redécouvert le deuxième disque du groupe, Thirteenth Step, je me suis rendu compte que je n’avais pas eu la curiosité de voir ce qu’ils avaient fait depuis.

Pas grand-chose, mais j’ai quand même téléchargé eMOTIVe, datant de 2004.

Ce sont vraiment deux chouettes disque de rock, efficaces, malins, très léchés, même élégants, sans aucune facilité ou concession (euh, tout compte fait sur eMOTIVe un peu quand même), simplement guidés par le refus de rester dans des cadres et s’évertuant à alterner le chaud et le froid avec des transitions habiles, bien pesées, un bon gros son asséné par des musiciens puissants qui n’ont pas besoin d’être démonstratifs, c’est pur et raffiné, costaud et subtil.

Pourtant, Thirteenth Step est très supérieur à eMOTIVe, car l’album au-delà d’être vigoureux et bien charpenté n’hésite pas à nous émouvoir, nous embarquer sur des lignes mélodiques riches dans une promenade entre beauté, douceur, mélancolie, violence, sans jamais nous perdre ou nous ennuyer.

Une bonne redécouverte, un grand disque.

eMOTIVe, essentiellement fait de reprises, est plus inégal, moins personnel et inventif, moins indispensable, voire pas vraiment indispensable.

 

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J’aurais aimé vous parler de l’excellent disque de David Chevalier : Standards & Avatars, mais je crois que Pierre-Yves nous prépare un papier de son cru.

 

 


Marc Ducret Tower 3


octobre 2013


Dans un billet il y a quelques mois, j'essayais de vous faire partager mon enthousiasme pour le formidable Tower Vol 1 de Marc Ducret.

Voici la perception du projet Tower et son aboutissement par un ami du magasin.


 

Marc Ducret, Tower vol. 3,
 


par Pierre-Yves DB.


Un concept peut-il être à la fois abstrait, figuratif et narratif ?

Peut-être une amorce de réponse au travers du seul « nomen » désignant les 3 premiers étages de cette 3ème tour : « Real Thing 1, Real Thing 2, Real Thing 3 ».

Real Thing … Vraie Chose ou Chose Vraie ?

La langue anglaise, par ses subtilités, permet à l’esprit baladeur de s’aventurer au-delà du formalisme habituel qui aurait tendance à l’étriquer un tantinet.
L’imaginaire se moque bien de la vérité mais ne répugne pas à habiller ou à parer ses inventions de toutes « choses » propres à donner, à chacune d’elle, une réalité reconnaissable entre toutes.

Pour les chanceux qui ont pu s’imprégner d’un concert de l’ensemble Tower- Bridge (salle Paul Fort le 21/11/2012 entre autres) et ont écouté en direct ou sur disque les autres propositions - concrétisations du projet « Tower », il apparaît assez nettement je pense que la « chose vraie » peut, selon le contexte et la perception qu’en ont les artistes associés à ses diverses réalisations, prendre des identités variables sans renier sa nature originelle.
En quelque sorte, l’objet thématique, fût-il abstrait, survit immanquablement à la mutation de ses apparences même s’il nous entraîne sur des territoires bien différents.
   

Depuis longtemps, Marc Ducret aime les labyrinthes et les poètes (qui parle – sketch). Il s’en nourrit et les fait vivre dans des univers qui lui sont si personnels et pourtant nous semblent si familiers.

Avec le projet « Tower », l’épure prend encore de la force et se suffit pratiquement à elle-même.
Puisque maintenant l’histoire est complètement intégrée au geste musical, chaque groupe apportant sa marque créatrice, la « chose vraie » se raconte au gré des rencontres et au fil des émotions. Considérer en les séparant les 3 groupes qui se la sont appropriée (real thing 1 et 2 pour le 1er, real thing 3 pour le 2ème, real thing 1-2-3 pour le 3ème) reviendrait à tronçonner une cathédrale (pardon si l’image est un peu exagérée).

Le paradoxe cependant  demeure: chaque version de la « chose vraie » est une vraie découverte, avec ses propres épices, odeurs, formes et couleurs ( ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre...).


La 3ème mouture, en sextet, réunit donc les 3 « Real Things » dans une vision - interprétation excluant toute redite formelle.
L’instrumentation choisie : trombones, piano, célesta, vibraphone, percussions, guitare, démontre à l’envie que le concept fonctionne, parfois dans une approche quasi chambriste (au diable les genres).     
Densité des propos, clarté de l’expression, fragments de beauté presque indicible, jamais de vains « effets de manche » (pour Ducret s’entend, même si le bougre…), tension prégnante à la limite du stress, magie de l’équilibre harmonique et rythmique (malgré la complexité), respiration des timbres, grâce du dessin qui s’élabore et se régénère sans cesse…



Le dernier passage symbolise l’effondrement de la tour composée des 3 « choses vraies ». Comme si le fragile ensemble ne tenait qu’à un souffle ou à un quart de ton, comme si la « chose vraie » n’était qu’éphémère, comme si la « chose vraie » n’était pas en fait une « vraie chose ».



 Tower vol. 3 de Marc Ducret : un très beau disque, « vraiment ».           


Marjolaine Reymond, Vampire Weekend, Von Parhias, Eminem


Novembre 2013



Vampire Week-end, Von Parhias, Marjolaine Reymond, Eminem



par Alain


C’est décidé, je me fends d’une petite chronique vite fait, entre deux ballades de nostalgie sur la plage déserte d’Etel par un froid week-end de novembre.


Tout d'abord, je vais vous parler d’un de ces petits bonheurs simples : découvrir, inspiré par une pochette, un disque franc du collier, bien foutu, varié, malin, où l'on passe sa curiosité à se dire «tiens ça me rappelle quelque chose» tout en prenant un plaisir manifeste à laisser la longue successions de morceaux défiler, que l'on décide de l'écouter distraitement en finissant "En attendant les Barbares" de J.M. Coetzee ou au contraire en se concentrant sur les mélodies habiles et les déhanchements contradictoires du quatuor américain Vampire Weekend.

L'album s'appelle Modern Vampires of the City.

Je ne connaissais pas ce groupe, originaire de New York et que l’on voit parfois défini comme punk bon genre !

J’avoue que je cherche encore la punkitude.

Cet album, leur troisième semble-t-il, très bien produit, déroute parce qu'on ne sait pas trop à quoi se raccrocher, tant les jeux de pistes se multiplient. En tout cas, la démarche n’est jamais vaine et on ne s'ennuie pas une seconde !

Multitude rock  touffue, inventive, très digeste, souvent belle et possiblement émouvante (Hudson) on sautille allègrement d'un genre à l'autre, pop, rythm & Blues (voire doo-wop), musique de film d'angoisse, rock fortuit, quelques influences africaines ou ballades toutes simples et magnifiques, le tout propulsé par un plaisir évident nanti d’une large culture bien digérée (hello Simon and Garfunkel dans Everlasting Arms) et un sens de l'humour et une liberté d'esprit très enthousiasmants !

Mais attention, derrière ce plaisir à rebondir, les quatre musiciens ont parfaitement réussi à tenir un fil conducteur, une sonorité propre, une logique organique des plus sympathiques détaillant un univers très personnel, raffiné, marquant !



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Dans une veine assez différente mais toujours rock, j’ai testé les Von Pariahs, Hidden Tension.


J’ai été surpris de découvrir que ces gens sont nantais, c’est pour ça que j’en parle ; le chant en anglais est des plus sûrs : rien d’étonnant, le chanteur est originaire de Jersey.

L’ensemble est plutôt réussi, sans être indispensable certes, de courts morceaux très rocks, nerveux et tendus qui me rappellent en moins brut ce que j’avais aimé chez Savages, même si chez les nantais le punch sort un peu schématisé par une rythmique faiblarde, qui de débrouille tout juste en trouvant un plan par titre, pas plus.

On navigue à vue entre une pincée d’INXS, un zeste de Phoenix, des réminiscences des Doors et de l’énergie vocale à la Bloc Party. Ou Franz Ferdinand. Mais qu’importe les influences, c’est vitaminé et sincère !

Pas de méprise, il n’y a là-dedans ni génie ni révolution, mais de cette énergie qui recentre le rock sur ses bases. C’est déjà pas mal.


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Est-ce que je vous parle du dernier Eminem, The Marshall Mathers LP2 ?


Non.


Ce n’est pas aussi touffu et surprenant et bourré d’idées sonores que le génial Eminem Show, mais c’est au-dessus du précédent album (sais plus comment il s’appelle) et vraiment, en dehors d’un son qui manque un peu de percutant, c’est un excellent album, bipolaire, toujours aussi ostracisant, passablement homophobe, non ? Mais en même temps dans une introspection respectable, gonflée et parfois drôle parce que dépourvue de toute complaisance. Le mec est malin !

L’énergie locutrice, le sens des mélodies, l’humour froid, des arrangements soignés, tout y est !

Pas mal. Vraiment.




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Marjolaine Reymond maintenant.


Chronos in USA

Un disque Cristal Records


Une chanteuse que je croyais canadienne mais qui est probablement française ; elle prend aussi en charge les instruments électroniques

Du jazz ? Oui… Sans doute en auscultant la liste des musiciens :

Yvan Robilliard au piano ( quand même ), Hubert Dupont à la contrebasse et Nicolas Larmignat à la batterie et quelques invités notables.


Un disque pas nouveau (2008), que j'avais un peu mis de côté et que j'ai voulu faire connaître un à ami du magasin féru de jazz.

Si j'ai vite compris pourquoi j’avais mis ce… truc ? de côté, il n'en est pas moins certain que c’est un bijou authentique, pas taillé, ne serait que pour l'incroyable fantaisie, la totale liberté et la lumineuse extravagance de Marjolaine !

Quelle voix, quelle vigueur volubile, quelle finesse de jeu ! Jamais attirée par la minauderie ni la performance, la dame s'implique sans compter dans une richesse d'expression périlleuse qui est un réel tour de force et par certains côtés rappelle la démesure inspirée de Nina Hagen, en plus cultivée, plus timbrée.

Mais c'est quand même probablement du jazz ! Aux antipodes des jolies voix langoureuses pleurnichant des sucreries qui ont perdu le sens complet de la reprise, Marjolaine déploie un opéra vertigineux (abyssal !) en trois actes sur des poèmes de Tennyson, Lodge, Browning et Emily Dickinson (ça promet !)

La diva assène des coups de boutoirs vocaux issus d'un pire film gore, puis virevolte sur un sprechtgesang subtil, vocalise avec une aisance et une richesse de timbres que beaucoup de cantatrices renommées devraient jalouser, crie, joue d'effets sensuels ou provocateurs pour raconter des compositions personnelles (sauf une reprise !) énergiques et complexes, infiniment affinées et hallucinantes, percées d'œil du typhon ou d'éruptions sidérantes.


Bon raconté comme ça, le disque est parfait.


Il y a un petit bémol hélas : si la sorcière est irréprochable, si le disque est un chef d'œuvre grâce à elle, et si les musiciens qui l’accompagnent sont excellents, souvent imaginatifs et créent une trame exploratrice qui déroule un écrin intéressant et dans l'ensemble très respectueux de l'univers amer, inquiétant, drôle ou narquois et impunément lyrique de la dame, jamais ou presque ils ne parviennent à la suivre dans ses élucubrations.
Ils restent cantonnés dans leur truc du moment, excellent par ailleurs, mais décalé de la folie expressionniste de la patronne, s'appuyant sur des référentiels certes riches mais un peu figés.


Paradoxalement, lors des passages, parfois longs, où les musiciens jouent seuls, on les trouve formidables, bourrés d'idées rythmiques, chromatiques, organiques, bref ils auraient pu nous proposer leur propre opus dans ce même univers (venu de cette foldingue géniale de Marjolaine quand même) et j'aurais adoré.
Mais dès qu'Elle entre en scène et s'envole, bondit, plonge, s'amuse, ricane, gémit, psalmodie, gazouille, vocalise, eux restent le nez dans leur copie. A tel point que souvent, on souhaiterait presque qu'Elle manifeste ses orgasmes a capella !


Mais tout de même, un disque inouï, auquel je ne vois pas d'équivalent, un monde à part, dérangeant, qui ne plaira évidemment pas à tout le monde mais qui est d'une facture exceptionnelle, et ne repose certainement pas que sur les moyens vocaux stupéfiants de la Dame mais bel et bien sur l’intelligence du discours et la puissance percutante et sinueuse des compositions et arrangements !


Du coup je vais me précipiter sur son nouvel album : « to be an aphrodite or not to be ».


Quelques jours passent et :

Ah tiens, c'est fait : j'ai jeté une oreille ; et suis rassuré, l'esprit est le même et le résultat aussi déconcertant ! Un titre au moins aussi splendide, aussi ambivalent que Chronos !

Quelquefois se glisse l'impression d'une plus grande complaisance jazz, jamais très longtemps : on retrouve rapidement ce plaisir à fusionner les genres, franchir les frontières en bondissant, l'énergie de la "folie Marjolaine" déployée en grand sous des passages apaisants souvent confiés au vibraphone.

Fidèle à son opus précédent, on ne peut pas dire que la dame donne dans la facilité, même si à l'arrivée le résultat est moins sauvage et plus homogène au-delà d'une promenade outrancière au sein d'une fluctuante variation des genres et styles, des ruptures et des enchaînements virevoltants, totale désorganisation des rythmes, des codes, une ivresse des mots et des sons qui égare facilement pour produire une œuvre profonde. Mais qu'il est bon de s'égarer dans ce labyrinthe-là !

Marjolaine s'appuie sur des expériences variées, incluant une forte symbiose avec la musique contemporaine pour explorer sous un humour trouble certaines angoisses sourdes des sociétés modernes, et utilise le rapport au corps amoureux pour exprimer sa rébellion contre un puritanisme larvé. Comme sur son opus précédent, elle développe ses arguments dans une sorte d'opéra, une ballade onirique organisée autour d’un triptyque, A Lover, A Dance, A Child, qui par une complexe naïveté semble évoquer un itinéraire à rebours vers l’enfance.

Aphrodite nous guide à travers une série de poèmes d’Emily Dickinson dont la voix, jouée par la récitante Linda Thiry, s’entrelace dans un fouillis majestueux de couleurs avec celle toujours aussi herculéenne, bouleversée, nuancée, riche et habitée de Marjolaine

David Patrois, vibraphoniste, crée un climat hypnotique à lui tout seul, éloignant clairement ce nouveau disque de Chronos, Xuan Lindenmeyer, bassiste, Yann Joussein, s'immergent dans la pensée de l'artiste pour en devenir un lien naturel (Ah!).

Et quelques musiciens additionnels gravent des damasquinages typés soulignant des atmosphères spécifiques aux diverses évolutions de la thématique.
Mention spéciale à la trompette d'Alain Vankehove : elle se place d'emblée à une hauteur de jeu et de frénésie évitant de freiner la primadonna ; et à Juliette Stoltzemberg dont la (les !) flûte(s) accentuent la poésie lyrique de la belle. Et puis aux saxos de Christophe Monniot et Julien Pontvianne vraiment très animés, stimulant, envoyant des torons de flamboyance qui honorent l'exubérance de la Diva. Bref, mention spéciale à tout le monde !

Vous l'aurez compris, cet album est peut-être un peu moins outré que le précédent mais aussi plus cohérent car les musiciens se fondent en osmose aux élucubrations de la belle.

La mise en sons, peaufinée, léchée, installe une splendide scénographie sonore qui sublime l'intelligence fondamentale de l'opus.
    
Et puis la pochette est sympa, la dame (jolie) joue des voiles d’une Salomé moqueuse dans une série de poses aguicheuses.

A consommer sans modération.

 

Moutin Factory Quintet


novembre 2013

 


MOUTIN FACTORY QUINTET

Lucky People

Plus Loin Music



Par Pierre-Yves DB




Deux : c’est déjà géométrique et les jumeaux MOUTIN, François (contrebasse) comme Louis (batterie), scientifiques de formation, sont des experts reconnus dans l’art de se situer l’un l’autre par rapport à tout objet musical, de préférence coloré et percussif.

L’objet en question ici prend la forme d’un pentagone qui tenterait tantôt de circonscrire un cercle, tantôt de venir s’y nicher en prenant toutes les tangentes possibles et imaginables, au gré des envies ou des impulsions.

La « rythmique des frères », ainsi qualifiée par le milieu interlope du jazz hexagonal, s’est donc adjointe trois partenaires : Manu Codjia (guitare), Thomas Enhco (piano), Christophe Monniot (saxes alto et sopranino), aptes à tracer de nouvelles figures, à dilater l’espace-temps sans trop bousculer la perspective d’ensemble.

Sous cet angle, la greffe semble avoir bien pris.

Le carburant thématique est totalement fourni par Louis et François mais, rassurez-vous, les trois autres comparses ne se privent pas d’y faire infuser leurs décoctions personnelles, histoire d’en enrichir encore la teneur.

D’ailleurs, pas de « compositions » au sens convenu du terme. Plutôt des motifs relativement sobres, épurés, sans doute plus facilement malléables. Parti pris assumé d’une expression parfaitement libérée mais centrée sur le collectif car constamment ouverte à tous dialogues/interventions.

La Fabrique Moutin ne fonctionne pas sous le signe de l’ego, pas davantage sur un mode improbable du genre « François, Louis et les autres ». Elle est la somme de 5 voix égales dans des registres singuliers.   

Que dire maintenant d’une 1ère production tout juste sortie d’atelier ?

Surtout pas d’exégèse censée calibrer au millimètre 10 propositions mutantes et fluctuantes par définition, s’adressant autant à notre part sensorielle qu’à l’imagination. J’en suis incapable...

D’abord qu’une constante sans variable sous-tend toute l’écoute : aucune surexposition des idées (serait-ce l’héritage de Monk ?)

Ensuite, qu’il vaut mieux peut-être, dans ce genre d’exercice, m’en tenir à des impressions même fugaces, bribes de mémoire évadées un moment, quitte à les livrer pêle-mêle. Les titres indiqués ne sont à prendre que comme des repères, un fil d’Ariane en quelque sorte :

-    Saxe alto sinusoïdal, méandres aquatiques hésitant entre furie et douceur, guitare rêveuse… (lucky people)

-    Pas de danse de la basse, subtils unissons piano/basse puis saxe sopranino/guitare, cymbales superbes ouvertes aux arabesques d’un piano lumineux contrastant les étirements d’une guitare habitée, saxe en vol libre… (dragonfly)


-    Chanson du souffle, tendresse d’un piano tout en retenue coloriée par une basse qui s’émancipe au fur et à mesure… (soul)

-    Citations pleines d’humour sur fond de groove, en ping-pong, tomorrow is the question ?... (ornette’s medley)

-    Climats aventureux, inquiétude, incertitude fiévreuse, tension permanente, guitare écorchée, walking bass comme un retour vers le be-bop… (relativity) peut-être le titre le plus riche en variations/séquences

-    Superbe intro du piano, un poil mélancolique, lever du gris sur un ciel d’intervalles… (forgiveness)

-    Basse à la Jaco Pastorius, joli clin d’œil à Weather Report, ombre de Wayne et de Joe… quand tu nous tiens !… (busy day)

-    Miroirs amusés et double regard sur un jazz « old school », jeux d’aller-retour en mouvement perpétuel. Pourquoi Manu Codjia me fait-il penser à John Scofield? Le son, le phrasé?... (moving on)

-    Vraie alchimie du verbe électrique, utilisation archi pensée des effets (delay/volume), opération à vif de la note jusqu’à sa déstructuration, thème bâti comme un riff sur le déséquilibre entre contretemps et syncope, pulsation apaisée de l’instant sur un pas de glisse… (you’ll be fine)

-     Saxe colemanien, combat d’une mouette contre un big band… (conflict)  



Une conclusion ?

L’ouvrage est plus que séduisant, hypnotisant même par moments.
Manifestement, le pentagone a trouvé son centre de gravité dès sa 1ère sortie.

Un souhait ?

Que la fabrique Moutin ose encore davantage. Quand on sait le talent des musiciens qui la constituent, le risque n’est pas bien grand.

En tout cas, l’envie de les entendre en concert.


ONPL le 10 juin 2015


 

ONPL le 10 juin 2015

-    Haydn, symphonie n°1
-    Ravel, Concerto en Sol
-    Chostakovitch symphonie n°10

Bertrand Chamayou au piano
Thierry Fischer, direction

 


Certains se sont étonnés que j’écrive de moins en moins ce genre de chronique.

Est-ce que je vais moins souvent au concert ? Pas sûr, ai vu et entendu quelques jolies choses en jazz et pop/rock, mais pas eu envie d’écrire ; est-ce dû à la sensation de me répéter ? Possible ou alors pas envie d’être tiède à propos d’artistes que j’aime beaucoup par ailleurs.
Moins de concerts, globalement non mais ceux de l’ONPL sans aucun doute oui, ça devient insupportable cette banalité moyenne rasante, Dusapin est probablement un compositeur talentueux mais pas toujours bouleversant quand même et son pote Rophé décidément ne fait pas décoller notre Orchestre chic mais pas choc. Pour l’instant l’ère Rophé est une mi-temps plan-plan. J’aimerais savoir si cet orchestre connaît toujours le plus fort taux d’abonnement du pays alors que souvent considéré dans la profession comme, disons… perfectible ; mais j’en doute ; pour l’année prochaine il ne faudra pas compter sur moi, sur nous, car nous sommes quelques-uns à nous décourager.

Toutefois, ce que j’ai entendu hier m’a donné envie de reprendre le clavier pour remercier au moins Bertrand Chamayou et Thierry Fischer et les musiciens de l’orchestre qui ont donné sincèrement. Pas tous.

Passée une fadasse 1ere symphonie de Haydn (on aurait tendance à oublier qu’il a bien fallu qu’il y en ait eu une première !), fadasse parce que cette musique de cour était jouée gentiment mais sans enthousiasme, sans élan ou allant, sans finesse ou liberté (le programme stipule rythme endiablé pour le dernier mouvement ? Les diables avaient sans doute trop copieusement dîné !) arrive ce qui probablement m’intéresse le plus ce soir : Le Ravel avec Chamayou.

Qui ne m’a pas déçu ! Elégance permanente sans la moindre posture (ouf !) son jeu est en phrasé continu, liquide, si insensiblement fluent, les doigts caressent le clavier susurrant une musique limpide et délicieuse, des pastels d’une pureté harmonique au-delà du poétique, et l’homme, regardant souvent ses collègues musiciens,  a la gentillesse de suivre ses camarades, préférant pardonner les faiblesses de l’orchestre, se recalant si nécessaire pour corriger la dérive temporelle d’un hautbois, une flûte ou une clarinette au lieu de jouer les divas, distillant des nuances imaginatives comme pour mieux cacher le manque totale d’icelles dans l’orchestre.

L’interprétation générale, si elle ne renouvelle pas le genre, est enthousiaste et enlevée avec un sens du rythme préféré par Thierry Fischer à celui des nuances dynamiques, ayant probablement choisi de ne pas chercher l’impossible, à savoir les deux, car la finesse, Chamayou s’en charge tout seul en se fondant dans la masse le plus souvent, s’en extrayant avec grâce quand il le faut, transformant ce bel exercice, cet écrin dévertébré en un concerto pour orchestre avec piano ce qui personnellement me convient parfaitement, principalement dans le deuxième mouvement jamais dégoulinant mais simplement très beau, très pur, infusant une vénusté attendrissante d’une saveur rêvée. Une caresse sur la peau d’une femme pendant une danse sensuelle, du jazz au slow, la chaleur des corps, un piano affectueux dans un orchestre se démenant sur une scène doucereuse.

Fischer favorise donc de suivre les jeux de teintes du pianiste, les errances jazzy du texte plutôt que de chercher à imposer une impossible réserve à ses mauvais élèves et le résultat, sympa mais pas transcendant quand même, est de nous avoir proposé un généreux moment en compagnie d’un artiste majeur, humble et discret, procurant une douceur fluide à son clavier impressionniste à souhait ! Un bon moment, d’autant qu’à défaut de légèreté, l’orchestre a fait preuve d’une manifeste bonne volonté et d’un ensemble qui fait hélas souvent défaut, ne trahissant jamais l’esprit du texte si inventif que, en dépit d’une instrumentation étonnamment légère, Ravel assène de puissants effets sonores.

Ce Fischer me plaît ! Magnifier la musique française avec l’ONPL, c’est une performance !

Splendeur pianistique transcendante dans Jeux d’eau offert en bis par Chamayou, qui imprime dans une œuvre plus techniquement difficile qu’il n’y paraît des accents lisztiens parfois, bartokiens encore, avec une évidence et un humour tendre absolument émouvants. Et toujours, ce courant doré, fontaine liquide, éclats d’orage et gouttelettes en suspension, un tableau, une peinture de maître, Chamayou recrée du Monet sous nos yeux et oreilles émerveillées par les faunes en goguette…

Un grand monsieur je crois, pourvu qu’il continue à travailler avec patience, intelligence et distance. Si le métier lui en donne l’opportunité et ne le ruine pas, s’il sait garder la distance de l’humilité.

10ème de Chostakovitch frappée dans une sorte d’urgence violente et sidérante, qui fonctionne plutôt bien même si le second degré ironique, les zones sensibles ou mystérieuses que sait dégager Sanderling par exemple, sont zappées au passage.

Les quatre mouvements se ressemblent un peu trop, le monumental et complexe premier est plus impressionnant et miroitant que sombre et intérieur donnant un ton général un peu bourrin qui, n’en déplaise aux amateurs de spectacles zim boum boum, n’est pas la seule option pour jouer Shosta.

Dans le deuxième, la progression est plutôt bien agencée et le troisième enfin assez varié, orné de ruptures habiles.

Le quatrième, tout en paradoxes, voit sa structure, flottante, comme en attente d’un paroxysme qui ne viendra jamais vraiment, un désenchantement entre peur et provocation, correctement respectée en dépit de l’absence quasi-totale de mystère et clairs obscurs indispensables …

Curieusement, dans ce déferlement tonitruant, Fischer s’autorise et réussit quelques belles parenthèses figées, de rares instants où le temps est suspendu, et l’orchestre devient délicat, beau travail des cordes soit dit en passant, offrant une ductilité à laquelle nous ne sommes pas habitués ici, et des couleurs « somptueuses » (j’exagère un peu mais la perception du boisé est si rare à Nantes), les bois pourtant très applaudis ayant avant tout réussi l’exploit d’être un peu trop bruyants à mon goût, ce qui n’est pas gênant dans Shosta mais était un poil plus énervant dans le Ravel.

Une bonne soirée donc, niveau minimum de ce qu’on devrait attendre d’un tel orchestre de province, soit, et une vraie découverte :
Pas Chamayou évidemment qui dans son triptyque génial des Années de Pèlerinage prouvait sa maturité inouïe, sa technique irréprochable, son sens des pastels et son intelligence conceptuelle…

… Mais Thierry Fischer, très efficacement expressif dans sa gestuelle jamais guindée, qui a parfaitement su composer avec les qualités et failles de l’orchestre d’un soir tout en affirmant une envie de couleurs et une qualité de swing de haut niveau !

Je le proposerais volontiers comme chef permanent.

 


ONPL, concert du 26 novembre 2014


27 novembre 2014

 

Concert à l’ONPL, soirée Symphonie Romantique du mercredi 26 novembre.

Debussy, 3 études apparemment orchestrées par Michael Jarrell

Mahler, Lieder eines fahrenden Gesellen

Véronique Gens, soprano 

Bruckner, symphonie n°4

Direction Pascal Rophé

 

Rien à faire, vouloir donner des soirées à thème, ça me fait toujours un peu sourire, et réunir dans un même programme sous l’idée du romantisme Mahler, Bruckner et Debussy, mouais, c’est vraiment histoire de trouver un thème.

Cependant la musique "romantique", théoriquement je suis preneur...

 

Les premières notes de Debussy s’annoncent bien, égrènement les frétillements lyriques d’une légèreté aérienne de bon aloi sans toutefois atteindre l'apesanteur debussienne idéale, quelques jolies touches de couleurs tissent cette toile qui synthétise assez bien l’univers diaphane et impressionniste de Debussy, ce M Jarrell a bien appris ses leçons.

Mais rapidement l’ensemble manque un peu de ces nuances limpides de glissandi murmurés qui évaporent la magie sensible de Claude D.

Une introduction pas désagréable mais pas indispensable non plus.

 

Orchestre pléthorique pour la suite, ce magnifique et court cycle de lieder de Mahler.

D'emblée le même constat s'impose : pas de nuances dans les attaques de notes, surtout les vents. Néanmoins quelques pastels raffinés font plaisir à entendre et puis surtout l’écriture méticuleuse de l’orchestre-écrin de Mahler est si accaparante que la musique passe en dépit de l’approximation.

Véronique Gens - que j’aime beaucoup par ailleurs - ne me paraît pas tout à fait à son aise dans ce registre (et cette langue ?) et son timbre reste un peu banal notamment dans les ardeurs quasi-wagnériennes où la voix blanchit plus encore et l’articulation, déjà pas très nette d’où je suis, disparait complètement. En outre, si le chant est là, élégant et puissant, on a connu des conteuses plus inspirées, plus volubiles pour narrer ces poèmes bucoliques sillonnés de douleur toute goethienne.

 

Bruckner enfin.

Un début de cordes imperceptible très vite écrasé par le déferlement des cuivres qui transforme ce premier mouvement en concerto pour cordes et fanfare de carnaval.

C’est inaudible et incompréhensible, sans intention détectable, si ce n’est qu’on suppose que toutes les notes sont bien là et j’en arrive à redouter, dans les échos répétitifs de Bruckner, les instants où l’armée va à nouveau attaquer sabre au clair. Les cuivres se calment un peu à la fin du mouvement et aplatissent un peu moins les pauvres piétons sous leurs assauts, mais trop tard, le mouvement est fichu, on n’y croit plus, personnellement je songe même à m’éclipser.

Certes, Bruckner lui-même parlait de cavaliers sur de fiers chevaux, mais pas de charge d’une horde barbare déferlant sur de frêles vierges…

 

Je pars ? Allez, non, je reste…

 

Très beau deuxième mouvement ! Quelle splendide surprise... Un remarquable travail des cordes, délicates et quasi sensuelles, beau jeu d’aquarelles entre les registres, c’est presque frémissant ! Presque... mais formidable quand même !

 

Troisième mouvement réussi, même si un peu mécanique dans sa scansion et ses répétitions, les boucles brucknériennes s’accumulent plus qu’elles ne s’enchaînent, pour autant les cuivres à la fête dans cette verve de chasse à courre procurent de beaux éclats sidérants. Pas mal en dépit, toujours, d’un manque de nuance des attaques de note, particulièrement le flutiste au sein d’une petite harmonie par ailleurs colorée. Travail soigneux des cors, suaves et réservés.

 

Evidemment ça se gâte dans le dernier mouvement.

Car il est énoncé comme un rabâchage exact de la succession de blocs systématique du 3ème mouvement.

Et du coup appauvrit l’œuvre par une construction uniquement machinale et répétitive, médiocrement prosaïque, où les variations se succèdent comme un défilé militaire.

Non, la rhétorique brucknérienne ne doit pas être, ne peut pas être ainsi : ce dernier mouvement fonctionne sur un élan perpétuel, un enchainement virevoltant de tourbillons, la mobilité infinie d'un bal enivrant, pas une répétition systématique de manies métronomiques et bruyantes. Ajoutons encore le manque de souplesse des bois et cuivres (sauf les cors) sapant la ductilité des cordes excellentes mais un peu submergées et on rate ce dernier splendide flot puissant, à l’exception de l'ultime crescendo gracieux et mesuré, quelques mesures de vraie compréhension et bonheur.

 

Une honnête soirée, pas une catastrophe, loin s’en faut, ni évidemment une découverte où un moment de frissons.

 

Peut-on attendre mieux de cette phalange très irrégulière ? On finit par en douter… Au moins ce soir, ils jouaient ensemble.

 

Toutefois, en sortant, on se demande quand même pourquoi cette symphonie de Bruckner est qualifiée de « romantique ».

 

AC

 

 

 


concerts des 5 et 27 novembre 2013


27 novembre 2013



ONPL dirigé par Alain Lombard


Bartók : Musique pour Cordes, Percussions et Célesta

Dvorak : Symphonie n° 8.



Une fois n’est pas coutume, je vais faire bref : une version très civilisée du Bartók, quasi de boudoir, procurant des frissons délicieux lors des moments mystérieux, poétiques à souhait, et une ductilité louables des cordes dans les moments où on aurait aimé un peu de tension nerveuse, d’intensité, de rage.

Mais bon, ce tempo modéré partout, ce refus de l’engagement se défendent et offrent une perception intéressante de l’œuvre d’autant qu’elle met en relief de belles couleurs boisées des cordes.

Moyens pléthoriques pour Dvorak. Un démarrage fusant sur ce qui n’apparaît à la longue que comme une succession d’hymnes nationaux, d'assauts de cavalerie, de bucoliques désuètes et de pastorales naïves.

Les bois, très sollicités, sont prosaïques, les cuivres, issus d’une fanfare, claironnent avec enthousiasme et, hormis un superbe passage au milieu du second mouvement, très sibelusien, délicat, fourmillant de douces teintes et frémissements, le reste ne sera que caricature d’une musique elle-même très exposée au sourire qui, si elle n’est pas envisagée en subtilité de jeux de couleurs, tourne à la farce hollywoodienne.
Or ici, tout était tout le temps trop fort, pas en place, un joyeux fouillis ponctué de coups de busina d’une légion romaine en déroute, ou bien d’une charge grotesque du 7ème de cavalerie façon John Wayne dans laquelle on excusera évidemment un total défaut de synchronisme entre les cow-boys et les indiens.
 
Lombard essayait vainement de remettre de l’ordre dans tout ça en chantonnant, grognant, tapant du pied, mais rien n’y faisait, le rendez-vous ne pouvait avoir lieu qu’à la coda.

Ceci étant, au moins a-t-on bien rigolé !

Certes, l’œuvre souffre sans doute de cette manie de l’auteur de se complaire dans la grandiloquence du drapeau, mais nous avons quand même connu des versions plus habiles à éviter l’emphase au profit de pastels sublimes, tel Kubelik ou Kertesz.



Quand je pense que je n’ai pas chroniqué un concert d’il y a 15 jours avec Pascal Rophé où nous avons eu droit à un Dumbarton Oaks de Stravinsky très nuancé, très coloré, très réussi où seul manquait le déhanché rythmique auquel John Axelrod nous avait habitué, un concerto pour violoncelle de Chostakovitch un peu sage, négligeant la folie guerrière (voire un peu vulgaire !) de certaines versions d'anthologie, néanmoins superbement interprété par le jeune Edgar Moreau, pas vraiment flamboyant mais appliqué et préférant le phrasé à l’engagement, un Tombeau de Couperin de Ravel coloriste et délicat même si un rien trop vertébré et ennuyeux et une Symphonie Classique de Prokofiev certes survolée mais honorable, soit un bon concert à l’arrivée, je suis pris de remords !

Toutes mes excuses.
 

Parisien, Tricky, Neneh Cherry, Cassard


26 ctobre 2014

 

Emile Parisien Quartet, Tricky, Neneh Cherry, Schubert par Philippe Cassard

Par Alain


Emile Parisien Quartet, Spezial Snack
Julien Touery (piano), Ivan Gélugne (contrebasse), et Sylvain Darrifourcq (batterie).
Label ACT

J’avais brièvement évoqué il y a quelques années le deuxième opus de ce saxophoniste déjanté et son quartet jazz : « Original Pimpant ».

Qu’en est-il quelques années après cette formidable découverte, ce disque qui revisitait la musique du XXème siècle, une sorte de déstructuration de concepts divers ?

Emile Parisien, on le voit partout depuis quelques temps, Humair, Peirani, Portal, Céléa…

Ne va-t-il pas se brûler les ailes à force de s’exposer ainsi ?

Pas sur cette nouvelle parturition en tout cas !

Après un passage intermédiaire par un très chouette « Chien-Guêpe » qui affinait les sonorités du groupe, notamment la magnifique harmonisation piano/saxo, « Spezial Snack » semble boucler la boucle en restructurant le discours, enfin, si on peut parler d’explosions restructurantes.

D’ailleurs, doit-on absolument considérer qu’on a affaire à du jazz ?
Certainement pas : c’est de la musique d’aujourd’hui au sens large, contemporaine au sens exact, si vigoureusement imaginative et enthousiasmante, loin des foins idiomatiques, convoquant Shorter et Coleman peut-être, mais pourquoi pas Berg et Varèse ?

Cinq plages, cinq fleurons inventifs, malins, extravagants, erratiques et atmosphériques, en perpétuelles oscillations, rythmiques parfois, chromatiques souvent (au sens visuel, les couleurs fusent en feu d’artifice), des variations brutales, sortes de heurts maîtrisés, jamais chaotiques, d’interruptions brutales mais drôles, engendrant, selon moi, un album de photos aux motifs serrés dont les ambiances sont indescriptibles mais plutôt faciles à lire, plus qu’à jouer toutefois car les compositions accidentées demandent une complicité que ne peuvent porter que des virtuoses qui se connaissent par cœur, d’instinct, qui jouent inlassablement ensemble, tellement l’exécution acrobatique est maîtrisée et jamais démonstrative.

Musiques quelquefois un peu techniques, conceptuelles, riches de thèmes et de développements, avec une réussite particulière pour la composition de Julien Touery, un climat oppressant qui s’installe graduellement puis s’emballe dans un long suspens à vif, geyser de folie puissante où les musiciens sont plus que 4 tant l’intensité déployée burine un réseau de fièvre et de transe.
Un batteur qui n’hésite pas à flirter avec le funk, le rock, percussionniste transgenre, il varie ses effets avec une aisance qui tourne au panache, un son de pied puissant qui impose le tempo profond, un bassiste fluide et élégant, un pianiste aux couleurs troublantes ou déglinguées, utilisant toute la gamme du piano et n’hésitant pas à superposer ses doigts agiles à ceux volubiles d’Emile Parisien créant en duo la volupté magnifique d’un instrument nouveau, et bien sûr Emile Parisien particulièrement affuté, brillantissime, dont le son est toujours aussi beau (mais comment fait-il ?) et les dérives lyriques toujours aussi animées, devenant sa marque de fabrique sans pour autant qu’on puisse vraiment déterminer s’il y a un leader au groupe car la fusion est idéale, la place de chacun fondu dans un tout unique, musiciens unis, tendus vers un but qu’ils servent à la perfection, sans jamais oublier l’humour, la distance, la capacité à plaisanter qui donnent cette verve si « speziale » à cette formation plus qu’attachante : décapante, puissante, virtuose, ensorcelante…


Petit regret personnel et burlesque : je me suis pris plusieurs fois à attendre le chant de Marjolaine Reymond sur les dévergondages du Quartet tant la structure mentale, libre, onirique, sidérante semble créer un lien immédiat entre les créativités richissimes de ces artistes supérieurs.

 

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Tricky
Adrian Thaws


Je suis fan de Tricky, je n'y peux rien, c'est comme ça.

Pour ceux qui ne connaissent pas l’enfant de Bristol, Tricky Kid est un des initiateurs de ce style difficile à définir, le Trip-Hop ; il a collaboré avec Massive Attack (pas longtemps, il était mal à l'aise avec le succès et la dérive commerciale du groupe), avec Björk et d'autres et a produit l'extraordinaire premier album de Martina Topley-Bird qui est un instant majeur de ma discothèque, « Quixotic », beau, sensuel, délicat, magique, enchanteur, je le recommande chaudement.

Ça ne m'empêche pas de reconnaître qu'il y a parfois du moins bon chez Tricky, genre Blowback, voire du très discutable (Mixed Race) mais je préfère retenir les puissants Maxinquaye, Pre-Millenium Tension, Nearly God, je ne garantis pas la chronologie.


Qu'en est-il de l'éponyme Adrian Thaws ?

Dans la mesure où on attend parfois d'un artiste important qu'il se renouvelle sans cesse, on va classer cette nouvelle offre dans la bonne moyenne, un assemblage un peu fourre-tout des différentes facettes du galopin ; mais dans la mesure où on accepte de Tricky qu'il tombe un peu dans les manies de Tricky, c'est un disque formidable.


La faille est sans doute qu'il commence très fort, un enchaînement de 4 titres absolument sans faiblesse qui vont sans doute faire pâlir un peu la suite ; le 4ème titre, « Keep me in your shake », n’est pas super original mais Tricky donne le tournis avec la trouvaille stupéfiante d'un effet violent et vertigineux dans les fréquences graves qui est un climat à lui tout seul (à condition que le système de reproduction suive).

Notez que le registre grave est particulièrement travaillé sur l’ensemble du disque, gros son garanti mais dans une composition de timbres soignée !

Alternances de morceaux simples mais groovant à souhait, de ballades sombres, de jets d'énergie ou de fuseaux de tension épuisante (« My Palestine Gril » : du Tricky de la meilleure veine, ce débit inimitable qu’on aimerait entendre plus souvent dans l’opus, une chanson sévère, ensorcelante, inquiétante !), l’enchainement des couleurs du bonhomme, originales, précises, cinglantes ou enveloppantes, tient la route ; en dépit, ça et là, de chenaux sans grande saveur, on parcourt la galaxie Tricky en un seul disque irrégulier, qui définit bien le style du Kid: des sonorités personnelles, des arrangements quasi-minimalistes, un titre, un thème (2 rarement), une couleur !

Pour ceux qui ne connaissent pas ce thaumaturge du son, ce peut être un bon album de découverte, de belles idées, une forme de synthèse, un peu orientée danse, même si on peut regretter de ne pas entendre plus longuement la voix vraiment « space » de Tricky au profit certes d'une bande d'invités attirants.

Un bon cru qui vous donnera, j’espère, l’envie de découvrir plus loin le parisien d’adoption.

 

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Et si on restait dans le trip-hop, tiens…

Neneh Cherry, Blank Project.


Oui bon, ça a quelques mois déjà, mais pour une artiste essentielle de la soul qui n’a rien sorti de majeur en 15 ans (quelques participations ça et là notamment avec CirKus qui n’est quand même pas bien passionnant), et enchaîne en quelques mois deux projets totalement originaux, the Cherry Thing en hommage à papa et Blank Project histoire de prouver qu’elle a beaucoup à dire et qu’elle ne craint pas les petits jeunes, je ne vais pas me priver…


Vous ne connaissez pas Neneh Cherry ?
Honte sur vous.

D’abord parce qu’elle est une belle femme, dans tous les sens du terme, et une chanteuse singulière dotée d’un « move » sans équivalent, Manchild (Raw like sushi) quelques souvenirs érotiques en prime sur cet album (Myryam où es-tu ?) puis l’absolument sublime Homebrew avec les titres beaux à pleurer, « Move with me » :

move with me, I’m strong enough
to be weak in your arms
move with me, I’m strong enough
to be real in your arms

… quand même ! et l’apocalyptiquement pudique « Red Paint » suivi de l’inégal album « Man » et le super tube « 7 seconds » avec Youssou N’dour qui éclipse malheureusement  les extraordinaires « feel it », « golden ring » (un lyrisme curieux de guitare espagnole survolant un sfumato de cordes comme une brume issue du désert) et le puissant, très puissant « carry me », et partout le chant sans aucun, je le répète, aucun équivalent de Neneh Cherry.

Blank Project  donc

Enregistré par Four Tet dans une église.

On ne peut pas imaginer une seconde ce que cet album non identifiable va donner, qui s’inscrit en fluidité introvertie dans une sorte de, de quoi, hip hop lent, soul détorse, pop déstructurée ? Comme Parisien désorganise le contemporain, on est ici en mouvement dans une errance fluide, parfois inquiétante, prise d’une passion assagie, assumée, slam, électro, pop et fusion. Les sons plutôt minimalistes, les rythmes, la solennité quasi religieuse sont déstabilisants à souhait.

Il y a dès la première chanson, grave, lente, scandée, posée, au tempo profond, une forme de mysticisme qui s’installe au premier pied de batterie,

Mais aussitôt apparaît le problème de l’ensemble du disque. Le tempo est profond mais jamais on ne va au fond d’icelui. Curieusement, si l'ensemble de l’opus est beau, inventif, ça ne groove pas, il y a quelque chose de plat, un phrasé hypnagogique dans le swing, un rien mécanique, et la sublime chanteuse soul ne parvient pas vraiment à voguer au-dessus de cette machine sophistiquée (l'univers somptueux et poétique de « 422 »), sauf peut-être dans le tourmenté et inspiré « spit three times ».

Le chant de la belle est sincère sans aucun doute, vient du cœur et en frissone, même si la voix semble fatiguée alors qu'elle était parfaite sur l'étrange Cherry Thing, pour autant la vibration est simplifiée, la ligne un peu trop lisse.

Bon, il ne faut pas exagérer non plus : il y a tout de même dans le chant une fragilité sublime, une tendresse bienfaisante qui pose un contraste ambivalent entre la rigueur plastique des arrangements et l’humanité décalée du lyrisme émouvant de la dame.

Donc il faut bien évidemment acheter ce Blank Project parce que c'est original, beau et c'est Neneh Cherry.


Un petit mot de the Cherry Thing : un album hommage à (beau-)papa, en compagnie de musiciens suédois de free jazz (the Thing) (la dame est suédoise), qui donne un truc bizarre, inédit, la juxtaposition réussie de la voix soul et poétique de Neneh sur les dérives emballées du trio. Pourtant, l’ensemble est un peu répétitif à cause des codes du free jazz que des musiciens très talentueux sans aucun doute ne parviennent pas à sublimer vraiment.
L’album est trapu, charpenté, déterminé voire fou par instant, mais ne sort pas d’une sorte de ligne un peu grasse dont on peut se lasser vite en dépit de la frénésie d’un saxo ultra-technique, d’un batteur aux bras d’acier et d’une rythmique structurée comme les fondations d’une centrale nucléaire.

C’est un exercice sans repère, sans équivalent, porté par une chanteuse dont la vocalité irradie la sensualité et l’ironie dans un même mouvement lyrique puissamment empoignant et qui fait regretter 15 ans d’absence d’une artiste absolument irremplaçable.


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Schubert

Par Philippe Cassard
Sonate piano D959
En duo avec Cédric Pescia
Rondo D951
Allegro D947 "Lebensstürme"
Fantaisie D940

Dolce Vita

 

Un disque consacré à l’année 1828, dernière année de composition d’un Schubert très affaibli mais qui, comme libéré de la présence de Beethoven ou pressentant une fin proche, écrit fébrilement et dans une affirmation de soi abrupte : il jette tout et son contraire dans ses figures acrobatiques, ruptures brutales de forme, emballements dynamiques, jets de couleurs, une audace inouïe dont on comprend sous les doigts de Cassard la violence impérative, la peur peut-être.

Car Cassard joue ce jeu à fond, martèle les ruptures, ose les éclats, glisse subtilement dans les écarts d’émotions croisées, jamais les passages tendres ne sont mièvres mais tendus par une sorte de fièvre permanente qui n’est pas précipitation mais urgence, Cassard prend en charge cette brusquerie, cette vision du chaos, et déploie comme un éclairage interne d’une folie soudaine, sculpteur du clavier, sous ses doigts l’esprit et le cœur deviennent matière, il ne craint pas de révéler la chair meurtrie d’un Schubert frénétique, rageur que dévoilent certains passages fusant comme des coups de flingues nous laissant aussitôt au bord du précipice dans des silences interdits ou de longues ondes d’apaisement sans pour autant en faire une figure systématique une posture, il sait exactement quand cette démesure doit céder la place aux nuances, aux reflets du passé proche d’un compositeur jeune, rêveur mais épuisé et meurtri.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir écouté ce dernier épisode schubertien et ses contradictions enfiévrées aussi franchement assumé.

Bravo !

Un petit bémol : la prise de son un peu lointaine gomme légèrement la folie hébétée qui anime les musiciens mais sans que ce soit rédhibitoire pour autant.

 



Peirani, Van der Aa, Ligeti, Youn Sun Nah et Woodkid


Mai 2013

Peirani, Van der Aa, Ligeti, Youn Sun Nah, Woodkid

Par Alain


Ça fait un petit moment que je n’ai pas eu l’occasion de m’exprimer côté musique ou billets d’humeur (j’étais coincé par un problème technique sur mon ancien site !), aussi, par crainte d’avoir un peu perdu la main, vais-je recommencer en douceur.


Et donc par un instant de douceur :


Thrill Box de Vincent Peirani (accordéon), digne héritier de Galliano ou Mille, surpassant parfois ses pairs sur les jeux de couleurs et sa façon très poétique d’étendre la note avant de l’éteindre.


Pour son premier disque sous son nom (je crois) il est accompagné du pianiste Michael Wollny et du contrebassiste Michel Benita, ainsi que deux guests : Michel Portal et celui dont nous adorons les fantaisies audacieuses avec sa formation, Emile Parisien !


Le premier morceau, lente variation sur un thème des Chants d’Auvergne de Canteloube, donne le ton : un travail chromatique et rythmique exquis, très émouvant, s’exprimant dans un programme varié s’inspirant de sources divergentes, même si Baïlero reste isolé pour passer ensuite à des structures d’arrangement un peu plus habituelles mais toujours singulières.


Le piano très libre, très inventif, souvent très puissant de Michael Wollny garde tout au long des morceaux une place prépondérante, s’appuyant sur des éclats de doigts vigoureux, des contrastes habiles, et surtout sur une façon très déliée de se décaler du tempo, les notes souvent attaquées un peu en avance, rendant d’autant plus sensible la douceur posée, étirée des climats atmosphériques de Peirani. Le mélange des deux instruments crée un jeu de couleurs délectable, tout simplement beau, même dans les moments de lâcher-prise où les musiciens s’emballent soudain avec une urgence créant des climax magnifiques. La contrebasse de Benita, singulièrement solide, tendue, profonde, sait chanter chaude et libre et s’accorder aux moments puissamment tendres comme aux rondes exubérantes, aux danses chargées d’ivresse voluptueuse ou aux instants de distance humoristique telle que la pratique couramment le saxophoniste Emile Parisien, dont l’intervention dans cet album superbe et riche de bout en bout, prouve une capacité au lyrisme qu’il met rarement en avant.


Portal inspiré mais sobre grave dans les flux multicolores de Peirani le grain profond de sa clarinette basse comme un inoubliable témoignage du respect accordé à un jeunot !


Magnifique.


Prise de son plutôt réussie même si la mise en espace semble incertaine et la contrebasse de Benita un rien trop musclée, les timbres sont riches, délicats ; du bonheur !


Thrill Box, publié par ACT

 

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Ensuite, un album moins facile sans doute, une succession d'expériences éparses qui pourraient sembler dans le désordre tant les couleurs et idées ne se ressemblent pas d’un segment à l’autre, formant des univers dérivant :


Troops de Liesa Van der Aa.


Violoniste de formation (et clairement la maîtrise musicale est solide !), ayant participé de près ou de loin à quelques expérimentations du laboratoire Einstürzende Neubauten, la jeune chanteuse belge Liesa, voix basse et expressive, nous propose 10 morceaux explorateurs, des instants métissés qui se bousculent entre progressif, pop-rock et espaces sonores étranges et somptueux, atmosphériques, parfois électro, racontant la vie, amour et mort liés par l’absurde, des extravagances festives débouchant sur une parade de zombies indus.


Le tout ne semble pas vraiment construit pour faire un ensemble cohérent, mais chaque pièce de l’opus est puissante et ensorcelante, une curiosité biscornue, bourrée d'idées et de couleurs mystérieuses, oscillant de plages mélodieuses et poétiques vers d’autres jouant sur les nerfs, irritantes ou hypnotiques, artyhmiques et inattendues, élans gouailleurs dans lesquels grincent les sourires de Kurt Weil, la demoiselle torture quelquefois son violon jusqu’à en sortir des couinements plus crispants encore qu’un violon baroque mal joué, ou empile des combinaisons de merveilleuses sonorités chromatiques (ou pas !), complexes pas toujours faciles, parfois dissonantes, pas forcément neuves mais qui à l’arrivée créent un monde lui appartenant bel et bien et une sorte d’unité finale qui laisse perplexe. Pas un instant de répétition, pas une mesure sans idées nouvelles, rupture de rythme, de couleur, des couches supplémentaires sans jamais frôler la surcharge, bien au contraire, c'est tout en subtilité, en foisonnement pétillant !


Une atmosphère souvent obscure, une cathédrale hybride, brechtienne, pas franchement humble mais parfaitement aboutie, frappadingue sans être barrée ou inaccessible non plus forment un opus d'une intensité totale et indéniable, même si on n'est pas forcé d'aimer.

Mais on se demande qui pourrait ne pas aimer : autant d'idées lyriques ou chromatiques ou rythmiques si originales et réussies, n'est-ce pas la définition du chef-d’œuvre ?
 

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Un autre disque ?


Soit :

Pour rester dans le travail sur les couleurs et les dissonances, je propose du György Ligeti, une « compil » Deutsche Grammophon associant des œuvres pour orchestre, Atmosphères (1961) et Lontano (1967) par le Wiener Philharmoniker et Claudio Abbado (si si ! Et en live : rien que pour ça, ça vaut le coup !) ou encore Melodien par le London Sinfonietta et David Atherton, œuvres pour orgue, Volumina et Harmonies par le complice de Ligeti : Gerd Zacher, pour chœur, Lux Aeterna par Norddeutschen Rundfunks, et Ramifications pour orchestre à cordes par l’Intercontemporain et Boulez.


La version d’Atmosphères par Abbado justifie à elle seule l’achat du disque, ce jeu de pures teintes sonores amoncelées sur des motifs très brefs organisés en une accumulation sur une même hauteur de différents instruments est ici magnifié par les parfaites sonorités de Vienne et la lente diction orchestrale impeccable menée par Abbado qui sculpte les superposition de timbres comme issues d’un seul instrument polyphonique et balance les clusters comme autant de dramatiques éclats telluriens.


Lontano, lente avancée mahlérienne d’une aube musicale sortant des ténèbres dans un accord détiré et fluctuant entonné par les vents puis les cordes, qui resplendit bientôt, sous une brume d’étrangeté, et progresse patiemment, enchainant d’oblongs crescendos et décrescendos, une dérive onirique basculant vers une supplique quasi douloureuse de plus en plus forte et aiguë avant le retour aux mouvements étirés offrant une richesse chromatique totalement surprenante, un enchaînement de couleurs difficile à décrypter mais si ensorcelant, toujours sublimé évidemment par Vienne et Abbado.


Je ne vais pas détailler tout le disque mais il n’y a pas un instant d’ennui et la qualité de captation est irréprochable sur des univers musicaux pourtant difficiles autant à enregistrer qu’à reproduire, tournant surement au comique sur bon nombre d’orgueilleux systèmes hifi.

 

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Les déceptions maintenant ?


Lento de Youn Sun Nah.

Ouh là, va y avoir des plaintes ! Pas touche à la petite protégée des médias...


Ce n'est évidemment pas nul : la voix est superbe, les moyens vocaux inouïs, un style très marqué par le maintien en réserve permanente d'une puissance qu'on devine impressionnante dans un ambitus étroit, le chant frémissant, sensible, certains instants sont émouvants, mais... ça manque d'idées je suppose, et parfois ça passe un peu à côté de l'essentiel, ce qui fait que le résultat est ennuyeux à la longue.

Par exemple la reprise de Hurt de Nine Inch Nails me fait quand même un peu sourire : le texte parle de suicide, de douleur comme preuve de vie, d'enfoncement dans les limbes de la désespérance ; Johnny Cash la chantait à sa manière, le pathos au zénith de sa vérité, un testament : un rebelle épuisé par la vie, mourant, vaincu, clamant une sincérité de chaque instant, incrustait son épitaphe dans la cire du vinyle...

Là on dirait que la jolie demoiselle s'est cassé un ongle !!!!

La chanson n'est pas mal racontée par la dame majuscule, évidemment, mais le choix d'une incongrue retenue à peine ornementée du vibrato d'un léger sanglot suggérant une peine toute romantique tourne à vide je crois.

Mais bon, pas un mauvais disque, n'exagérons rien. C'est même joli, évidemment, mais c'est comme si on nous maintenait délibérément à distance, un refus d'empathie quand même regrettable.
J'espère que cette grande artiste prendra un peu plus de risque la prochaine fois.
 

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La daube du mois ?


Woodkid, the Golden Age


Un faux évènement, euh non, pardon, un vrai évènement sur-médiatisé, surproduit, bourré de mignardises codées et si parfaitement prévisibles, sur-racoleur, prétentieux et au final lisse et ennuyeux comme le serait une pub glamour de 20 mn ! Et ça dure 50 mn...

Quand je pense que certains osent présenter ça comme l'Album de l'Année !

Sont déjà en vacances jusqu'en décembre ?


Poulenc, Peirani et Parisien par Joseph L


avril 2014

par Joseph L


Francis POULENC

Stabat Mater, Sept répons des ténèbres



Carolyn SAMPSON
Cappela Amsterdam
Estonian Philarmonic Chamber Choir
Estonian National Symphony Orchestra
Daniel REUSS


Une version du Stabat sur un tempo assez lent par rapport à d'autres : dès le premier accord, le drame est installé; l'auditeur sait qu'il va être bouleversé, qu'il va frissonner tout au long de l'écoute; pas de "joliesse" ici, les interprètes doivent eux-mêmes trembler en le chantant et le jouant! Carolyn SAMPSON, dans les trois airs solistes, est dans une approche véritablement opératique, on sait que cela va mal finir!

Je n'ai écouté qu'une seule fois les sept répons, donc dans un prochain billet, peut-être.


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Belle Epoque

Vincent Peirani et Emile Parisien

Duo Art


Ces deux musiciens se sont rencontrés par l'intermédiaire de Daniel Humair en 2009, ils ont fait partie de l'aventure "sweet and sour"en quartet, et depuis ils ne se quittent plus. Lors d'un concert en Corée avec ce quartet, Siggi Loch, musicien et patron du label ACT, leur propose d'enregistrer sur son label avec comme idée de plonger dans le répertoire de Sidney Bechet; pour ces jeunes pousses trentenaires, cette musique devait tenir de la préhistoire!

Avant de glisser le cd dans le lecteur, je dois dire que pour moi aussi, Bechet n'est pas un univers musical vraiment bien connu : "les oignons", "dans les rue d'Antibes", "petite fleur", "as-tu vu ma mère", sinon ?

Et les idées reçues ( musique pour vielles dames emperlousées invitant à danser de vieux messieurs engoncés dans leurs costumes amidonnés ) tombent : j'écoute une musique enchanteresse, mystérieuse: "song of médina", et drôle: "temptation rag" avec ce petit combat musical! Leur interprétation de "St James infirmary" colle totalement au texte: glaçant comme une table me métal de la morgue, brrr....
Et ils jouent aussi leurs propres pièces ( 2 chacun, la vrai parité ) "Hysm" de Parisien, ballade un brin nostalgique avec l'accordéon se promenant sur un fil, et le sax sopran envoutant sur une mélodie toute simple; "Le cirque des mirages" nous prend par la main pour aller le 14 juillet à Montmartre; "Place 75" est un véritable jeu de quilles entre l'accordéon de Peirani et le sax de Parisien; "Schubertauster" débute assez contemporain et conclue vraiment baroque !

Bref, vous n'aimez pas l'accordéon, le saxophone soprano vous agace avec ses aigus stridents, la musique de Bechet vous ennuie : courrez acheter ce disque, il est fait pour VOUS.


Quatuor TANA le 5 novembre 2016


Le samedi 5 novembre 2016, le Quatuor TANA nous a fait l’honneur d’un concert à l’occasion de la première édition du Salon staCCato, dit staCCatoLa Rosière et ce grâce à Serge Thomassian, directeur artistique du label Megadisc-Classics et ardent promoteur de la musique contemporaine.
    
Je tiens d’autant plus à les remercier que Jeanne Maisonhaute (Violoncelle), Antoine Maisonhaute (Violon), Ivan Lebrun (Violon) et Maxime Désert (Alto) arrivaient en automobile de Clermont-Ferrand où ils avaient joué la veille.

 

Au programme, celui de leur disque remarquable sous label Megadisc-Classics consacré à deux œuvres essentielles de Steve Reich : WTC 9/11 et Different Trains. Toutes deux demandent une installation technique puisque le Quatuor réel « accompagne » des enregistrements préalables d’autres pages pour quatuor et des « bandes sons » faites de bruitages et voix.

Antoine Maisonhaute précise que, contrairement aux habitudes, les enregistrements des parties de quatuor ont été faits de bout en bout sans utiliser de boucles, afin de préserver la « vie » de ces portions, et que pour l’enregistrement final du disque - que je vous recommande évidemment -, le Quatuor a joué devant des enceintes qui passaient les pré-enregistrements. Autrement dit une prise live par opposition à une superposition par mixage. Exploit technique donc, marquant la volonté de plus d’engagement musical, et pari gagné.

Qui dit installation technique dit ingénieur du son et c'est Diego Losa du GRM, compositeur, qui a eu la gentillesse de faire le déplacement pour tenir le rôle de cinquième membre.

Le concert de ce soir représente pour moi une expérience d’autant plus intéressante que j’avais assisté à la première de WTC 9/11 au Pershing Hall le 11 septembre 2016 par le même Quatuor TANA, et avais été sidéré par l’intensité émotionnelle de leur proposition.

Je vais vous éviter un décryptage pas à pas pour raconter l’œuvre, je préfère toujours recevoir la musique au premier degré. Et puis je ne vais pas prétendre m’y connaître.

Evidemment, le concert de ce soir va me replonger dans la même tension nerveuse qu’au premier choc, à la limite de la crispation tant l’intensité dramatique de l’œuvre est transcrite avec une énergie implacable par le Quatuor TANA.

Mais j’irai plus loin ce soir dans ma perception sensitive et musicale de cet opus majeur car, est-ce une question d’intimité dans cette salle où nous sommes pourtant plus de 80, est-ce l’équilibre plus sensible entre la partie jouée et les parties reproduites (sur des Atohm GT2 HD et GT3 HD comme lors de la prise de son, via les blocs AM400 Atoll) ?, qu’importe : je me sens plus proche, mieux nourri de la partie directe et vis au plus près les… Quels mots employer sans dire une bêtise ?... Les contre-champs (au sens photographique) comme les superpositions, les dialogues comme les chorales entre les divers sous-ensembles des quatuors où la ductilité aérienne des musiciens ce soir crée un climat tout aussi bouleversant mais plus imprégnant, empoignant, nous obligeant à accompagner le mouvement continu dans une sorte de détresse contradictoirement dansante, une entrainante fascination .

On est emportés, on est pris, mais cette fois moins à la gorge qu’au corps et, bien placé pour pouvoir observer le public, dans une transe collective, tribale.

Les mots ou cris des spectateurs de la blessure mortelle infligée à cette tour symbolique un 11 septembre où tout bascule, victimes, pompiers, l’incrédulité douloureuse transmises par les textes et les bruits éclatent en bulles d’angoisse portées par les archets inspirés de TANA, autant de battements d’ailes d’anges ou de coups de couteau de Lucifer selon les instants, transformant cette pièce courte, j’allais dire heureusement, en un tableau de Hieronymus Bosch.

C’est d’autant plus puissant qu’il y a un plaisir fort à observer la concentration des quatre jeunes musiciens, dégageant une beauté peu commune, jusque lors d’une brève parenthèse de doute si bien maîtrisée lorsque la technique les trahit (perte des « clics » qui dictent chaque pas dans le déroulement), dont personne ne s’apercevra dans l’évolution lyrique.

Et comme à chaque fois que j’écoute la dernière partie de WTC, pourtant portée par l’idée de « World To Come », je perds l’équilibre quand intervient la coda brutalement interrompue, le vide, le choc sur la deuxième tour, la fin. Ou le début ?
Le silence.

 

Sidérante première partie  de soirée donc, justement ovationnée pour saluer l’effort car l’œuvre est aussi difficile pour les musiciens qu’elle est douloureuse pour l’auditeur quand elle est racontée avec autant d’intelligence et de cœur, éloignant cet instant de musique évocatrice, quasi figurative, d’un rapport journalistique objectif, façon Kronos, pour nous impliquer viscéralement et émotionnellement dans le souvenir.

 

Ou pourra évidemment me reprocher la flagornerie de l’hôte dans ma « critique », peu m’importe car la suite du programme m’en dédouanera : pour avoir naguère assisté à une présentation intéressante de « Different Trains » par le Quatuor Diotima, je vais pouvoir comparer deux approches radicalement différentes au concert d’un opus qui, guidé par des clics et des parties enregistrées, pourrait donner l’impression d’un carcan inaliénable.

Eh bien non ! Le Quatuor TANA va nous en faire une démonstration flagrante.

Le démarrage de Different Trains porté par des sifflets de locomotive est toujours aussi magique ; quel beau son, ces sifflets qui à eux seuls engagent dans le trouble…

Mais immédiatement apparaît le ton inattendu que TANA va apposer sur ce tableau fondamental de la musique contemporaine, mise en parallèle des trains que, enfant, Steve Reich prenait pour de longs voyages de la côte est vers la côte ouest des Etats-Unis, passerelle obligée entre ses parents divorcés, et ceux qui en Europe, sous le fouet et les crocs, transportaient les enfants juifs vers l’abomination

TANA sinue sur une souplesse du trait, une lisibilité humaine par un toucher délicat épanouissant les timbres, mais surtout libère un swing, voire du groove, qui va transformer les machines en instruments sublimes, aussi bien dans la beauté que dans l’horreur.

Cette élasticité des lignes nous emporte dans un tourbillon, une valse asynchrone irrésistible, alors comment ne pas tanguer en frémissant à la façon permanente dont le Quatuor TANA va faire virevolter les notes, ou tourner autour, nous amenant parfois à l’ambivalence de magnifier la douleur comme sous opium, l’anesthésier sans pour autant l’oublier, une distance étrange et dérangeante qui renvoie à une forme de culpabilité, celle du témoin impuissant, indirect par la force des choses, obligé d’accepter ce qui s’est passé, ce à quoi il a échappé, la menace lourde qui pèse sans cesse sur l’humanité tel un ultimatum d’apocalypse.

Jaillissements d’émotions métissées, de heurts contradictoires, la voie choisie par TANA embellit la narration, impose à la compréhension émotionnelle la dualité partageant et réunissant la mélancolie naïve d’un enfant protégé et le journal d‘Anne Franck, lue par un comédien d’exception, enfonçant l’évidence du vécu dans les couches profondes de la mémoire…

Des moments exaltants de musique pure nous éloignent par fulgurances de cette chape prégnante pour nous conduire sur une ligne musicale incandescente, telle en dernière partie ( ? j’ai un doute) la formidable accélération de la ou des locomotives dans un ouragan mécanique fou mais ici si coloré, si riche en harmoniques, si étourdissant dans les distorsions temporelles, la désynchronisation ivre qui jaillit des instruments soudain extravagants donnant une dimension symphonique à ce poignant instant !

J’en tremble encore. Jamais je n’aurais attendu tant de variations rythmiques, de boisé, d’envolées puissantes ou contenues dans une même pulsation vers le cœur.

J’espère sincèrement, chers amis du Quatuor TANA que le public a été à la hauteur, mais en tout cas il vous a justement acclamé, et j’aimerais vous faire partager les témoignages d’émotion qui me sont faits depuis ce grand jour.

Merci encore chère Jeanne (Mademoiselle M… comme désormais je vous surnommerai), merci Antoine, Ivan et Maxime pour votre fraicheur, votre engagement et votre sincérité, merci pour la soirée et sa prolongation autour de mets fins mais pas à la hauteur de votre gentillesse.

Et bien évidemment un immense merci à Serge.

Et à Diego !

 

AC


le site de RKA


Juin 2013



En cherchant une information qui n'avait aucun rapport, je suis tombé sur le site de Rachel Kolly d'Alba et particulièrement cette page :

http://www.racheldalba.com/page106/page4/styled-43/page86.html

Merci Rachel.

J'ai hélas été empêché par un souci technique de publier mes plaisirs musicaux pendant une période bien trop longue et je suppose que John m'en veut un peu.

Mais c'est reparti : nouveau site, et retour à la liberté d'expression !

Je reste sous le charme de notre rencontre. En espérant qu'il y en aura d'autres.

AC

rendez-vous de l'Erdre 2013


1er  septembre



Vendredi 30 août : l’heure de me diriger vers le millésime 2013 de cette belle initiative nantaise :

les Rendez-vous de l’Erdre, Jazz et Belle Plaisance,
est arrivée.


Le soleil est de la partie, je ferme le magasin et je fonce. Faut dire que ce n’est pas bien loin, 10 mn à pied et encore. Et je ne veux pas traîner vu que je ne pourrai pas consacrer beaucoup de temps à la manifestation cette année.


Ah, zut ! Trop tôt… Les scènes sont encore en réglage balance !

Retour chez moi pour grignoter. Au passage une amie m’interpelle : on dîne ? On dîne.

Du coup, j’y retourne un peu tard, vers 22 h 00 pour tout dire.


L’ambiance est toujours bon enfant ; j’ai l’impression que la place de la Belle Plaisance s’est accrue, de beaux bouquets d’embarcations forment des corolles au milieu du bassin, c'est adorable ! Les émanations des « baraques à frites » sont de plus en plus envahissantes et passent conflictuellement d’exotiques saveurs envoûtantes à des remugles de vieille huile, mais elles participent si jovialement à l’animation…


Je regrette peut-être de voir tant de bières ou bouteilles de rosé dans les mains de jeunes gens déjà passablement excités et criards, filles ou garçon ; j’évite de peu quelques éclaboussures de rosé.


Un groupe sympa sur une péniche, La Lola, me retient quelques instants, rien d’éblouissant, c’est gentillet.

Petit arrêt devant les spectacles toujours touchants de ces immobilistes qui bougent, l’option robot rigolo semblant prendre le dessus cette année encore.


J’approche de la scène Sully, peut-être ma préférée, accélère le pas sous l’urgence de mes oreilles attirées par un saxo fusant par-dessus une pulsation rythmique à forger de l’acier !


Une jeune femme blonde (elle s’appelle Céline Bonacina), ressemblant un peu à Françoise Hardy (plus jeune), aux bas oranges à pois et chaussures jaunes décoche des élans acérés de son saxo, joyeuse et animée, jetant des regards complices vers un long black (malgache, renseignement pris : Hary Ratsimbazafy) à la batterie et un bassiste (Romain Labaye, rouennais) souriant et désinvolte imposant une rythmique implacable, tout en mouvement, aplomb et variations.


Ça  promet !


Le saxo fusant survole l’inaltérable fondation des deux garçons survoltés et balançant des pêches tordues.


Le morceau s’appelle Green Shoes et est bâti avec la solidité groovante d’un soubassement funk assénés par des gros bras énergétiques !


Commence alors un très long solo de basse chorusée, virtuose mais sensible, transporté, dont les échos sinueux d’un doigté impressionnant naviguent en dansant autour des appuis fervents d’une batterie robuste comme des enclumes qui, après quelques piques barrées du saxo prend le relais pour une page costaude et ensorcelante, endiablée même mais structurée comme une armature de pétrolier, très inventive même si parfois les bras savonnent un peu, plusieurs changements de tempo imprévisibles et déstabilisants mais si habiles, un pied de grosse caisse cogneur et dégourdi, formidable, le tout rappelant parfois Will Calhoun !


Le morceau s’achève sur un bref final vibrant d’énergie !


Génial !


Pour la pièce suivante, le trio est rejoint par un percussionniste, une chanteuse et un vibraphoniste.


Le morceau s’appelle « désert » et commence avec les codes un peu lassants d’une word musique d’ambiance. Pas désagréable mais on est bien redescendu quand même, et puis je ne suis pas fan de ce type de chant en glapissements acrobatiques venus du Scat…

Jusqu’au moment où la folie grimpe, le ton change, la pression s’installe comme une urgence incontrôlable, le chant s’envole vers des délires vertigineux d’inspiration qawwalî tendance Nusrat Fateh Ali Khan, le saxo jette des éclairs surplombant une rythmique d’une ossature de tyrannosaure, luisant de brèves flèches cinglées dans la mêlée, telles les fantaisies illuminées d’un Emile Parisien, un vibraphone éloquent oscillant entre rythmeur et concertant dont les timbres s’enroulent autour des sonorités si caractérisées des autres musiciens, le percussionniste débridé se dégage un instant de ses invraisemblables fûts pour nous soumettre une intervention discursive diaboliquement belle et virtuose et si humaine d’un talking drum appuyé sur les libertés du bassiste et les bras en béton souple du batteur, toujours inspiré pour se glisser dans les vides de fréquences, trouvant systématiquement l’idée pour enrichir la fantastique et très émouvante éloquence du percussionniste qui nous conte avec malice une histoire d’une fantaisie hallucinante.
Là encore plusieurs morceaux en un seul, avec des transitions qui laissent au bord du vide, haletant, gourmand, vivant !


Dernier morceau nous avait-on annoncé, mais la dame au saxo revient pour un bis, s’arme de son saxo basse aussi grand qu’elle et dénoue de belles bases harmoniques lentes, des mélodies courbes bouclées électroniquement et qui viennent lentement se juxtaposer en canon : c’est super beau, une élocution harmonique troublante. Puis elle pose l’instrument alors que les boucles décalées embaument abondamment l’atmosphère pour se saisir d’une petite boite à cordes (sais pas comment ça s’appelle) et jouer une délicate berceuse prise dans les volutes du saxo basse avant de nous souhaiter d’une voix tendre un « bonne nuit » mutin comme pour mieux cacher les musiciens qui, dans l’obscurité, reprennent leur place…


… Et soudain c’est reparti de cette fougue organique, sensuelle et violente, le percussionniste fait feu de tout bois, depuis les congas jusqu’aux Chimes (oui, c'est pas du bois) en passant par le Udu (c'est pas du bois non plus), s’offrant le luxe d’une impro pléthorique cette fois encore en stratifiant ses errances sur les fondations solides du couple basse / batterie, toujours aussi structuré et chantant.


Encore quelques fulgurances saxo / voix / marimba et puis hélas le concert s’arrête, me laissant pantelant et encore affamé !


Dommage que je sois venu les poches vides, sinon j’aurais foncé acheter le CD qu’a proposé la demoiselle avant de plier les gaules.


Mais il est temps de rejoindre la scène nautique où Michel Portal - quand même - se produit ce soir.

Du beau monde semble-t-il pour le peu que j’aperçois, je vois Vincent Peirani à l’accordéon et Daniel Humair à la batterie, je n’ai pas reconnu tout de suite Bruno Chevillon, faut dire que c’est difficile de se dégager un angle de vision. La foule est immense, dense, compacte, bavarde, souvent armée d’un verre de bière ou d’une bouteille.

Jazz et Picole ?

    
Bon, que dire ? Portal attaque fort, imposant un lyrisme sidérant à sa clarinette magistrale qui plane bien au-dessus du commun, Peirani lui répond avec panache et grâce, l’entoure de son instrument toujours aussi riche, son jeu imaginatif et émouvant, ses interventions solistes déclamant une poésie rarissime.
Que dire de la contrebasse, je ne sais trop, le son gargantuesque déforme son jeu, l’engluant dans un gros grave monochrome ; on dirait de la hifi de base.

Mais il y a Humair.

Et, ce soir, Humair m’exaspère !!!


Ses mignardises précieuses et paresseuses, ses sucreries permanentes agrémentées d’un sourire de ravissement, ces longs passages sans une once d’effort où il exhibe sa vaine dextérité sur la Charley et deux cymbales au point de se demander pourquoi il s’encombre de fûts, ses roulements de caisse claire légers et parfaits certes mais si ennuyeux me font regretter le grand black rectiligne qui tranchait dans le lard avec ô combien d’imagination sur la scène de Céline Bonacina. Mais où est le Humair si créatif qui accompagnait Nougaro sur Mai, Paris Mai ?


Une jolie jeune femme aux longs cheveux blonds bouclés et robe longue très élégante, tendue sur la pointe des pieds derrière moi me distrait un instant, je lui cède mon petit coin dégagé pour qu’elle voie mieux. Enchanté par son parfum délicieux, j’écoute encore deux morceaux où décidément Portal est magnifique, Peirani bouleversant, mais sans réussir à me détourner de l’ennui.

Je pars, fais quand même le tour de la scène pour aller voir ce qui se passe ailleurs, jette une oreille de loin aux Mountain Men sur la scène blues, pas mal, simple, naturel, engagé, détendu, puis bifurque vers la péniche Lola où un ensemble clavier (jeune homme aux cheveux rouges), accordéon (jeune femme aux cheveux rouges), basse, batterie (aux cheveux sans particularité), et un guitariste (aux cheveux bouclés) attire un instant ma curiosité, un côté gentiment amateur, de charmantes idées, le guitariste, pourtant plus âgé que les autres, a un jeu scolaire vite assommant.

Je repars en contournant la scène où Portal enchaîne ses voyages inspirés et Humair ses miniatures infinies.



**************




Samedi, arrivée tardive et, comment dire, cacochyme ? Je me suis cassé le dos dans la matinée, ça ressemble fort à une vertèbre coincée ; la journée a été un calvaire et demain j’ai 4 h de voyage !

Essayant d’éviter en grimaçant les innombrables obstacles qui émaillent le chemin jusqu’à la scène blues (et il y en a, croyez-moi, notamment, tiens, beaucoup de gens, mais qu’est-ce qu’ils font là, comment se peut-il qu’il y ait autant d’amateur de jazz et si peu dans les vrais bons magasins de hifi (hihi) ?), je reste éloigné de la scène ne tenant pas à m’immerger dans la foule, chaque heurt involontaire et anodin catapultant un tourbillon de feu dans le dos.


Big Daddy Wilson. C’est chouette, du bon gros blues qui baratte gentiment du côté du cœur. Pas un instant d’originalité, je m’ennuierai vite, mais c’est d’un classicisme louable dans le genre. On est sur les fondamentaux.


Allez, direction Sully pour écouter Aldo Romano, ce grand batteur qui s’est essayé à tant de partenaires. Je résume mon cheminement (un quart d’heure ?) jusqu’à la scène, évitant les pauses sur diverses attractions, tente de trouver un petit trou d’où j’apercevrai vaguement quelque chose.
 

Romano est lancé dans un drôle de solo quand je m’installe sur une jambe. Une élégance folle, belle sonorité des toms, un son creusé et clair, une frappe pure et virevoltante, on ne sent vraiment pas l’effort, il y a ici encore cette aisance désinvolte que l’on avait vu chez Humair la veille, mais en proposant quelques audacieuses combinaisons qui détournent du minimum syndical.


Bon, pour le reste, que dire ? Les copains d’Aldo nous déroulent de ce jazz ultra-léché, indéniablement concocté avec soin par des gens de métier au talent admirable, un saxo raffiné (Baptiste Herbin), un piano volontaire et sensuel (Allessandro Lanzoni) et une contrebasse irréprochable (Michel Bénita). Mais bon. Tout est parfaitement à sa place, où il faut quand il faut, c’est virtuose sans être élitiste, c’est plutôt sympa. Mais kilométrique. De ce jazz dont on se demande pourquoi ça s’arrête à tel moment plutôt qu’à un autre, parce qu’ils pourraient continuer pendant des heures. Or, c’est certes super bien fait mais pas envoûtant. Portal et Peirani hier procuraient beaucoup plus d’idées délicieuses en 5 mn qu’ici en 25.


Du jazz qui ne fait de mal à personne, mais qui ressemble à ces trucs qu’on consomme en boucle comme autant de prozac dans une discothèque lénifiante.



Je m’éloigne en boitant de la scène Sully pour me diriger vers ce qui attire le plus ma curiosité cette année, scène  Nautique.



Médéric Collignon adapte King Crimson.



Entrée sur scène des deux cent cinquante musiciens alors que le vent se lève soudain.

Mais combien sont-ils ? Ah oui, 12 quand même, dont 2 quatuors à cordes.

Après un petit bavardage un peu auto satisfait de Collignon (le trac ?), on attaque par Red ! Directement ! Et croyez-moi, on a illico les deux pieds dedans (aïe mon dos !).

Waouh, ça envoie, ça pulse, c’est herculéen, vivant, jouissif, c’est même plutôt esthétique cette mixture sonore inattendue !

La trompette de Collignon s’est branchée en deux mesures sur le mode halluciné et ne le quittera pas d’un comma.

Rien à dire, les morceaux s’enchaînent en énergie enflammée et distrayante et le constat est invariable : pas un instant de relâchement, énormément d’idées dans les arrangements, notamment quand Collignon bruite la guitare de Fripp avec la bouche, stupéfiant et barré, incroyablement efficace, (je suis un peu moins séduit par les moments où il chante vraiment), sa trompette truquée, chorusée,  frauduleuse, « délayée » propulse des « distor-sons » venus d’ailleurs mais qui évoquent si limpidement la marque frippienne, les quatuors sont engagés et joyeux pour singer les guitares ou autres, ce moment drôle (et qui donne un peu de distance quant à l’acte iconoclaste de l’adaptation) où les membres des quatuors se mettent à babiller un chant tapageur et rythmiquement formidable, les interventions qui paraissent d’abord un peu scolaires du Fender Rhodes pour rapidement se hausser vers des mélopées sinueuses et solennelles, une basse qui pourrait soulever la scène et remonter le courant et bien sûr un batteur qui « patate » un élan vital trapu au poids de la fonte et pourtant si chantant, constamment dans la rupture, l’évolution, l’énergie et la variation, de frappes, d’enchaînements, d’intensité, et qui ne fatigue jamais (droit être crevé à la fin !).


D’un exercice un peu cérébral, on bascule vers un atelier de plaisirs, avec un enthousiasme absolu, un engagement au-delà du passionné, c’est absolument du Crimson et pourtant autre chose, pas une adaptation, mais une interprétation, d’une totale dévotion pour l’original (là où souvent dans le jazz la reprise s’en éloigne totalement), ne nuisant en rien à l’inouïe inventivité de l’exercice. Je n’y croyais qu’à moitié, j’y adhère à 200% et seuls les élancements de mon dos me contraignent à clopiner jusque chez moi avant la fin.


Un grand moment, deux avec Céline Bonacina au total cette année où je n’ai pas vu grand-chose, deux découvertes (oui, je sais, les victoires du jazz, tout ça, mais honnêtement, ces récompenses «entre copains » congratulent souvent du pas grand-chose, normé FIP/Télérama), deux absolues justifications de la nécessité de ce festival à part.


Ah, autre bon point de ce millésime : la part croissante de la plaisance au milieu du jazz, les embarcations fleuries de lumières dans la nuit, des illuminations fruitées, accentuant la sympathie de l’ensemble des rencontres, merci !


Voilà, fini pour moi cette année car demain je pars pour rencontrer des « fournisseurs » qui nous préparent un projet qui a une vraie couleur d’absolu et va nous permettre de renouer avec nos fondamentaux.

J’espère pouvoir vous en parler bientôt !

   
 

Sacre du Printemps Järvi et Currrentzis, Arthur H Trouble Fête


Décembre 2015

 

Stravinsky, Sacre du Printemps, Neeme Järvi (Chandos) & Teodor Currentzis (Sony),

Arthur H Trouble Fête.

 

Spécial « vieilleries » ? Oui un peu.

 

Nous sommes en pleine opération ripage de ma discothèque et les petits bonheurs qui surgissent çà et là lors de la longue épreuve abondent, rendant la besogne un peu moins ingrate.


Ainsi, cette redécouverte des Symphonies de Martinu par Vaclav Neumann totalement oubliées et c'est bien dommage car nombreux sont les passages dignes d’un intérêt essentiel dans cette somme méconnue.


Mais je retiens surtout l’occasion d’avoir fait partager à mes visiteurs d’un jour, lors d’une discussion concernant le Sacre du Printemps, une version majeure par Neeme Järvi et l’Orchestre de la Suisse Romande (eh oui !) que pour d’inexplicables raisons j’avais un peu laissée de côté depuis quelques années alors qu’au milieu d’une bonne trentaine de versions elle fait partie de mes préférées, si ce n’est ma préférée aujourd’hui encore bien que j’aie depuis (elle date de 1995 ( ???)) continué d’allonger la liste


La concurrence noble ne fait pas défaut, notamment parmi les historiques, Ansermet, Boulez, Stravinsky lui-même, Karajan (oh oui !), Ozawa, Dorati (version Decca en tout cas avec hélas un orchestre un peu moyen (Detroit) mais d’une barbarie sans équivalent !), Solti peut-être…


Et parmi les modernes, la liste est bien fournie aussi, Salonen, Rattle (une curiosité avant tout), Zinman ou Dudamel avec son approche exotique, Jordan récemment et son étrange intériorité et j’en oublie évidemment.

 

Mais l’approche de Neeme Järvi (Paavo l’a enregistré aussi) est tout à fait exceptionnelle.

 

D’abord elle s’amorce par un tempo lent (comme Maazel avec Cleveland) et s’affirme inexorablement par une cadence tenue d’une main de fer.

Ainsi Neeme imprime un relief saisissant aux instants nerveux et poignants par  la solidité d’un tempo immuable (ou presque) qui donne lors des premiers éclats énergiques l’impression troublante qu’il ralentit encore, et permet ainsi de basculer de phases mystérieuses voire voluptueuses à des foucades d’une violence  physique par la figure imposée d’un martellement constant accentué ou discret de la rythmique systématiquement présente, une ligne constante relayée quasiment d’une phrase à l’autre par un pupitre différent, mais toujours là, obsessionnelle, enivrante ou harassante.


Les discours, narratif et philosophique, pictural et psychologique, sont passionnants, captivants ou poignants de bout en bout, éloquemment racontés par un orchestre idéal à chaque musicien duquel Järvi trouve le moyen de dégager des moments privilégiés, la phalange parfaite déroule la rythmique comme une horloge, rutile et rugit, ductile, réactive, ne perd jamais la concentration même dans ces moments où souvent en d’autres lieux la lisibilité se transforme en chaos : on entend abasourdis la perfection d’une intelligibilité façon Boulez mais imprégnée de poésie, de noirceurs, de profondeurs d’âme, de limbes effrayantes d’une ampleur spirituelle unique.

Et lorsque Järvi décide de lâcher la bride, les explosions sont saisissantes, époustouflantes, impactant directement au plexus !

 

Sombre ou solaire, jouant de toutes les illuminations, ombres et couleurs, contrastes et nuances grâce à une maitrise inexpugnable du tempo, Järvi nous offre une référence par la sommation des contraires, la lisibilité du texte, l’expressivité chatoyante des pupitres, la délicatesse mystérieuse, et la barbarie païenne.

 

Bravo.

 

Se laisser embarquer par la vision de Neeme Järvi est d’autant plus intéressant qu’est sortie ces jours-ci une version remarquée, voulue décapante du Sacre, à savoir celle de Teodor Currentzis avec MusicAeterna dont le principe volontairement iconoclaste revendiqué avait tout pour me séduire…

Pensez donc, "déconstruire pour mieux reconstruire", "sacrifice cruel et vertical !"

 

Jaquette sous forme de grille pointilliste où le nom de Currentzis s’interpénètre géométriquement avec celui de Stravinsky les plaçant à égalité. Soit, je ne suis pas de ceux qui considèrent l’humilité comme une preuve de qualité.

Tout cela est vraiment prometteur !

 

Ben non…

 

Il y a « une » idée et une seule et elle est exploitée jusqu’à l’usure sans la moindre variation imaginaire, c’est amusant au début et vite ennuyeux tant l’option est systématique, engoncée dans une vaine vision de l’esprit qui ne débouche sur rien d’autre que de vouloir être différent, éventuellement provocateur. Soit mais à condition d’avoir quelque chose à dire.

 

J’ai lu quelque part que cette version fait ressortir une dimension implacable ! Ecoutez Dorati 2 ! Puissante ? écoutez-en quelques autres !

Tellurique ???? Non certainement pas, la tectonique a plus d’émanation que cette proposition toute cérébrale. Ici, c'est simple : il n'y a pas de musique mais du son bien ordonné.

 

Même la prise de son rebute (en 24/96 quand même), pourtant millimétrée, collant aux timbres, ceux-ci ne se déploient pas donnant une sensation de vide, d’absence de vie, elle a même un côté absurde par un manque de cohérence des dimensions relatives, gâchant les effets volontaires qu’elle est censée défendre. Artificielle soit, c’était un choix, mais désincarnée aussi ?

 

Le résultat artistique et technique est précis, méticuleux, travaillé, léché par des musiciens impeccables mais comme régis par un ordinateur suivant minutieusement un ordonnancement sans âme, sans autre aspiration qu’une scansion systématique et prétentieuse qui ne sait pas créer de tension, de nervosité, de souffle ou d’intensité. Un Sacre totalement mécanique, vaguement spectaculaire et sans essence, qui ne parvient même pas à convaincre qu’il est novateur.

Vraiment dommage. J’en attendais sans doute trop, j’aurais dû deviner que ça s’adressait avant tout à une paresse d’esprit contemporaine dont même la pensée révolutionnaire est ultra-codée, où l’intention prévaut sur le résultat.

 

La captation du Järvi – j’ai failli oublier – est plutôt correcte en dynamique et en timbres ne gâchant pas le plaisir sans basculer dans le spectaculaire inutile, le disque publié chez Chandos est donc chaudement recommandé !


D’autant que les œuvres de complément, à savoir Requiem Canticles et Canticum Sacrum, opposant au rite païen un recueillement religieux d’une grande inspiration, outre qu’elles présentent un complément idéal, sont ici magnifiquement présentées, avec des chœurs superbes, au point peut-être de mériter le titre de référence, au milieu certes d’une discographie nettement moins riche que pour le Sacre.

 

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Parmi les disques dépoussiérés par l’opération ripage, j’ai aussi ressorti « Trouble-Fête », opus d’Arthur H datant de 1996.

Un artiste que j’apprécie régulièrement, mais a-t ’il jamais retrouvé la puissance de la sombre magie poétique et sensuelle de « Trouble-Fête » ?

Je ne crois pas.

 

L’intégralité de l’album, comme toujours chez monsieur H, est empreint d’une douceur bienveillante, d’un humour délicat, ici portés par une imagination musicale, mélodique certes mais aussi des arrangements, des fantaisies rythmiques, des gouaches indéfinissables, sans aucune faiblesse ou facilité dans cette suite d’idées toutes plus troublantes les unes que les autres, jamais répétitives ou insistantes mais impeccablement cohérentes, qui façonnent comme dans un rituel de magie noire un album mystérieux, réfléchi, nous engluant dans un sfumato alanguissant.

Les textes, pourtant détendus, sont imprégnés ici d’une poésie vespérale, Salammbô certes, mais dans un paysage issu des humeurs crépusculaires d’Edgar Poe ou des démons cyniques et décalées d’une BD de Tardi, une atmosphère rigoureuse et scrupuleuse, irréelle, souvent obscure et tendrement dramatique qui tisse un noble écrin aux pépites de mots alambiqués et si émouvants, signant une danse fantomatique d’une folle élégance.  

 

C’est poignant, beau, d’une invention musicale de tout instant.

 

A classer dans les « Intemporels ».

 


Scelsi, Bach par Jacobs, Brahms par Grimaud, Brian Eno, NIN


octobre 2013
 

Scelsi, Bach, Brahms, NIN et Brian Eno



Par Alain

 

Giacinto Scelsi : Aîon, Pfhat, Konx-Om-Pax


Orchestre et chœur de la Radio-Télévision Polonaise de Cracovie, dirigés par Jürg Wyttenbach


Je sais, une fois de plus ce n'est pas une nouveauté. Le disque date de 1988.

Soit !


Un couple de visiteurs, d'une érudition sidérante, a, au cours d'une démo sympathique et au milieu de disques tous plus intéressants les uns que les autres (et inversement), sorti ce disque de Scelsi.

Nous écoutons alors Aîon, je trouve l'œuvre envoutante et passionnante et songe à l'acheter quand un petit carillon au fond de ma tête - à ne pas confondre avec celui qui indique que ça sonne creux -, me prévient : tu devrais quand même vérifier dans ta CD-thèque parce que ça me dit quelque chose...

Eh oui, bien vu !

Donc je dépoussière la jaquette de ce CD oublié, le pose dans un lecteur et me dis que, parfois, on néglige des choses essentielles.


Commençant par Aîon, écrit en 1961 pour un grand orchestre privilégiant les cuivres (particulièrement dans les tonalités graves) et sans violon.

Aîon se déploie lentement en 4 mouvements de longueur inégale, somptueusement devrais-je dire, évoquant 4 épisodes dans une journée de la vie de Brahma, laquelle durant 90 000 journées humaines, amène à la conclusion que le compositeur a passablement abrégé, même si en dépit d'une durée assez courte de l’opus il a su recréer une notion troublante de longueur quasi brucknerienne, qui impose dès les premières notes un mystère abyssal par l'emploi de notes graves (essentiellement structurées autour des cuivres) et se déploie patiemment sans jamais passer par les éclats codés d'une musique contemporaine pas toujours imaginative, bien que ce premier mouvement (le plus long) passe par un climax éclair de percussions métalliques pour s'éteindre aussi calmement qu’il a commencé.

Le second mouvement unit des alternances de nervosité rythmique et lignes mélodiques des violoncelles et vents, pour lui aussi se terminer dans le calme et enchaîne sur un troisième mouvement possiblement le plus surprenant, utilisant à profusion des jeux de micro-intervalles serrés en quarts de tons entre Mi et Mi bémol (c'est écrit dans le mode d'emploi) et culmine dans un final éclatant et brutal ! Superbe.

Le dernier mouvement retourne vers une lente progression rappelant le premier mouvement mais quasiment sur une seule note, et explose dans une sombre bizarrerie comme balbutiante des percussions.

La réalisation est prenante, haletante en dépit de la lenteur de développement, facile d'accès je vous rassure et qui plus est la captation est soignée et précise.


Pfhat (1974) et Konx-Om-Pax (paix) (1969) sont au moins aussi intéressants !

Un orchestre plus complet, un orgue et un chœur enrichissent encore la pâte sonore.


Pfhat est un ouvrage très court, enchaînant 4 brefs mouvements.

Le premier mouvement est fait de longues clameurs répétées encore axées sur des notes graves, monodiques, ponctuées et surlignées par les phonèmes chantés de respiration du chœur et des brefs éclats voix / percussions.

Le second mouvement, pour le moins original et puissant, est composé d'un seul et très long fulgurant cluster, qui s'épuise lentement mais semble figer l’éclat dans un temps infini !

Le troisième mouvement peut évoquer Ligeti par l'utilisation d'un chœur vibrant et inquiétant entouré des successions de notes longues encore centrées sur les cuivres, graves évidemment, légèrement angoissantes rappelant le Monolithe de 2001.

Le finale est un long tutti répétitif de clochettes secouées par presque tous les instrumentistes, provoquant une sorte d’abrutissement parasite d’insectes accordés !


Enfin Konx-Om-Pax est probablement la plus forte des 3 compositions présentées ici, un bloc grandiose, ardent et puissamment poignant, ouvrant sur des sonorités enflammées, d'une richesse harmonique  qui caractérise toute l’étude, marquée par les tessitures graves et faite de montées graduelles en glissandi très lents, d'une intensité spirituelle bouleversante pour les deux mouvements extrêmes (le titre signifie "Paix" en assyrien, sanskrit et latin).

Le second mouvement, sorte de court pivot, débute sur de lentes notes pour se tendre rapidement en éclats frémissants.

Le chœur n'intervient que dans le dernier mouvement, apportant une profondeur d'abord méditative puis quasi extatique, articulant sur des rythmes et longueurs oscillantes une unique syllabe : OM !… nous faisant basculer dans la sensation sidérante de s'emplir de résonances contradictoires définissant l'univers entier, autant par sa beauté mystérieuse que par ses menaces sous-jacentes !

C'est d'une beauté glaçante mais tournée vers l'espoir et de fait troublante.

 

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Un peu moins d'enthousiasme pour la pourtant superbe version récente de René Jacobs de la Passion selon Saint Matthieu chez Harmonia Mundi.

Werner Güra (quel évangéliste !), Johannes Weisser (le Christ), Sunhae Im, Christina Roterberg, Bernarda Finck, Marie-Claude Chappuis, Topi Lehtipuu, Fabio Trümpy, Konstantin Wolff, Arttu Kataja, RIAS Kammerchor et l'Akademie für Alte Musik Berlin.


Distribution pléthorique, passionnante précision musicologique (mais les options audacieuses sont-elles justes ? ça... ), une louable volonté clairement perceptible de mettre en évidence le moindre détail d'une partition que l'on croit connaître et dont on découvre des couleurs et des effets inhabituels (mais sont-ils justes ?...), pas seulement redevables à la disposition particulière mettant si clairement en scène le dialogue (conforme à l'original ou théoriquement à la volonté de Bach) entre les deux chœurs et les deux orgues (Dieu et son Eglise), mais au moins autant aux si incisives couleurs de l'orchestre et à un évangéliste parfait, un Christ à la hauteur et, à quelques égarements près, des solistes irréprochables, accompagnés d'une distribution superlative et de chœurs plutôt expressifs, l’ensemble servi par une production technique non exempte de quelques duretés çà et là mais rendant un admirable hommage à la scénographie.


Pour autant, derrière cette précision millimétrique, cette justesse de ton indéniable, cet apparat des couleurs, des chœurs et des solistes, je n'adhère pas complètement, je ne suis pas bouleversé, pas transporté. L'impression d'un effort de concentration pour honorer ce qui relève plus d'un exercice de style que d'un réel engagement.

Est-ce le résultat d'une totale humilité devant le grand Bach humble devant Dieu qui conduit à une prudence exagérée ?

Ou au contraire d'une prétention de vérité musicologique telle qu'il ne reste plus qu'une perfection rhétorique toute théorique ?


Un peu comme ces gros films hollywoodiens de plus en plus nombreux où on apprécie sincèrement la beauté formelle, l’intelligence, mais où on reste curieusement spectateurs, à l’extérieur, sans empathie.


Bref, j’ai dégusté avec intérêt, sans un instant d’ennui, mais sans… passion.


Mais peut-être suis-je en petite forme spirituelle.


Car bizarrement, j’ai envie d’y retourner, comme aimanté par l’expérience sonore nouvelle…

Et aussi retourner vers Leonhardt ou Herreweghe, comme ça, pour comparer, opposer un plaisir du cœur à une aventure cérébrale.

 

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Un rapide passage par le 1er concerto pour piano de Brahms (opus 15) par Hélène Grimaud (à qui, pour des raisons personnelles, je voue quasiment un culte (mais non, c'est une blague)), accompagnée par Andris Nelsons, chef dont je recommande le Firebird de Stravinsky et un beau programme Tchaïkovski en compagnie de Baiba Skride.


L’ennui s’installe dès les premières mesures du fait d’un orchestre poussif sans éclat, sans enthousiasme, comme enroué et qui ensuite ne semblera pas vraiment jouer la même œuvre que la pianiste engagée jusqu’à l’excès…

Nous ( car nous sommes plusieurs à cet instant ) persistons pourtant sur une longue portion du concerto qui ne nous donnera vraiment pas envie d’essayer ce que ces deux grands musiciens proposent avec le second concerto et un autre orchestre (je ferai quand même l’effort, bien sûr), mais plutôt celle de réécouter l’opus 15 par la même figure de mode il y a 15 ans en compagnie de Kurt Sanderling et qui laisse pantois et ému tant c’est inventif, énergique, superlatif de couleurs et d’idées. Dommage que la jolie dame n’ait pas aussi enregistré l’opus 83 à l’époque dans les mêmes conditions.


Nous ne quittons pas Brahms et enchaînons ( après-midi calme, premier jour des vacances sans doute, on a le temps ) avec la première symphonie du même Johannes par Claudio Abbado (Deutsche Gramophon) que je redécouvre également, ébaubi par une version à la fois d’une noblesse infaillible et pourtant si imaginative par ses jeux de couleur et son refus de toute figure figée, de toute pesanteur guindée.

 

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Et enfin, penché sur mon Pad pour écrire la chronique qui conclura ce billet, je décide, de m’accompagner d’une autre vieillerie (2011, pensez donc) de Brian Eno : Drums between the bells.


Cette fois, le brillant touche-à-tout s’est acoquiné avec le poète anglais Rick Holland.


Drums Between the Bells se coltine donc à l’exercice périlleux de la prosodie sur les textes plutôt austères de Rick Holland, en variant le ton via diverses voix, souvent féminines, vierges ou déguisées par l’électronique, qui visent souvent à une sensualité doucereuse, un accompagnement dulcifiant.


Le disque démarre pourtant très énergiquement avec le très compact (intensité sonore percutante voire sifflante) Bless This Space, articulant une mélodie brutale sur une batterie hard-bop confrontée à des hachures de guitares façon Robert Fripp. Glitch, au moins aussi solide et séducteur évoque le parfum du superbe Bright Red de Laurie Anderson, et l’ensemble des morceaux qui suivent rappelleront tous des compositions ou participations antérieures d’Eno !


Pour autant jamais on ne tombe dans la redite ou la sensation lassante du déjà-vu. Certes, les connaisseurs y entendront parfois du radotage mais, pris dans l’absolu, l’album est varié, magique, nomade et enchanteur, les enchainements sont souvent inattendus, les idées brillantes, l’univers cohérent et très riche, nappé de sons et de couleurs tout simplement beaux, organiques parfois, enrobant souvent, y compris les passages électro-chics un peu faciles, cette sauce délicate composant une œuvre avantageusement expérimentale.


 

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Bon, allez, je m'attaque au passage obligé de cette chronique :
 

Hesitation Marks de Nine Inch Nails




Pourquoi obligé ?

Ceux qui lisent ces chroniques depuis le début savent que Trent Reznor, un des maîtres de l'Industrial Rock depuis plus de 25 ans, est à peu près le seul musicien à qui je voue si ce n'est un culte (n'exagérons rien) au moins une sincère admiration et que depuis quelques albums on ne peut pas dire que je bondis de joie.


Et si vous allez fouiller sur le waibe, vous découvrirez facilement que nombreux sont les fans qui se sentent trahis par le Maître, attendant sans doute que le quinquagénaire retrouve les douleurs destructrices de sa jeunesse pour nous pondre un exutoire cathartique à la hauteur de la ravageuse violence intérieure de the Downward Spiral ou  l’imagination structurelle harmonique et rythmique de the Fragile.


De ce point de vue, non, évidemment, on n'y est pas, la fureur, la rage, les tripes qui dégobillent du génie musical, non, certes non.


Mais si on attendait autre chose justement, si on était prêt à faire table rase du passé et découvrir ce disque ex-nihilo ou presque ?


Après tout, l'opus s'appelle Hesitation Marks : ne peut-on supposer que Papa Trent a admis qu'il est temps de produire un vrai gros machin, soit, mais qui ne sera pas une copie ou une surenchère du passé et donc passe par quelques hésitations ?


Mais des hésitations qui ne s’entendent pas, parce que, en ce qui me concerne et sans détour, Hesitation Marks est un grand album, solide, cohérent, sans faille dès qu’on a admis la nouvelle orientation !


Qui certes ne se dévoile pas à la première écoute (pour les raisons expliquées ci-dessus : l'attente est biaisée).


Qui certes ne se comprend pas n'importe comment, et là c'est le coupeur de sons en quatre qui parle, parce que je crois que, pour avoir entendu l'opus sur des systèmes très différents, on peut passer à côté de beaucoup des idées subtiles ou sidérantes développées dans l'ombre par le grand Trent, au risque donc de perdre des nuances indispensables dans l’océan d’une l’indicible poésie sonore où vogue l’album ainsi que les enchaînement rythmiques très recherchés, subtilement enchevêtrés, soulignant l’intelligence scénique de la musique de NIN et qui, simplifiés, peuvent paraître prosaïques.


Une intro curieuse, la mise en route d'un métronome qui déboutonne deux morceaux entre pop, électro-chic pour le premier et coups de hachoirs vicelards pour le deuxième, finalement non seulement efficaces et dansants mais aussi accrocheurs, prenant aux tripes, "Copy of a copy" (encore un titre qui en dit long) et surtout le très médiatisé "Haunted" (clip de David Lynch je crois) structuré comme du Reznor pur jus, des éruptions sonores pas neuves mais totalement dépoussiérées, quasi funkies, ponctuées de heurts pulsés ou riffs corrosifs, deux titres qui donnent déjà une indication sur une évidence qui se confirmera tout au long de l'album : Trent a pris le temps de composer de vraies chansons, arc-boutées sur des mélodies solides ouvrant une voie royale aux qualités vocales du rocker qu'on avait pu deviner dans "In the twilight". Et si, précisément, l'ambiance pourrait évoquer l’offensif Year Zéro (alors que le son est possiblement plus énorme encore), on est loin des divagations parfois en roue libre expérimentale dudit opus en faveur d’une rigueur, une maîtrise de chaque instant qui rappelle le millimétré de Fragile.


L'album est intensément écrit, très réfléchi. Plus du tout viscérale, ce qui évidemment peut décevoir les accros du passé, l’architecture totale n'en est pas moins aboutie ! Florissante, forte, elle recrée ce côté sombre, épais, encrassant, probablement salace des grandes productions Reznor, mais de façon insidieuse, larvée, dérangeante.


"Find my way", une ballade d'apparence si simple, commence à distiller un malaise sournois, une ambiance moribonde ou délétère qui, en dépit de textes pas spécialement rageurs, créent une atmosphère poisseuse à souhait, si parfaitement ancrée dans le sol de nos doutes moroses. L'exercice est sournois mais réussit parfaitement à faire couler le frisson dans le dos, comme un péril rampant qui fascine autant qu'il effraie.


Car, n'en déplaisent à ceux qui baveront sur certaines compositions trop pop, il n'y a rien à jeter dans cet album !


Evoquons rapidement, pour ne pas s'enliser dans le catalogue, la cadence lascive et pénétrante de "All time low", ou la tension menaçante de "Disappointed", ou le groove captivant de "satellite" qui évoque un croisement contre nature entre Reznor et Prince, vertébré autour d’un martèlement répétitif créant le manque sitôt que le titre stoppe. Ou encore le très bizarroïde "Everything" placé comme un pivot central qui revêt à notre grande surprise l'aspect dépenaillé d'un naïf atour grunge mais se met soudain à cracher le fer.


Les enchaînements laissent souvent en déséquilibre, ruptures de couleur et de rythme même si l'album respire une homogénéité sonore sans faille ; et si les arrangements paraissent dépouillés, voire minimalistes et itératifs, on s'aperçoit rapidement en creusant l'écoute que le seigneur des couches harmoniques entrelacées a parfaitement mûri son art, prenant le risque que bon nombre des strates plus subtiles disparaissent dans le jus épais, goudronneux de la première lecture.


Enfin, encore à l'encontre de nombreux auditeurs, l'enchaînement final de "In two" / "while I'm still here" / "black noise" est d'une invention telle qu'on se dit que vient de commencer là l'album qui aurait pu imposer une nouvelle référence absolue.


"In two" est peut-être le titre le plus NIN de l'album, swinguant et robuste, d’une complexité rythmique croisée et engoncée dans des surpiqures quasi incompréhensibles, "While I'm still here" mystérieux à souhait, poétique, sépulcral, assène la démonstration que le génie du son qu'est encore Reznor n’a pas baissé les bras et a beaucoup de leçons en réserve pour ceux qui tordent le nez ! Ce passage tout simplement beau révèle derrière l'apparent dépouillement d'une rythmique un peu caricaturale alternant des notes graves balaises - qui satureront la plupart des enceintes trop hifi en balayant les effets de timbres - et des tintements à la Kraftwerk, une affirmation lyrique frémissante et si intelligemment mise en scène, portant la présence physique de la voix de Reznor soudain extraite de l'ombre et qui agrippe jusqu'au vertige ; une brève apparition blues de la guitare d'Adrian Belew dévalant sur une courte mélopée de saxos superposés (pour 4 secondes, quel luxe !) - dont le souffle scandé confine à l’halètement – et d’une mélodie rythmique singulière entonnée par une basse sortie du néant, pour guider doucement sur le vertigineux bruitisme, distordu, croissant, hurlant de "Black noise", un des grands grands moments de NIN, trop court, laissant affamé à la recherche du deuxième disque, celui qu’on attendra dorénavant.

Le son est colossal et raffiné, bourré d’idées rarement inédites mais fondamentalement reznoriennes et si parfaitement agencées, comme l'apparente récursivité des rythmes électroniques, qu’elles sculptent une glaise nouvelle fondant la pesante noirceur de l'ensemble.

Ah, je recommande la version HD disponible sur le site du groupe qui a eu l'intelligence de remasteriser cette version un peu différemment en tenant compte des particularités (si si il y en a !) du support pour une efficacité dynamique redoutable et une définition des timbres légèrement soulignée.


Un chef d'œuvre ? Probablement pas.

Un opus absolument formidable et sans équivalent dans la production mondiale, oui oui oui !


Schoenberg par Janine Jansen, Mélanie de Biasio, Thérez Montcalm


novembre 2013



Schoenberg : la Nuit transfigurée opus 4
Schubert : Quintette pour cordes D956


Janine Jansen, Boris Brovtsyn (violons), Amihai Grosz, Maxim Rysanov (altos), Torleif Thedéen et Jens Peter Maintz (violoncelles). Un disque Decca


Par Alain



Renouvelant un exercice magnifiquement réussi dans Chostakovitch en 2007 (très largement recommandé ! Quintette avec piano, trio n°1 etc... chez Onyx Classic, avec Yuri Bashmet, Misha Maisky...), à savoir réunir une brochette d'amis de renom et de talent pour jouer de la musique de chambre, la charmante batave nous propose un programme long et ambitieux (on aimerait en être ; c'est vrai qu'est-ce qu'on a de moins ? Mmmhhh ? Le talent ? Bof, c'est très surfait).

Le résultat est un admirable moment de musique, d'une générosité sans faille, ciselé par des musiciens tout simplement heureux de jouer.


Le Schoenberg ne sera peut-être pas une version de référence, c'est possible et alors ?


Il y a dans cette proposition une fougue, un élan, un plaisir de jeunesse qui, mieux que de nombreuses approches un peu cérébrales sous prétexte que c'est du Schoenberg ou au contraires très superficielles sous prétexte que c'est une œuvre de jeunesse, rappelle que l'opus 4 illustre un poème d'amour, la nuit d’un aveu déshonorant, de silences complices, souffrance et délivrance qui conduira à l'acceptation par un homme amoureux d'un enfant qui n'est pas le sien sans même passer par la case morale du pardon, évincée par la confiance en l'autre.

On peut regretter, dans les moments mystérieux ou murmurés des tableaux brumeux de la Nuit, que la ferveur sincère des potes à Janine occulte ou complique l'évanescence poétique, au profit, c'est vrai, d’une permanente (mais délicate) transparence… Qu'importe : le feu romantique pétille dans le sang des musiciens, produisant une expressivité parachevée ponctuée d'éclairs nuancés.


Les musiciens sont irréprochables, existant tous à égalité (merci aussi, Mademoiselle Jansen, pour votre discrétion), d’une admirable générosité de cœur et d’écoute, ne négligeant jamais la musique pure, quitte à parfois mettre de côté la trame narrative d'une nuit de transe amoureuse, en exposant plutôt l'intensité, l'âpreté, l'envoutement, surmontant dans une allégresse idéale les dissonances - qui rendent parfois la page ardue - en alternant rugosité ardente et romantisme rarement osé dans une page d'un Schoenberg dont les créations dogmatiques de fin de vie font oublier qu’il a été jeune et admirateur de ses ainés.


Car, dans la description de cette nuit d'une densité foisonnante et délibérément positive par Janine & friends, à la fois acteurs et contemplateurs de ces alternances de désir fou et de mélancolie des sens (quel régal que la tendresse réservée, la juste pudeur des musiciens dans le long quatrième mouvement comme s'émerveillant de la douleur vertigineuse qui marque l'effusion des deux cœurs éperdus, des âmes errantes...), on entend clairement l'hommage à l'auteur de la Mort d'Isolde, prouvant clairement que le jeune amoureux Schoenberg a saisi toute l'ambivalence wagnérienne.


La curieuse juxtaposition d'un sextet de jeunesse et d'un quintette de maturité de Schubert (et un des grands moments du romantisme !) fonctionne ici à merveille, profitant de l'inspiration lumineuse des mêmes interprètes pour nous promener dans les demi-teintes, les clairs obscurs de deux déclamations, l'une amoureuse, l'autre refusant d'abord la mort puis s'enfouissant dans la sérénité d'une vision céleste.


Là encore, la pudeur semble le maître mot, en dépit d’un tempo peut-être un peu rapide, elle masque la douleur sous l'aisance, en suivant clairement le tracé Schubertien vers un-au-delà apaisant.


On pourra regretter dans les passages de pur mystère, une légère raideur, par crainte du pathos peut-être, éviter l'excès de romantisme, préférant une sorte d'explication de texte, tout en finesse, pigmentation subtile, allégeant à l'extrême la texture pour mieux décrypter l'inspiration rêveuse à l'au-delà qui rend ce naturel du mot touchant, émouvant, superbe.


Le tout servi par une prise de son précise et correctement architecturée.

Je m'aperçois d'ailleurs que c'est la deuxième fois que je parle de la Nuit Transfigurée dans ces colonnes. Curieux, ce n'est pourtant pas une œuvre vers laquelle j'ai l'impression de revenir si souvent.

On trouvera pour ces deux œuvres pléthore de références historiques, au point qu'il est difficile d'en isoler une en particulier, d'autant que je ne suis pas partisan de l'idée des références figées. Pour autant, achetez celui-là : rien ne remplace le plaisir de la nouveauté et surtout de la redécouverte.

Et pour ceux qui ne connaissent pas, une approche sûre !

Bon, je vais me pencher sur les concertos de Bach par la même Janine Jansen qui viennent de paraître...



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Découverte sympa ensuite, pas fatigante en tout cas :

Mélanie de Biasio, No deal
    
Pascal Mohy (piano), Pascal Paulus (synthés et Clavinet (et co-compositeur)), Dré Pallemaerts (batterie)


J'avoue que si j'étais disquaire, je ne saurais pas où ranger ce court album (trop court, on se moque un peu quand même).

Admettons que ce soit du jazz, avec un petit coucou du côté de Portishead ? Enfin, si c’est du jazz, l’album aura le mérite d’ouvrir la pensée jazz aux non-initiés. Très bien !

Bon, un truc pareil, je suppose que ça va vite recevoir les blasons Télémama ou Frip, allez, j’assume, je me lance quand même.


La demoiselle (qu’est-ce que j’en sais ?), belge, (oui, encore une (rappelez-vous le génial Troops de Liesa Van der Aa), ça devient une habitude dans ces colonnes) chante (et comment ! ) et joue de la flûte traversière qui tient une place importante dans les 7 morceaux dont un qui, finissant en un fondu au noir infini (plus d’une minute !) fait de nappes mystérieuses et rebonds moelleux, renforce un peu l'impression d'être floué côté longueur.


Qu'importe, la générosité se situe ailleurs, car c'est un fort beau disque, onirique, planant à l'ancienne (sans le côté halluciné), fluctuant dans un groove lent très enjôleur.


Jazz donc ? Pas si on cherche à retrouver les brillantes icônes du moment, un peu démonstratives.

Ici, l'expression est en profondeur, en nuances microscopiques ; la voix, suave et sérieuse, imprégnée de gravité, détourne la soul au sein de compositions sombres, brumeuses, longs déploiement de contours entre pénombre et obscurité, où les musiciens, dont un batteur aux frappes de mailloches profondes et empruntes d’intensité, installent une ambiance ample, swinguant comme un tango distendu et démembré, dégageant ainsi aux vagues du chant des espaces vastes comme l'univers, et distillent dans les veines une curieuse sensation d'engoncement dans des profondeurs de l'âme jamais oppressantes, à peine inquiétantes, un voyage suspendu où seule la flûte s'autorise des survols sidéraux de liberté lyrique, ondulations charmeuses d'un serpent pâmé sans jamais nous extraire des nuages oblongs de la méditation. On retrouve la lenteur songeuse du très recherché, frémissant et émouvant album éponyme de Mark Hollis dont Mélanie revendique l'influence.

Une création d’apparence dépouillée, qui pourrait n’être que climats et laisse pourtant, à l’arrivée hélas bien trop vite venue, songeur, troublé, grave mais en apesanteur...


Ceci dit, honnêtement, je ne me suis pas foulé : c’est un disque facile à défendre dont la couverture sera bientôt illisible sous les labels du bon goût statutaire.




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Et, dans la même catégorie des chouchous du politiquement correct, la déception du mois :

Terez Montcalm, I know I’ll be allright



Album de reprises assez singulières, du Bécaud, du Bowie, ou du Michael Jackson.

Mouais.


L’idée est sympathique, les morceaux choisis avec perspicacité, la voix est charmeuse et les arrangements bien tournés surprennent au premier abord par ce qui paraît une vraie reconquête des titres.

Mais…

Je m’ennuie au bout de quelques minutes. D’abord je trouve que la canadienne à guitare en fait trop. Ce qui, dans son style affirmé de chant un peu cinglé, était amusant et provocateur sur le premier album, tourne à la répétition et devient donc à la longue un snobisme fatigant, cette sur-articulation, cet expressionnisme minaudant n’exprime plus grand-chose à force de se mécaniser dans la surcharge.

Et puis, est-ce le son, sont-ce les adaptations, les arrangements ? Le swing est banal et le groove si codé qu’il en disparaît puisque, par essence, la façon d’évoluer autour de la note et du rythme qui définit le groove est de l’ordre du ressenti, pas de la technique. Or, là encore, on subit les rouages trop huilés d’une mécanique racoleuse. Idem pour les arrangements, plaisants sur une chanson mais rapidement bien trop répétitifs. Enfin, je suppose, car je n’ai pas tenu jusqu’au bout, même en m’y reprenant en plusieurs fois.

Je veux bien admettre que la masterisation est très coupable dans ce constat navrant, elle lisse les éclats, linéarise les éventuelles toquades, s’il y en a, difficile à deviner, l’ensemble manque de relief sans que je puisse déterminer si c’est le son, la production ou l’attitude artistique…


Je n’adhère vraiment pas !


 

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